Justice

Affaire Maurizio Cattelan : l'art contemporain débattu au tribunal

Par LeJournaldesArts.fr (avec AFP) · lejournaldesarts.fr

Le 16 mai 2022 - 571 mots

PARIS

Qui est l'auteur d'une œuvre composée d'une sculpture réalisée par un artiste, mais pensée et mise et scène par un autre ? La question a été posée vendredi au tribunal judiciaire de Paris, dans l'affaire opposant Daniel Druet à Maurizio Cattelan.

Le tribunal a mis en délibéré au 8 juillet sa décision, dans ce procès qui agite le milieu de l'art contemporain. L'Italien de 61 ans est visé par une plainte pour violation des droits d'auteurs de l'artiste français Daniel Druet, 80 ans, qui avait réalisé pour lui des sculptures saisissantes de réalisme entre 1999 et 2006.

Devant la 3e chambre, spécialisée dans la propriété intellectuelle, l'avocat de M. Druet a plaidé le caractère unique de la création de cet artiste recruté grâce à ses réalisations pour le musée Grévin à Paris. « Des sculpteurs qui sculptent comme Daniel Druet, il n'y en a pas cinq. (...) Daniel Druet était cher et, malgré cela, on est venu le voir lui », a affirmé Me Jean-Baptiste Bourgeois au sujet de son client, présent au tribunal.

« Quand on regarde le travail de ces œuvres, il est incontestable qu'on a une expression artistique », alors que « M. Cattelan, de son propre aveu, est incapable de sculpter, est incapable de peindre, est incapable de dessiner », a-t-il ajouté.

Les débats ont tourné surtout autour d'une des œuvres dont M. Druet revendique la paternité, Him (2001), qui représente un Adolf Hitler de la taille d'un enfant, en train de prier à genoux.

L'artiste italien, qui habite à New York, était absent. Son avocat, Me Éric Andrieu, a dénoncé le « péché originel » d'une procédure où Maurizio Cattelan n'était pas cité initialement, alors que le plaignant demande son « expropriation ».

« Précision mathématique »

« C'est complètement extravagant », a-t-il lancé, demandant à invalider la procédure pour vice de forme. Et sur le fond, « la réalisation matérielle de l'œuvre passe au second plan par rapport à sa conception », selon Me Andrieu. « M. Druet a un savoir-faire (...) mais ce savoir-faire ne donne aucun choix créatif parce que tout ce qu'il va faire c'est de suivre des instructions », a-t-il encore souligné.

Me Pierre-Olivier Sur, l'avocat du galeriste de Maurizio Cattelan, Emmanuel Perrotin, a insisté sur la précision des instructions de l'artiste « conceptuel » italien. Comme quand il indique de combien de millimètres doivent être abaissées les paupières d'un John Fitzgerald Kennedy représenté dans un cercueil (Now, 2004). « Bien évidemment, l'auteur, c'est Cattelan. (...) Même si on ne touche pas à la matière, dès lors qu'on donne des instructions sur le concept même on peut être l'auteur, et l'auteur exclusif », a-t-il déclaré. « C'est une énorme mauvaise foi d'indiquer : il [Cattelan] s'est contenté de photos. (...) Ce sont des instructions d'une précision mathématique », a ajouté Me Sur.

« Je pense que M. Cattelan peut revendiquer des droits sur l'installation », avait estimé Me Bourgeois. Mais M. Druet a réalisé « ce regard qui est terrible, c'est ça qui fait peur », et « a fait faire les tissus » qui habillent cet Adolf Hitler.

Le sculpteur français réclame la paternité exclusive de neuf œuvres de Maurizio Cattelan, et un dédommagement de quatre millions d'euros. Interrogé par l'AFP après l'audience, M. Druet s'est dit « dépassé par le retentissement » médiatique de l'affaire qu'il a lancée.

Cet artiste formé aux Beaux-Arts a redit sa prétention à être l'auteur des sculptures. « Elles sont de moi. Chacun doit rester sa place », a-t-il affirmé, rejetant le débat sur la scénographie : « Ce n'est pas mon domaine ».

Par Hugues Honoré

Cet article a été publié par l'AFP le 13 mai 2022.

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