Devenus des lieux de consommation culturelle, les musées ont muté dans leurs espaces intérieurs, services et offres au public. Mais ont-ils pour autant réussi à démocratiser l’accès à l’art ?
Vaste entrée, circulation fluide dans les différentes zones du musée ordonnées et articulées autour de cours intérieures ouvertes sur la ville. Lumière zénithale et espaces de repos, de restauration, de lecture et de la boutique-librairie aussi lumineux qu’harmonieux : rien au Museum Folkwang d’Essen qui n’ait été pensé et exécuté dans le moindre détail afin de rendre agréable la visite au regard de sa collection d’art moderne et contemporain. Son directeur, Hartwig Fischer, le reconnaît : « Dans le projet d’extension et de rénovation du musée, l’accueil du public, l’atmosphère et les outils à la visite étaient au cœur du programme du concours. »
« Faire du chiffre d’entrées »
Cumuler les atouts répond à l’adage bien connu : l’offre crée la demande. L’institution muséale n’échappe pas à cette règle. Après avoir été longtemps conçu comme réceptacle de précieuses collections, le musée semble aujourd’hui n’exister que par et pour le public. Et s’il a toujours ambitionné d’accueillir le plus grand nombre de visiteurs, « faire du chiffre d’entrées » est devenu une obligation. Une plus grande autonomie de gestion sur le plan financier impose en effet aux musées, plus que jamais, une augmentation de leurs recettes propres, à l’instar des institutions américaines.
Or cet objectif semblerait d’autant plus pragmatique que « les visiteurs individuels ou en groupes se sont démultipliés depuis les trois dernières décennies et que leurs profils, leurs pratiques se sont également diversifiés à la faveur principalement du développement exponentiel du tourisme », souligne le muséologue Serge Renimel.
Les musées n’ont donc pas échappé à la société de services et de consommation, ni à celle du spectacle ni même au monde concurrentiel. En entrant dans l’ère des loisirs, ils sont devenus « des acteurs, non consentants pour beaucoup, de l’évolution sociétale », pour reprendre les termes du muséologue. « Si l’approche quantitative est longtemps demeurée l’approche dominante, les enquêtes réalisées de nos jours relèvent aussi bien d’une philosophie d’action – démocratiser l’accès à la culture et en comprendre les freins – que du marketing muséal – positionner les établissements sur un marché de la culture et du tourisme », constataient en 2008 Jacqueline Eidelman et Mélanie Roustan dans l’ouvrage La Place des publics (éd. La Documentation française). Maintenant, aucune institution ne peut effectivement imaginer fonctionner sans études ou sans services des publics.
L’exposition ne suffit plus
Établir des projections en termes de fréquentation et de connaissance des publics-cibles est devenu un préalable que tout musée engage afin d’établir les moyens de prospection. « Le suivi des travaux, le circuit d’accueil et la logique des espaces et de circulation sont un autre domaine tout aussi investi », souligne Cécile Dumoulin, responsable des publics du futur musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée qui devrait ouvrir au printemps 2013, à Marseille. « Une bonne exposition et un bon catalogue ne suffisent plus, un accueil et une visite de qualité, des toilettes propres, une souplesse dans les horaires d’ouverture… sont des demandes qu’aucune institution ne peut négliger. »
Toute rénovation, extension ou création de musée intègre désormais cette donnée. « On s’intéresse beaucoup plus qu’avant à la qualité de l’accueil et de la visite, à l’articulation entre le public et les espaces, et à la question des flux des visiteurs qui n’est plus seulement abordée en termes d’espace, mais aussi de procédures (temps de contrôle des sacs, nombre de caisses, temps passé devant une œuvre…) », remarque Adeline Rispal, architecte en charge de la muséographie du musée national du Qatar et du futur musée des Océans et du Développement durable du Havre (Odyssey 21).
Élisabeth Caillet, muséologue, le constate aussi : « La grande innovation de ces trente dernières années est le développement de services, pas seulement pédagogiques, mais aussi liés au confort de la visite. » Des vestiaires adéquats aux petits salons de repos et de lecture ponctuant la visite, en passant par la librairie-boutique, le ou les lieux de restauration, de documentation ou de préparation à la visite : les espaces du musée se sont multipliés, diversifiés, et avec eux, les besoins de surface des musées ont explosé.
L’agencement des espaces dédiés aux collections permanentes et expositions temporaires a évolué de son côté vers une meilleure articulation. « Les salles d’expositions permanentes sont maintenant conçues avec les infrastructures des salles temporaires », souligne Adeline Rispal. Car la structuration conceptuelle et spatiale ne doit plus enfermer le musée dans un carcan. Aux obligations de confort et de qualité de la visite se sont adjointes celles de souplesse et de flexibilité non seulement dans les espaces, mais aussi dans le tempo de la programmation des expositions temporaires et dans la présentation des collections permanentes.
Au futur Mucem, par exemple, créé à partir des collections du musée national des ATP de Paris et des collections d’art européen du musée de l’Homme, aucune présentation fixe des collections n’a été envisagée. Les deux vastes espaces d’exposition, l’un de 2 000 m2, l’autre de 1 500 m2, seront entièrement dédiés à des expositions temporaires « de plus ou moins longue durée et qui feront évidemment appel aux collections du musée, selon le sujet », confie Bruno Suzzarelli, son directeur, soulignant également « l’approche pluridisciplinaire et la politique extrêmement vivante d’animations et d’activités » du futur musée.
En mouvement permanent
Donner l’impression qu’il se passe toujours quelque chose est de fait une constante des grandes institutions muséales mondiales afin de drainer le plus grand nombre de visiteurs et d’élargir les publics, au détriment parfois de l’intérêt pour le permanent. L’accès gratuit aux collections permanentes est toutefois au cœur des politiques des musées américains et anglais. Au musée des Beaux-Arts de Montréal, Nathalie Bondil, la directrice, a décidé que les expositions d’art contemporain seraient gratuites afin de favoriser la venue des jeunes. En 2011, des audioguides musicaux seront proposés et une salle de concerts sera ouverte au sein du musée. « Si les grands musées ne font pas l’économie de l’événementiel, des institutions de provinces peu visitées par les touristes, comme nous le sommes, ne peuvent avoir la même démarche. »
Musées de société, d’histoire, de sciences ou des beaux-arts, tous ont pris en compte la dimension de la dynamique de cette cité culturelle dans laquelle on ne vient pas seulement regarder, mais aussi écouter, débattre et se retrouver. À ce titre, la gamme des visites s’est enrichie, affinée : aides à la visite individuelle, ateliers pour enfants, actions vis-à-vis des jeunes publics… Le musée, en Russie, en Europe ou en Amérique, tend également à dévoiler ses coulisses, auparavant réservées aux chercheurs, jouant là sur la corde sensible et captive du mystère et du chef-d’œuvre caché, toujours dans l’optique d’attirer le plus grand nombre de visiteurs au musée, voire d’élargir le public. Car les responsables de musées en France le savent : si la fréquentation globale a augmenté, la composition sociale et générationnelle des publics n’a pas évolué.
Dans certaines villes, l’événement architectural du musée se conjugue désormais au pluriel avec l’aménagement de véritables quartiers de musées, qui permettent de réunir plusieurs établissements sur un même site. Aménagements et signalétique spécifiques, mais aussi équipements de loisirs et de commerces apportent en complément tous les éléments pour satisfaire les visiteurs. Un pari sur une abondance de l’offre, en somme.
Le gigantisme de l’île du Bonheur
L’idée s’inspire du précédent de l’île aux Musées de Berlin, soit une concentration dans un même périmètre de cinq des plus prestigieux établissements de la capitale allemande, construits à partir de 1830 et achevés en 1930 avec la construction du musée de Pergame. Endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale, le quartier fait aujourd’hui l’objet de lourds travaux de rénovation et d’un réaménagement. Une galerie, comprenant commerces et galerie des chefs-d’œuvre pour visiteurs pressés, devrait à terme les relier.
Dans les années 1990, la ville de Vienne a fait de même avec l’aménagement en centre-ville d’un quartier de 60 000 m2 dédié à la culture et aux loisirs. Baptisé le MuQua, il réunit de nouveaux musées et des établissements rénovés, mais aussi une salle de spectacle, une kunsthalle, des ateliers d’artistes et des studios de production, le tout étant relié par des cheminements piétonniers.
En Espagne, c’est autour de la Cité des arts et des sciences que la ville de Valence a restructuré son offre culturelle. Toutefois, c’est Abu Dhabi qui pourrait bien détenir la palme du gigantisme avec son projet de district culturel de l’île de Saadiyat (« l’île du Bonheur »), concentré d’établissements franchisés (Louvre, Guggenheim) et de signatures (Nouvel, Hadid, Gehry, Foster, Ando) sur 80 000 m2, assortis d’un espace touristique implanté sur 2 700 hectares.
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Les musées, nouveaux temples de la consommation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°625 du 1 juin 2010, avec le titre suivant : Les musées, nouveaux temples de la consommation