Dans un livre au vitriol, le journaliste commente l’exercice du pouvoir par le premier gouvernement d’extrême droite depuis 1945.
Alberto Mattioli, né à Modène (Italie) en 1969, a été critique lyrique, et correspondant à Paris du quotidien La Stampa.
Il n’y en a pas et c’est une vraie surprise qui m’a poussé à écrire ce livre. C’est la première fois que l’extrême droite est au pouvoir depuis 1945. Elle avait participé de manière anecdotique à quelques gouvernements de Silvio Berlusconi mais sans véritablement d’influence. Tout le monde s’attendait à ce qu’une famille politique aussi longtemps reléguée dans ce qu’elle qualifiait elle-même d’« égouts » de la vie publique sans pouvoir accéder à des postes de responsabilité, aurait eu le temps d’élaborer un quelconque projet. D’avancer un début d’idée ou de lancer une initiative. Il n’en est rien. Des personnes qui se sont senties, souvent à juste titre, exclues ou discriminées sur la scène publique n’ont pas mis ce temps à profit pour élaborer une politique culturelle. Elles se contentent de se ruer sur les postes-clés du monde de la culture pour les occuper. Le but est juste de placer ses amis. Mais personne n’est en mesure d’expliquer ce qu’ils ont l’intention de faire des postes qui leur ont été confiés.
Surtout pour des postes de premier plan. Lorsque Pietrangelo Buttafuoco a été placé à la tête de la Biennale de Venise [pour une prise fonction en mars 2024, ndlr], la gauche s’est alarmée. C’est pourtant un intellectuel talentueux de droite – qui s’est converti à l’islam, ce qui lui a attiré les foudres de Giorgia Meloni. Sa figure anticonformiste peut même être utile à une culture italienne plutôt moralisante. Le problème, c’est que ni le ministre de la Culture ni Buttafuoco lui-même n’ont exprimé des idées concrètes sur ce que doit être la Biennale de Venise et comment la faire évoluer. C’est pourtant l’institution culturelle la plus importante du pays avec la Scala. À la tête du célèbre opéra milanais vient d’être nommé Fortunato Ortombina. C’est une personne préparée et honnête qui n’affiche pas ses opinions politiques. Mais le seul commentaire fait par le ministre de la Culture a été de se féliciter qu’enfin un Italien dirigeait de nouveau la Scala après trois directeurs étrangers d’affilée. C’est consternant de provincialisme.
Je ne suis pas le seul ! C’est du pain bénit pour les journalistes. Dès qu’il ouvre la bouche il fait une gaffe, d’où le surnom que la profession lui a attribué. Il n’a aucun projet clair et défini. Sa nomination est étrange car celui qui était prévu et plus apte à occuper ce poste était Giordano Bruno Guerri. Ce grand écrivain, historien et directeur du Vittoriale, la demeure de Gabriele D’Annunzio sur le lac de Garde, a prouvé qu’il est à la fois un intellectuel émérite et un très bon gestionnaire. On ignore pourquoi Gennaro Sangiuliano a fini par décrocher le fauteuil de ministre de la Culture. Certes, il n’est pas totalement incompétent pour remplir cette fonction, comme l’étaient ses prédécesseurs Sandro Bondi sous Silvio Berlusconi ou plus récemment le populiste du Mouvement 5 étoiles Alberto Bonisoli. Il a une plus grande carrure intellectuelle mais il est incapable d’élaborer une politique culturelle. Il ne sait même pas par où commencer.
L’extrême droite au pouvoir est restée très attachée à une idéologie du XXe siècle et le concept d’« hégémonie culturelle » qu’elle revendique a paradoxalement été forgé par un intellectuel communiste, Antonio Gramsci [1891-1937], bien avant l’avènement de la télévision et bien sûr des réseaux sociaux. Le gouvernement est tourné vers le passé et des affrontements d’époques révolues comme ceux entre les fascistes et les communistes. C’est en outre valable pour la gauche italienne. La preuve, c’est que la première préoccupation de l’extrême droite en arrivant au pouvoir a été promouvoir des programmes télévisés comme si on était encore dans les années 1960 et que le petit écran, avec sa chaîne unique, définissait l’imaginaire culturel du pays. Un rôle qu’elle a bien évidemment perdu aujourd’hui.
Giorgia Meloni n’a pas de classe dirigeante à la hauteur autour d’elle. Elle est une excellente propagandiste, ce qui ne veut pas dire qu’elle est une « bonne » femme politique. Son entourage proche est véritablement embarrassant et caricatural. Silvio Berlusconi l’était également par bien des aspects, mais il y a une grande différence. Pour le Cavaliere, la culture était un élément mystérieux et sans importance ou influence. En revanche, Giorgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia, bien que ne possédant pas la culture et ne sachant pas comment la manier, nourrissent un respect révérencieux à son égard. Reste un point que la droite et l’extrême droite doivent clarifier. À quelle famille culturelle se réfèrent-elles ? La fasciste ? la libérale conservatrice ? la libérale modérée ? la catholique ?
La droite conçoit la culture seulement comme la préservation du patrimoine, jamais avec un désir d’innovation. En absence de tout projet nouveau, Gennaro Sangiuliano continue de revendiquer des mesures ou des réformes lancées juste avant son accession à la tête du ministère. Il se contente de défendre le passé alors qu’il faudrait investir sur l’avenir pour bâtir la culture de demain. C’est la grande différence entre la France et l’Italie. Vous avez eu le courage de construire la pyramide du Louvre, qui n’a pas été qu’un geste architectural mais a secoué les institutions. Ici tout est figé. L’Italie est un pays mort culturellement depuis des décennies. Le débat ne porte que sur de vieilles chimères désuètes sans se projeter vers le futur pour le préparer. Des investissements sérieux devraient être lancés d’urgence pour soutenir et stimuler la création contemporaine qui est complètement délaissée.
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Alberto Mattioli, journaliste : « Le débat en Italie ne porte que sur de vieilles chimères désuètes »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°635 du 7 juin 2024, avec le titre suivant : Alberto Mattioli, journaliste : « Le débat en Italie ne porte que sur de vieilles chimères désuètes »