VERSAILLES
Magnum Photos et Hachette Filipacchi s’affrontent devant la cour d’appel de Versailles à propos de la restitution des tirages détenus par « Paris Match ». Un litige qui marque la fin d’une époque.
Versailles. Le verdict à venir de la 3e chambre de la cour d’appel de Versailles dans le procès qui oppose Magnum Photos à Hachette Filipacchi Associés, propriétaire de Paris Match, devrait faire parler de lui. L’objet du litige : la demande de restitution par l’agence photo des tirages de presse détenus par la société et publiés dans le magazine de 1949 à 1989 et dans les magazines Elle et Marie Claire de 1962 à 1969. Le dossier concerne principalement les photographies tirées par Paris Match.
Dans leur longue collaboration amorcée dès la création en 1949 de l’hebdomadaire se distinguent en effet deux types de tirages : ceux fournis par l’agence Magnum et portant le tampon « Magnum Photos » et ceux estampillés « Photo Magnum » réalisés par le laboratoire du siège de l’hebdomadaire, puis par un sous-traitant à partir des négatifs remis par l’agence jusqu’en 1994 et le basculement au numérique. Faute d’avoir trouvé une solution amiable, Magnum Photos a assigné Hachette Filipacchi Associés, le 19 juin 2013, devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d’obtenir la restitution sous astreinte des archives et tirages de presse litigieux et s’est vu déboutée de certaines de ses demandes qualifiées d’irrecevables par ce même tribunal le 29 juin 2017. Le tribunal l’a ainsi jugée irrecevable à agir pour le compte de 93 photographes sur 96, faute d’avoir pu justifier pour ces 93 images qu’elle était cessionnaire des droits d’auteur ou qu’elle bénéficiait d’un mandat de leur part lui permettant d’agir en leur nom pour obtenir la restitution des tirages. Les demandes de restitution de tirages de presse de Marc Riboud, Ernst Haas et Mary Ellen Mark, dont la société Magnum justifiait le mandat, étant quant à elles rejetées, in fine, faute « d’élément permettant d’identifier » les clichés revendiqués et de pièces « sur les circonstances dans lesquels ils auraient été remis à la société ».
Ont été aussi jugées « irrecevables, car prescrites, les demandes de la société Magnum Photos portant sur des tirages publiés antérieurement au 19 juin 1983 ». À cet égard, le tribunal a considéré que l’action en restitution diligentée par Magnum Photos agissant en qualité de mandataire des photographes, était soumise à la prescription « civile de droit commun relative aux actions personnelles ou mobilières », et non à celle issue du code de commerce, « la qualité de commerçant de Magnum n’étant nullement établie ». Or comme le rappelle le tribunal « le délai de prescription applicable à ces actions a été réduit de trente ans à cinq ans par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008 ». Toute demande portant sur des tirages de clichés publiés antérieurement au 19 juin 1983 est donc prescrite. Reste que la demande relative aux tirages de presse publiés postérieurement au 19 juin 1983 par Paris Match est dès lors recevable.
Ces deux points du dossier sont aujourd’hui au cœur des débats venant devant la 3e chambre de la cour d’appel de Versailles, qui va devoir trancher la question de la titularité des droits sur les tirages litigieux et de la prescription. De part et d’autre, les argumentaires se sont affûtés. « Le tribunal ne s’est pas penché sur la nature du contrat qui conduit à écarter la prescription », estime Maître Daphné Juster l’avocate de Magnum Photos. Pour cette dernière, Hachette Filipacchi Associés n’est nullement propriétaire des tirages provenant des originaux reçus à titre de dépôt, mais seulement détentrice à titre précaire desdits tirages, Magnum disposant des droits de propriété intellectuelle sur les œuvres. Tout en nous précisant, comme elle l’avait soulevé en première instance, qu’Hachette Filipacchi Associés avait déjà procédé à des « restitutions partielles », notamment en octobre 2008, interrompant ainsi le cours de la prescription.
En revanche, pour Maître Laurent Melet, le conseil d’Hachette Filipacchi Associés, la société d’édition de journaux a toujours conservé la propriété matérielle des tirages, réalisés à ses frais. Et selon lui, outre le défaut de qualité à agir de la société Magnum, l’action en restitution de cette dernière est prescrite, que ce soit en application de la prescription quinquennale issue du code de commerce ou de l’application de la prescription de droit commun.
L’époque dans laquelle, un jour de janvier 2001, Henri Cartier-Bresson venu à Paris Match récupérer des tirages de presse détenus par le magazine, est bel et bien révolue. La restitution par Alain Génestar, alors directeur de l’hebdomadaire, n’avait alors causé aucun imbroglio juridique. « Personne ne se rendait compte de la valeur de ces tirages pour la reproduction », se rappelle François Hébel, ancien directeur de Magnum Paris, qui batailla pour une prise de conscience de la profession de l’importance des bordereaux de mise à disposition et de leur précision. « Il n’y avait pas de marché », ni de conscience de la valeur financière et documentaire de ce type de tirage.
De fait, au début des années 2000, rares étaient les photographes comme Henri Cartier-Bresson à se préoccuper de leurs tirages après diffusion ou exposition et à envoyer une lettre pour les réclamer. Que ne fut d’ailleurs la colère du cofondateur de Magnum quand en 2000 le New York Times avait voulu vendre à Paris Photo des tirages issus de ses archives. Le célèbre magazine s’était exécuté suite aux injonctions du photographe et avait rendu les épreuves qu’il demandait. La Fondation Henri Cartier-Bresson portée par Martine Franck, son épouse, était en gestation et la récupération des tirages disséminés du couple un travail entamé de longue date.
Aujourd’hui la Fondation Gilles Caron envisage à son tour la demande de restitution à Hachette Filipacchi des tirages détenus par Paris Match en sachant, comme pour Magnum, que les autres titres approchés ont rendu ce qu’ils détenaient. Du moins en partie, car peu de groupes de presse, surtout en France, se sont encore engagés dans un travail d’inventaire et de récolement de leurs fonds.
Au ministère de la Culture, le conflit judiciaire entre Magnum Photos et Hachette Filipacchi est suivi de près. On se dit prêt à jouer les médiateurs et à réunir les deux parties pour trouver un accord. Car personne n’ignore l’enjeu de cette bataille juridique, surtout dans un contexte où nul ne connaît le sort que réserve Hachette Filipacchi aux titres qu’il détient encore.
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Magnum Photos poursuit en justice Paris Match
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°516 du 1 février 2019, avec le titre suivant : Les tirages de presse de Magnum chez Paris Match dans les mains de la justice