Patrimoine

À Ancenis, une courtine défigurée

Le tribunal refuse d’annuler le permis de construire d’un bâtiment dénaturant le château.

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 9 mai 2012 - 751 mots

ANCENIS (LOIRE-ATLANTIQUE) - C’est un projet contesté et contestable. Il va pourtant pouvoir se poursuivre en toute légalité. Le 10 avril, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le recours pour excès de pouvoir demandant l’annulation du permis de construire délivré en mai 2010 par la Mairie d’Ancenis au conseil général de Loire-Atlantique.

Le jugement avait été mis en délibéré le 13 mars 2012. L’Association pour la protection et la promotion du château d’Ancenis (A2PCA) avait en effet décidé de contester devant le tribunal le bien-fondé du projet de construction d’un bâtiment neuf destiné à abriter les services administratifs du conseil général, cela sur le périmètre du château d’Ancenis, qui date du Moyen Âge et de la Renaissance et est classé monument historique depuis 1977. Une aile neuve devrait donc venir s’accrocher à la courtine du château, en lieu et place d’un ancien lycée technique. Logé dans un bâtiment des années 1960, et donc construit antérieurement au classement de l’édifice, le lycée a été démoli il y a plusieurs mois. À cette occasion, le site aurait pu bénéficier d’une remise en valeur globale. Il n’en sera rien.

Un mur de fortification fissuré
En apparence, l’affaire est simple : comme pour toute demande de permis de construire concernant un bâtiment adossé à un monument classé – accroché au monument, l’avis de la Commission nationale des monuments historiques aurait dû être requis –, l’architecte des Bâtiments de France (ABF) a été saisi. Or, dès janvier 2010, ce dernier a donné son accord à ce projet, signé par un autre homme du sérail… l’architecte en chef des Monuments historiques (ACMH) Pascal Prunet, par ailleurs en charge des travaux de restauration du château. Rien d’illégal à cela, les ACMH œuvrant également à titre libéral, si ce n’est un curieux mélange des genres. Le conservateur régional des monuments historiques a autorisé les travaux et la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) a signé l’autorisation émanant du préfet de région.

Malgré ces approbations très officielles, l’A2PCA a continué à attirer l’attention sur le risque de dénaturation de ce château des Marches de Bretagne, par ailleurs candidat – comme vingt autres sites –, à une inscription commune sur la Liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. Un premier recours gracieux auprès du maire d’Ancenis sera resté sans succès : le permis de construire a été accordé en mai 2011. Dès octobre, les pelleteuses sont donc entrées en action. Or les conséquences de cette intervention sur ce site fragile sont apparues rapidement : un mur de fortification s’est largement fissuré lors des travaux de creusement des fondations. « Incident de chantier », ont fini par reconnaître les maîtres d’ouvrage. Les travaux ont repris de plus belle, le recours devant le tribunal administratif n’étant pas suspensif. Las ! Le jugement qui vient d’être prononcé par la justice administrative ne risque pas d’infléchir cette inéluctable dénaturation. La décision évite d’ailleurs soigneusement le sujet des altérations portées au monument : le tribunal estime n’avoir été saisi que pour statuer sur la légalité du permis de construire. Ce qu’il a confirmé.

Cette décision constitue un sérieux revers pour les défenseurs du patrimoine. Plusieurs représentants du ministère de la Culture, parmi lesquels Frédéric Mitterrand, venu sur place en compagnie de son conseiller « musées », Hilaire Multon – bombardé depuis pour services rendus à la tête du Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye [Lire p.36] –, avaient pourtant reconnu l’existence d’un problème, arguant même « que le bâtiment allait plomber le site ». Le ministre avait alors la possibilité « d’évoquer l’affaire » afin que son examen soit renvoyé devant la Commission nationale des monuments historiques. Il n’en aura rien été, Frédéric Mitterrand ayant préféré ne pas désavouer ses services déconcentrés. « Les juges ont donc été confrontés à l’unanimité des experts officiels appuyant la commune d’Ancenis et le conseil général : ABF, conservateurs régionaux des monuments historiques et de l’archéologie, Drac, et au silence officiel du ministère de la Culture. Face à ce front commun, on conçoit qu’il soit difficile de s’opposer », déplore Philippe Le Pichon, secrétaire du Forum Nantes Patrimoines, une association non partie liée à l’affaire mais ayant dénoncé les atteintes portées au monument. Cette décision est donc de très mauvais augure pour le respect des règles de protection s’appliquant aux monuments historiques protégés. L’association A2CPA pourrait toutefois faire appel du jugement. De son côté, le ministère de la Culture a toujours la possibilité de susciter une action pénale pour dégradation d’un monument historique. Rien n’est toutefois moins sûr…

Légende photo

Entrée du château d'Ancenis - © Photo : Matt Ross - 2011 - Licence CC BY-SA 3.0

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°369 du 11 mai 2012, avec le titre suivant : À Ancenis, une courtine défigurée

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque