Faut-il les appeler antennes, succursales ou show-rooms ? Les musées dépourvus de collections permanentes sont devenus un véritable phénomène, à l’opposé du musée traditionnel.
Sans collections, pas de musée, sans agrément, pas de soutien ! » Ainsi commence la fiche pratique éditée par l’ancienne Direction des musées de France relative à la création d’un musée labellisable « Musée de France ». Celle-ci serait-elle totalement datée ? Force est en tout cas de constater qu’un nouveau phénomène s’est installé dans le paysage muséal, celui des musées dépourvus de collections. Si le Centre Pompidou-Metz en constitue le premier grand exemple hexagonal, un autre musée du même type ouvrira dans quelques années à Lens, avec l’antenne nordiste du musée du Louvre. L’autre grand chantier national, celui du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem), est en train de prendre une tournure similaire à Marseille, les élus marseillais n’ayant jamais caché que seul leur importait le bâtiment qui sera construit sur le Vieux-Port.
Le « premier effet » Bilbao
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le musée est devenu un lieu de communication, un vecteur d’image pour des territoires en mal d’attractivité. D’où, pour certaines villes historiquement dépourvues de trésors patrimoniaux, cette volonté de créer à tout prix des musées, quitte à se passer de collections. La formule requiert cependant deux outils : une architecture atypique, si possible signée par un grand nom, et une politique événementielle privilégiant les manifestations temporaires. La chasse aux prêts étant devenue concurrentielle, notamment du fait de l’explosion du nombre d’expositions, il est cependant préférable de s’appuyer sur une collection mère, susceptible par ailleurs d’apporter un gage scientifique, non négligeable pour négocier des échanges avec d’autres institutions. La formule a été lancée par le Guggenheim de New York, institution privée qui a essaimé à travers le monde des antennes, avec plus ou moins de succès.
Mais la greffe de Bilbao, portée par une architecture-spectacle sur un substrat local favorable, fait encore durablement rêver des élus. Conjuguée au besoin des grands musées d’accroître leurs ressources propres et de rayonner dans un contexte de concurrence de plus en plus forte, l’idée a pris toutefois des formes assez différentes. Après avoir envoyé une partie de ses collections à Londres, l’Ermitage de Saint-Pétersbourg (Russie) a conclu un accord pluriannuel avec la Ville d’Amsterdam pour permettre la tenue de plusieurs grandes expositions autour de ses collections dans un édifice du centre-ville réhabilité à grands frais [lire l’article sur l’exposition « De Matisse à Malevitch », p. 74]. Pour les promoteurs néerlandais du projet, l’idée était d’élargir l’offre culturelle de la ville, où les musées n’ont finalement à montrer… que de la peinture hollandaise.
Le « second effet » Bilbao
En Europe, le concept s’exporte bien. Mais dans certaines zones géographiques plus exposées, cette politique ne peut être que temporaire, du fait des risques géopolitiques. C’est ainsi que le Louvre a accepté de concourir à la construction d’un établissement portant son nom à Abu Dhabi (Émirats arabes unis), à condition que le musée finisse par se doter lui-même de collections pour ne plus avoir à puiser dans le fonds des musées français.
Si créer des lieux d’exposition dépourvus de collections n’est pas tout à fait une nouveauté, l’Allemagne et la Suisse s’étant dotées de longue date d’un réseau de kunsthallen, institutions sans collections, le concept en vogue aujourd’hui est toutefois plus complexe. Car le public ne se contente plus d’aller voir des expositions, mais il veut également évoluer dans un cadre spécifique, alliant architecture de qualité – qui fait partie de la découverte – et équipements culturels et commerciaux. D’où, inévitablement, une forme de standardisation assimilant quelques grands musées à des marques internationales franchisées soucieuses de diffuser une offre de prestations culturelles équivalente aux quatre coins du monde. Tout en pariant sur une valeur inestimable, celle de collections patrimoniales qui ne sont pourtant pas exploitables à l’infini.
Le système pourrait en effet montrer, à terme, ses propres limites. « Les créations et extensions continuent de battre leur plein, notent Claude Origet du Cluzeau et Patrick Viceriat dans Le Tourisme des années 2020. Des clés pour agir (éd. La Documentation française, 2009). […] Malheureusement, ces nouvelles offres tablent sur une demande inépuisable, ce qui n’est manifestement pas le cas. Certaines initiatives sont même carrément déconnectées du marché, […] comme certains musées au contenant spectaculaire, mais au contenu inconsistant, fruit de quelque mégalomanie de terroir. » À Herford, petite ville allemande, les élus se sont ainsi payé une copie en brique du Guggenheim-Bilbao… sans le succès de fréquentation.
Mais la pression touristique demeure forte, la proportion de touristes dans les musées de l’Hexagone atteignant 60 %. « Si les convaincus de la culture sont des clients acquis, les autres représentent encore un champ immense de clientèles potentielles […], poursuivent Claude Origet du Cluzeau et Patrick Viceriat. C’est en tout cas l’un des gisements les plus prometteurs de la culture. Dans cette démarche, les événements de toutes catégories constituent de puissants stimulants. » Dans ce contexte, le musée-spectacle risque d’avoir encore de beaux jours devant lui. À moins que ces dispositifs lourds n’atteignent rapidement leurs limites à cause de leur coût, comme en témoigne le délitement progressif de la galaxie Guggenheim…
Construit en 2003 par les architectes Herzog et De Meuron pour conserver dans les meilleures conditions la collection d’art contemporain de la fondation Emanuel Hoffmann, le Schaulager séduit par l’esprit qui l’anime et impressionne, fascine par ses espaces intérieurs vertigineux de près de 20 000 m2 au dépouillement nimbé d’un ciel de béton peigné de néons blancs. En ces espaces, les œuvres ne sont en effet ni stockées ni rangées dans des rayonnages ou des caisses, mais entreposées et exposées dans des salles réparties sur trois niveaux supérieurs du bâtiment, salles par ailleurs individuellement protégées par d’épaisses portes coulissantes dignes des plus beaux coffres-forts. Christian Boltanski et Alighiero Boetti partagent ainsi le même espace, David Weiss et Peter Fischli aussi.
Un concept inédit et créé sur mesure
Le concept du Schaulager est novateur, à l’instar du nom lui-même, créé sur mesure à partir de deux mots allemands, schauen (« regarder ») et lager (« entrepôt, réserve, camp »). Entrepôt du regard, réserve de visions… la traduction est multiple, le mot, créé sur mesure et le concept qu’il sous-tend, inédit : être l’entrepôt d’une collection privée, mais aussi un lieu d’étude et de recherches. Seuls les professionnels de l’art sont autorisés à consulter sur rendez-vous les œuvres de la collection. Cependant, une fois par an, de juin à octobre, le Schaulager ouvre ses portes au public à la faveur d’une exposition liée à sa collection, et organisée sur les deux premiers niveaux du bâtiment totalisant pas moins de 4 300 m2. Au programme en 2010 : Matthew Barney.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Écrins d’avant-garde - Cherchent œuvres de qualité
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°625 du 1 juin 2010, avec le titre suivant : Écrins d’avant-garde - Cherchent œuvres de qualité