Alors que se multiplient les projets de rénovation, les institutions ultramarines espèrent aussi des dépôts en provenance de la métropole.
Dans toutes les maisons créoles, vous trouverez une image de L’Angelus ou des Glaneuses de Millet, entre un Christ et des cartes postales de Paris, raconte Daniel Maximin, commissaire de « 2011, année des outre-mer ». Or, ce ne sont que des images apportées par des colporteurs, car ces tableaux ne sont jamais venus dans les départements d’outre-mer. » Alors que les grands musées nationaux sont incités à globaliser leurs collections, envoyant des chefs-d’œuvre pour des durées plus ou moins longues – souvent moyennant finance – à Abou Dhabi, ailleurs en Asie ou aux États-Unis, les musées ultramarins peuvent-ils encore rester en marge de ces échanges ? Des Antilles à la Réunion, en passant par la Nouvelle-Calédonie ou la Guyane, dans ces DOM-COM (départements et collectivités d’outre-mer) sur lesquels les clichés exotiques ont encore la vie dure, il existe pourtant bel et bien un solide tissu muséal. Aucune institution nationale n’y a toutefois jamais été ouverte.
« Tous ces musées ont été créés tardivement, dans les années 1970 explique Patrick Léon, conservateur en chef chargé du suivi de ces établissements au ministère de la Culture. Il s’agissait plutôt d’une mouvance portant sur la connaissance historique et ethnographique de ces territoires. L’optique n’était pas alors de créer des musées nationaux. » Du fait de cette histoire, qui a privilégié logiquement les accents identitaires, les beaux-arts demeurent encore assez peu représentés. Si, à Pointe-à-Pitre, le Musée Schoelcher présente quelques moulages d’antiques et des gravures de tableaux italiens offerts dans un but pédagogique par le célèbre abolitionniste, l’exception se trouve à Saint-Denis de la Réunion, au Musée Léon-Dierx. La présence d’une importante collection de peintures des XIXe et XXe siècles au musée départemental ouvert dès 1912 – dont des œuvres de Caillebotte, Morisot, Gauguin ou Picasso –, est là encore le fruit de l’histoire : l’institution a bénéficié de la donation d’une partie de la collection du marchand d’art Ambroise Vollard, Réunionnais d’origine. Pour Daniel Maximin, la faible présence des collections de beaux-arts dans ces territoires s’explique aussi par une raison plus profonde : « Les arts plastiques n’appartiennent pas à la tradition. L’esclavage a aussi eu pour conséquence de privilégier les arts du corps. »
Réalités plurielles
Mais n’y a-t-il pas là une raison supplémentaire pour accentuer le mouvement d’échange entre musées de la métropole et musées ultramarins ? « Il serait en effet logique de lancer un grand mouvement de dépôts vers les musées d’outre-mer, à l’exemple de celui qui avait bénéficié aux musées de province au XIXe siècle », reconnaît Bernard Leveneur, responsable du Musée Léon-Dierx. À ce jour, son musée ne dispose que de deux dépôts de l’État : un tableau de Marquet, depuis 1917, et un dépôt du Musée national du château de Fontainebleau. Depuis trois ans, Bernard Leveneur s’est toutefois attaché à identifier dans les collections nationales, notamment au Louvre, à Orsay, Versailles mais aussi au Fonds national d’art contemporain, quelques œuvres susceptibles de faire l’objet d’une demande de dépôt de la part de son établissement, en cohérence avec le propos qu’il développe. « L’idée est de s’adresser à des musées disposant d’un nombre important d’œuvres en réserve et de cibler nos demandes sur des pièces n’entrant plus dans leur propos d’exposition », poursuit Bernard Leveneur.
Une demande officielle devrait être prochainement adressée au Musée du quai Branly. L’établissement parisien a, en effet, déjà donné partiellement satisfaction au Musée Schoelcher de Pointe-à-Pitre. En mars 2010, 17 pièces ethnographiques ont fait l’objet d’un dépôt pour une durée de cinq ans renouvelables. Soit un tiers des pièces sollicitées, le reste devant suivre lorsque le musée aura achevé sa rénovation. « Il s’agit d’objets uniques témoignant de l’esclavage aux Antilles, explique Matthieu Dussauge, responsable du musée guadeloupéen. Le Quai Branly a été sensible à l’intérêt de présenter ces objets dans un musée fondé à partir d’autres objets donnés par Schoelcher, et dans un contexte qui est celui de leur origine d’utilisation. »
Car, pour ces musées des antipodes, il faut apporter des gages solides en termes de condition d’accueil des œuvres. « Tout dépend de la nature des collections déposées, précise Patrick Léon. Mais si l’on parle d’œuvres fragiles ou de grand prix, près d’un quart des musées ultramarins sont aux normes, ce qui est loin d’être indigne. » Les réalités sont aussi plurielles. Les conditions climatiques spécifiques de la Guyane – qui compte trois musées de France, dont un créé en 2008 –, notamment le très fort taux d’humidité de son climat tropical, compliquent les choses. D’autres établissements ont aussi besoin d’une indispensable modernisation qui pourra autoriser, à terme, des prêts de longue durée ou des dépôts. Pour certains lieux, comme le Musée de Tahiti et des îles, Patrick Léon suggère aussi de créer simplement, à l’intérieur du musée, une petite salle aux normes, permettant de faire venir une ou deux œuvres majeures par an. Cette idée pourrait être retenue dans le projet de rénovation.
« Résidences d’œuvres »
Le mouvement de modernisation des musées français, lancé à la fin des années 1980 en métropole, semble enfin trouver un prolongement en outre-mer. Plusieurs projets ont ainsi été retenus au titre du « Plan musées » lancé en septembre 2010 par le ministère de la Culture. Tous bénéficieront d’une aide financière mais aussi de l’expertise de l’État (1). Dans les collectivités d’outre-mer – où la loi « Musée » ne s’applique pas même si la plupart des établissements en ont adopté les règles –, un projet a été lancé concernant le Musée de Nouvelle-Calédonie, détenteur de l’un plus importants ensembles d’art kanak au monde. Mais si ce rattrapage du niveau des infrastructures est nécessaire, il s’agira aussi de s’attacher à préserver l’identité de ces musées singuliers. « Il faut être à l’écoute des enjeux d’aujourd’hui propres à ces territoires », insiste Patrick Léon.
Reste toutefois que les populations ultramarines ne peuvent pas être privées indéfiniment de la possibilité de voir quelques-uns des chefs-d’œuvre des collections publiques nationales. « Cette année des outre-mer français sert aussi à se poser des questions, confirme Daniel Maximin. Et notamment de savoir si les ultramarins ont droit à tout, ou pas. » Le commissaire de cette année, qui a aussi été le premier, en 1989, à occuper le poste de directeur régional des Affaires culturelles de Guadeloupe, aimerait notamment développer un projet de « résidences d’œuvres ». « Il n’est pas nécessaire pour cela d’acquérir des objets, précise-t-il. Il suffit d’offrir la possibilité de les voir en organisant des dépôts de longue durée de quelques œuvres importantes des grands musées nationaux, mais des originaux, pas des photocopies ! »
Plusieurs musées parisiens auraient déjà été sollicités et seraient prêts à se lancer… sous réserve que leurs œuvres soient accueillies dans des conditions optimales. Or, avant même que tous les musées ultramarins ne soient rénovés, certains lieux, tel le Centre culturel Jean-Marie-Tjibaou de Nouméa ou la Fondation Clément en Martinique, un lieu privé (lire p. 23), seraient éligibles. Le mouvement n’attend plus qu’une impulsion. « La question est de savoir quelle trace laissera cette année des outre-mer, conclut un observateur. Servira-t-elle, ou pas, à soutenir un nouvel élan en faveur de nos musées ? »
(1) Sont concernés par le « Plan musées » : le Musée Schoelcher de Pointe-à-Pitre, le Musée des cultures et des mémoires de la Guyane à Cayenne, le Musée des civilisations amérindiennes des Petites Antilles et le Musée régional d’histoire et d’ethnologie à Fort-de-France, et le Musée des arts décoratifs de l’océan Indien à Saint-Louis de la Réunion.
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Des musées en attente
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°344 du 1 avril 2011, avec le titre suivant : Des musées en attente