BAUX-DE-PROVENCE
Infirmant de précédentes décisions, la justice ordonne le retrait de la délégation de service public conclue entre la Ville et le gestionnaire de sites patrimoniaux dans son fief historique.
Marseille. L’activité historique de gestionnaire de sites patrimoniaux de Culturespaces traverse une mauvaise passe. Après avoir perdu en 2016 la gestion de la villa Kérylos (Beaulieu-sur-Mer, Alpes-Maritimes), puis en 2021 l’exploitation de trois sites à Nîmes, dont l’amphithéâtre et la Maison carrée, la société doit maintenant batailler pour conserver la gestion du château des Baux-de-Provence (Bouches-du-Rhône) et surtout des carrières adjacentes, berceau de ses expositions immersives à succès. La cour administrative d’appel de Marseille vient d’ordonner la fin de sa délégation de service public (DSP) alors que les premiers juges avaient débouté les demandes de ses opposants. L’étrangeté de cette double procédure est, hasard du calendrier judiciaire, que la cour administrative d’appel a décidé d’examiner les deux affaires au cours de la même audience, en dépit du fait que les litiges et les requérants ne sont pas les mêmes.
La procédure la plus ancienne concerne l’exploitation des carrières, qui appartiennent aux Baux-de-Provence. Pendant très longtemps, la société Cathédrale d’Images, dont le dernier ayant droit est le journaliste d’investigation Jean Montaldo (81 ans), y organisait un spectacle son et lumière. Lorsqu’en 2008 la Ville décide de changer de mode de gestion pour un contrat de DSP, Cathédrale d’Images ne candidate pas à la DSP. Culturespaces remporte la DSP et commence à y organiser son propre spectacle immersif. Problème : Cathédrale d’Images possède une parcelle de terrain mitoyenne aux carrières sur le trajet de leur accès, parcelle qu’elle refuse de mettre à disposition de la commune (ni Jean Montaldo ni son avocat n’ont souhaité répondre aux sollicitations du JdA). Culturespaces, qui doit alors engager des travaux pour ouvrir un nouvel accès, signe un avenant avec la Ville, lequel, en contrepartie de dépenses supplémentaires de 755 000 euros, prolonge la durée du contrat de Culturespaces de cinq ans, jusqu’en 2025 au lieu de 2020 initialement.
En 2017, Cathédrale d’Images assigne la Ville et Culturespaces devant le juge administratif pour obtenir l’annulation de la DSP. Mais le tribunal la déboute de sa demande en 2020 au motif qu’elle ne justifie pas être lésée dans ses intérêts et n’est donc pas légitime pour demander l’annulation de la DSP.
Cependant les rapporteurs de la cour d’appel font en 2022 une lecture très différente du dossier et se sont en quelque sorte autosaisis de ce qu’ils considèrent être une irrégularité. Ils estiment que l’avenant modifie substantiellement le contrat, raison pour laquelle la Ville aurait dû lancer un nouvel appel d’offres. Il faut dire que, dans le même temps, la justice pénale s’est invitée dans la partie et soupçonne la Ville de favoritisme au bénéfice de Culturespaces. L’audience pénale s’est tenue cet automne et la décision est attendue le 10 janvier 2023. Cela a fortement pesé sur la décision de la cour d’appel qui a donc mis fin à la DSP à compter du 1er novembre 2023, soit dans un an, un délai permettant à la Ville de se retourner et à Culturespaces d’y organiser sa prochaine exposition sur le siècle d’or hollandais.
« C’est une décision stupéfiante, explique Me Marie-Thérèse Sur-Le Liboux, l’avocate de Culturespaces. La cour nous reproche de ne pas avoir anticipé les travaux d’accès au moment de la signature de la DSP, alors que Cathédrale d’Images a tout fait pour nous compliquer la tâche et multiplier les obstructions avec sa parcelle dénudée. »
C’est un acteur d’un autre calibre que Les Baux-de-Provence et Culturespaces doivent affronter, concernant cette fois l’exploitation du château : la société Kléber Rossillon, qui vient d’ouvrir une réplique de la grotte Cosquer à… Marseille (la société n’a pas répondu à nos demandes d’entretien). La Ville, qui a concédé l’exploitation du château à Culturespaces en 1993, veut là aussi un passage en DSP et organise en 2017 une mise en concurrence que remporte Culturespaces au détriment de Kléber Rossillon. Mécontent, celui-ci assigne la Ville et son concurrent devant le juge administratif au motif que son dossier était mieux noté que celui de Culturespaces. Les défendeurs arguent d’une erreur matérielle de retranscription des notes et démontrent qu’après correction de l’erreur la note finale de Culturespaces était supérieure à celle de Kléber Rossillon. « C’est la raison pour laquelle le conseil municipal a voté à l’unanimité pour notre projet, beaucoup plus rémunérateur pour la commune et plus innovant avec son nouveau jardin », explique Bruno Monnier, président de Culturespaces. Argument entendu par le juge administratif qui refuse la demande d’annulation de la DSP et les indemnités de 1,9 million d’euros réclamées par Kléber Rossillon à la Ville.
Mais là aussi, la juridiction d’appel fait une lecture différente. Elle considère qu’il n’y a pas eu d’erreur de retranscription des notes et qu’en outre le calcul de la redevance de Culturespaces à la Ville n’est pas conforme au cahier des charges, ordonnant l’annulation de la DSP à compter du 1er mai 2023. Dans le même temps, elle considère que l’offre de Kléber Rossillon est également irrégulière, et que la société ne peut donc demander des indemnités.
« Nous avons là aussi de sérieux arguments pour aller en cassation devant le Conseil d’État, avance le conseil de Culturespaces, et en tout état de cause nous allons demander un sursis à exécution de l’arrêt. » « Tout cela est absurde, renchérit Bruno Monnier, dans les deux cas nos offres sont très bénéfiques du point de vue de l’intérêt général et pour la commune, et en tout état de cause, si les DSP étaient in fine résiliées, nous candidaterons à notre propre succession. »
Des enjeux économiques
Les Baux-de-Provence. Le château médiéval (dont il reste surtout le donjon), perché sur un éperon rocheux qui surplombe le village, et les carrières sont essentiels pour une ville de seulement 430 habitants qui doit supporter des frais d’entretien élevés en raison de la situation géographique des lieux. Les redevances de Culturespaces représentent 40 % de ses recettes, et les recettes liées aux touristes, 80 % de son budget total (de l’ordre de 5,5 M€) si on y ajoute les revenus du parking. La nouvelle maire depuis 2020, Anne Poniatowski, dit n’exclure aucun scénario pour le futur.De son côté, Culturespaces a trouvé dans le développement de ses Ateliers des Lumières partout dans le monde – le prochain lieu ouvre en janvier 2023 à Dortmund en Allemagne – un relais de croissance autrement plus rentable que son activité traditionnelle de gestion de sites patrimoniaux, activité freinée par la frilosité des villes à confier leurs sites à des privés. Mais la société qui vient d’être rachetée par trois investisseurs veille jalousement sur son vaisseau amiral qu’est le Musée Jacquemart-André à Paris.
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Culturespaces en difficulté aux Baux-de-Provence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°601 du 16 décembre 2022, avec le titre suivant : Culturespaces en difficulté aux Baux-de-Provence