Depuis 2011 et la polémique née de la censure du tableau de Courbet, « L’Origine du monde », le réseau social a précisé, dans le sens d’une plus grande tolérance, sa pratique relative aux images de nudité.
Paris. Quel est le point commun entre le sculpteur du XVIe siècle Giambologna, Gustave Courbet et le photographe Nick Ut ? On peut être exposé dans les musées les plus reconnus de la planète, être un monument de l’histoire de l’art, avoir décroché le prix Pulitzer, mais ne pas avoir le droit d’être visible sur Facebook. Ainsi L’Enlèvement des Sabines par Giambologna, L’Origine du monde de Courbet et le tristement célèbre cliché pris par Nick Ut de la petite fille brûlée au napalm pendant la guerre du Vietnam (1972) font partie des « jurisprudences » qui permettent au réseau social d’affiner peu à peu, depuis 2011, les règles qui officient au maintien ou au retrait des images postées comportant des scènes de nudité.
4 500 modérateurs étudient des millions de signalements
Comment fonctionne la modération sur Facebook ? Elle repose sur les dénonciations des utilisateurs, qui usent du bouton « signaler la publication » lorsqu’ils estiment qu’une image« contrevient aux standards de la communauté Facebook » en matière de violence ou de décence. Ces standards sont communs à tous les pays, et une équipe de 4 500 modérateurs (Facebook en a annoncé 3 000 supplémentaires) étudie les millions de « signalements » quotidiens, y consacrant souvent moins de 10 secondes.
Trois cas de figure se présentent à eux. Si le signalement est estimé abusif, il est ignoré. Si la publication est manifestement inappropriée, elle est instantanément retirée. En fonction de la gravité et du degré de récidive, le compte de l’internaute est bloqué temporairement ou définitivement fermé. Enfin, en cas de doute, le modérateur transmet le dossier à son supérieur.
La nudité n’est pas la seule question délicate à traiter pour les modérateurs. Les contenus violents ou haineux sont également soumis à des règles de contrôle aussi nécessaires que délicates : la frontière est floue entre la dénonciation, le relais neutre et l’apologie implicite, en témoigne le durcissement intervenu en mai relativement aux publications mentionnant l’organisation État islamique.
À propos de la nudité, les règles ont régulièrement évolué, depuis la plainte de l’internaute français, en 2011, dont le compte avait été bloqué après la publication du tableau de Courbet. Chaque année, des cas identiques se sont produits, et les différents débats ont donné lieu à des aménagements dans le règlement. Dernière controverse en date, en septembre 2016 la photographie de Nick Ut montrant la petite fille fuyant les bombardements a été retirée puis rapidement republiée. La notoriété offre-t-elle des passe-droits ? Où s’arrête l’éducation artistique et où commence l’indécence ? Les questions sont complexes, et Facebook reconnaît volontiers des « zones grises » persistantes.
Depuis quelques semaines, Facebook France explique : « Nous supprimons les photographies présentant des organes génitaux ou des fesses entièrement exposées. Nous limitons également certaines images de poitrines féminines si elles montrent le mamelon, mais nous autorisons toujours les photos de femmes qui défendent activement l’allaitement ou qui montrent les cicatrices post-mastectomie de leur poitrine. Nous autorisons également les photos de peintures, sculptures et autres œuvres d’art illustrant des personnages nus. » Sont en revanche proscrites les œuvres contenant un rapport sexuel explicite ou de la violence associée à la nudité.
Les choses se compliquent quand on passe de l’œuvre d’art « réelle » (dessin, peinture, où l’essence artistique est manifeste, avec toute la subjectivité liée à ce jugement) à l’image créée numériquement (dont les photos et vidéos), où la nudité est plus rapidement censurée : « Les restrictions sur l’affichage de nudité et d’activité sexuelle s’appliquent également au contenu créé numériquement, sauf si le contenu est publié à des fins éducatives, humoristiques ou satiriques. » Facebook reconnaît par ailleurs la complexité de la tâche, expliquant que « [les] règles peuvent parfois être plus formelles que nous l’aurions souhaité ».
Les « Facebook Files », la bible des modérateurs de Facebook
Au-delà des règles, la mise en œuvre est nécessairement variable, puisqu’elle dépend des signalements et de milliers de modérateurs différents. Le 22 mai dernier, le journal britannique The Guardian publiait sur son site les « Facebook Files », regroupant les notes de service internes donnant aux employés des exemples aidant aux arbitrages. Plusieurs frontières sont ainsi décrites : entre « nudité » (acceptée dans les œuvres d’art) et « activité sexuelle » (refusée) ; entre « nudité adulte » (acceptée) et « nudité infantile » (acceptée uniquement dans les œuvres d’art) ; enfin, entre « œuvre d’art » et « création numérique », une frontière que Facebook reconnaît « de plus en plus difficile à cerner ». Si la fontaine Manneken-Pis à Bruxelles ou les angelots de la Renaissance sont publiables, d’autres œuvres pourtant célébrissimes sont proscrites, lorsqu’elles montrent par exemple une femme nue subissant la violence d’un homme. C’est le cas de l’Enlèvement des Sabines par Giambologna, sculpture venant illustrer la note interne.
Mais le travail des modérateurs s’apparente au rocher que pousse Sisyphe : de fait, la reproduction de la sculpture de Giambologna est postée chaque année par des centaines d’internautes sans qu’aucun signalement n’intervienne. En attendant qu’un algorithme encore plus puissant ne permette à Facebook de se passer de modérateurs pour mieux faire appliquer les règles, il en est ainsi de centaines de chefs-d’œuvre plus ou moins provocants, de la Mort de Sardanapale de Delacroix aux nus d’Helmut Newton, tantôt retirés, tantôt laissés, laissant la liberté d’expression entre les mains des utilisateurs. La liberté ne dévoile-t-elle pas sa poitrine pour guider le peuple ?
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Facebook assouplit ses règles internes sur la nudité
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Abonnez-vous dès 1 €Gustave Courbet, L'Origine du monde, 1866, huile sur toile, 46 x 55 cm, Musée d'Orsay, Paris. © Musée d'Orsay/Bridgeman images.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°483 du 7 juillet 2017, avec le titre suivant : Facebook assouplit ses règles internes sur la nudité