PARIS
À l’initiative de la fondation créée avec son mari et qui vient de déménager ses espaces dans le Marais, la photographe fait l’objet d’une exposition qui offre une lecture complète et inédite de son parcours.
Paris. L’exposition consacrée à Martine Franck qui inaugure les espaces de la Fondation Henri-Cartier-Bresson dans le Marais est un hommage à la photographe, mais aussi une rétrospective de son vaste et méconnu parcours photographique. Sans Martine Franck, la Fondation Henri-Cartier-Bresson n’aurait certainement pas existé. Agnès Sire, qui l’épaula dans sa création en 2003, et qui dirigea l’institution jusqu’en 2017 pour n’en conserver aujourd’hui que la direction artistique, le rappelle : « Si Henri Cartier-Bresson et leur fille Mélanie étaient d’accord, c’est elle qui en a compris les enjeux, qui l’a portée et a demandé expressément par la suite que la Fondation ne change pas de nom, quand ses archives rejoindraient celles d’Henri après sa propre disparition. »« Ultime discrétion lucide de celle qui a su poursuivre son œuvre à l’ombre d’un grand arbre comme elle se plaisait à en rire », précise Agnès Sire dans le catalogue de la monographie qu’elle lui consacre.
Entamé du vivant de Martine Franck et avec sa complicité, le travail de relecture de son œuvre, mené par Agnès Sire, déleste ce qui fut sans nul doute lourd à porter (en particulier chez Magnum) : être l’épouse d’Henri Cartier-Bresson. Exposition et catalogue se complètent à cet égard on ne peut mieux. L’itinéraire personnel de la photographe prend la forme ici d’un récit concis et subtil sur son travail. Portraits, paysages et scènes du quotidien expriment une empathie récurrente pour ce qui retient son regard, tandis que les textes du catalogue apportent de nombreux éléments de réponses aux questions que l’on se pose sur le rôle, du moins l’influence, d’Henri Cartier-Bresson, sur son parcours et sa photographie. Interrogations d’autant plus présentes devant la projection en préambule de photographies de leur couple ou prises par l’un de l’autre au cours de leur existence commune.
« Henri m’a encouragée. Il m’a donnée de l’espace », confie Martine Franck dans l’entretien réalisé de son vivant par l’écrivaine Dominique Eddé. « Quand ils se rencontrent en 1966 elle a 28 ans et lui 58 ans. Il a décidé d’arrêter la photographie, du moins le reportage, pour ne se consacrer qu’à la peinture », rappelle Agnès Sire. Quant à elle, le monde de la création ne lui est pas étranger. Fille de grands collectionneurs anversois, historienne de l’art, proche d’artistes et d’écrivains, elle a choisi la photographie comme mode d’expression après son retour d’un voyage en Asie avec Ariane Mnouchkine et avec la discrétion et l’élégance naturelles de sa personnalité qui nourrissent son travail. De bout en bout la belle facture classique de l’image, la fidélité au noir et blanc, tendent plus à laisser le sujet s’exprimer, ou du moins à exprimer une situation, qu’à vouloir imprimer un style qui la démarquerait des photographies d’Henri Cartier-Bresson ou à rechercher une reconnaissance du milieu. Si la facture des photos appartient à son époque, les sujets abordés relèvent, eux, de ce qui retient Martine Franck, l’émeut ou l’engage dans ce monde.
Les portraits jalonnent l’œuvre, la nature convoquant des impressions suspendues à la prégnance de la beauté d’un ramage d’arbre, d’un vol de mouettes, d’une percée de lumière dans un ciel ou sur des terres labourées. D’Étienne-Martin au dalaï-lama, ils portent en creux des affinités artistiques ou spirituelles, le goût pour les musées, la peinture et la littérature. Ils signalent aussi un intérêt constant pour la vieillesse ou la cause des femmes. Par bribes, ces images sont des instants croqués, vécus en France ou à l’étranger, où la bienveillance ne se départit jamais du réel.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : Martine Franck à la Fondation cartier-Bresson À l’initiative de la fondation créée avec son mari et qui vient de déménager ses espaces dans le Marais, la photographe fait l’objet d’une exposition qui offre une lecture complète et inédite de son parcours