PARIS [08.08.16] - Un rapport d’information sur les moyens de Daech [acronyme arabe de l’État islamique], corédigé par les députés Poisson (LR) et Arif (PS), met en lumière les sources de financement de l’organisation djihadiste. « Les revenus tirés du trafic d’œuvres d’art sont certes probablement secondaires mais la lutte contre ce trafic n’en est pas moins nécessaire », soulignent-ils.
Le rapport du 13 juillet 2016 dresse une synthèse mesurée de l’importance du trafic de biens culturels au profit de l’organisation djihadiste, de ses relais sur le marché de l’art mondial et des initiatives, parfois surprenantes, auxquelles il donne lieu. Rappelant que le trafic d’œuvres d’art dans la région contrôlée par Daech n’est pas né avec l’émergence de cette organisation terroriste, le rapport n’en souligne pas moins le phénomène d’industrialisation qui est à l’œuvre. De la création d’un « département des antiquités », à l’octroi d’autorisations de fouilles – même si l’on creuse davantage que l’on ne fouille –, jusqu’à la mise en place d’usines syriennes spécialisées dans la fabrication de faux objets, les moyens d’actions sont très divers et structurés. Néanmoins, la réalité de l’impact de ce commerce illicite sur le financement de Daech serait plus limitée qu’il n’y paraît. Plusieurs facteurs justifient cette conclusion.
Les réalités du trafic
En premier lieu, la majorité des biens objets du trafic sont de « faible valeur unitaire » : pièces de monnaie, objets en bronze ou en terre cuite de la vie quotidienne de l’Antiquité, objets de verre ou de céramique, voilà l’essentiel du trafic. Rares sont ceux dont la valeur dépasserait le million d’euros, voire même 10 000 euros. En deuxième lieu, les plus beaux objets seraient actuellement stockés pour un certain temps – de cinq à quinze ans – avant leur mise sur le marché. L’objectif poursuivi est ici de « blanchir » ces objets en les revendant à plusieurs reprises afin de faire croire aux futurs acheteurs que leur provenance a été vérifiée. Les fantasmes entourant le recours aux ports francs, notamment celui de Genève, sont balayés par le rapport d’information qui rappelle les nouvelles mesures prises sur la traçabilité des œuvres en leur sein. En troisième lieu, et pour ce qui est des acteurs concernés, selon le rapport « il est possible d’affirmer avec une quasi-certitude que le souci de la traçabilité est partagé par les principaux musées et par les maisons de ventes, au moins en raison du risque réputationnel qu’il y aurait à acheter des œuvres en provenance des territoires contrôlés par Daech ». Le profil type des collectionneurs éventuels correspond à une frange restreinte de personnes très riches et plutôt âgées alléguant avoir trouvé ces œuvres « dans le filet des pêcheurs ». Une fois acquises par ces collectionneurs, les œuvres ne circuleraient plus pendant des décennies entières.
Les routes du trafic
Deux routes sont principalement visées par le rapport : la mise en circulation physique et immatérielle par le recours accru à Internet. Sur ce dernier point, les trafiquants usent tant de l’Internet visible, du « deepweb » (dit aussi « web invisible » ou « web caché », désignant un contenu accessible en ligne mais non indexé par les moteurs de recherche classiques) ou du « darknet » (réseau virtuel anonyme, chiffré, difficilement repérable et conçu pour fonctionner avec un nombre restreint de contacts connus). Il est cependant très difficile d’identifier si les objets vendus sur Internet sont le résultat du trafic d’œuvres d’art contrôlé par Daech ou sont tout simplement des faux dont la vente profite à d’autres acteurs, selon le rapport. Quant aux routes physiques, il est très probable que le trafic des antiquités transite par des intermédiaires locaux préexistants à Daech. Les pays du Golfe, le Royaume-Uni ou les États-Unis sont les lieux de destinations privilégiés des objets en provenance d’Irak et de Syrie. Enfin, le rapport relève qu’il est très difficile de savoir si certaines œuvres d’art circulent avec les flux de migrants. Il est néanmoins probable que les migrants emportent avec eux des figurines ou pièces de monnaie, dans l’espoir de les sauver de la destruction ou d’en tirer un revenu. Toutefois, cela ne représenterait pas une part importante du trafic d’œuvres d’art libyennes, syriennes ou irakiennes.
Fort de ces constats, le rapport milite pour un renforcement des moyens humains et juridiques en France, au sein de l’Union européenne et au niveau de la communauté internationale. L’instauration de normes contraignantes, en raison de la forte concurrence entre ports francs, semble notamment nécessaire. Enfin, pour ce qui est du port franc de Genève, la réglementation existante pourrait désormais être complétée par l’obligation de faire figurer sur les inventaires, non plus seulement le propriétaire, mais également l’ayant-droit économique.
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Trafic de biens culturels et financement de Daech
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Abonnez-vous dès 1 €Pièce de verre syrienne datant de la Dynastie des Califes Omeyyades vers 743 © Photo Walters Art Museum - 2012 - Photo sous Licence Domaine public CC0 1.0