PARIS [28.06.2010] – Après des débuts prometteurs, l’élan du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a singulièrement ralenti. L’opinion l’apprécie, mais les professionnels attendent des décisions.
La volonté d'agir du ministre s'est-elle brisée sur l'écueil du scandale provoqué par son livre, dont la première publication, en 2005, n'avait pourtant guère suscité d'émoi ? Force est de constater que, depuis octobre 2009, le bilan de Frédéric Mitterrand ne s'est guère étoffé.
Après la précipitation à agir de Jean-Jacques Aillagon, la fausse agitation politicienne de Renaud Donnedieu de Vabres puis la lettre de mission de Christine Albanel a suivi la docilité de Frédéric Mitterrand. Si l’on peut contester le libéralisme culturel et certaines décisions du premier, il faut lui reconnaître d’avoir agi et modifié le paysage des musées. De même, on peut reprocher à Christine Albanel son manque de vision, mais il faut lui donner acte d’avoir dû exécuter une feuille de route imposée. D’une certaine façon, le surplace de RDDV ressemble à celui de Frédéric Mitterrand. L’un et l’autre ont entamé leur mandat en privilégiant l’écoute, une façon de se donner du temps, mais le tempo de la vie publique exige de passer aux actes plus rapidement.
Une capacité d’action amoindrie
Le style oratoire a certes changé, mais l'action du ministère n'en a guère été relancée. Peu de décisions ont été prises et plusieurs arbitrages tardent à intervenir. On peut inscrire à l’actif du ministre d’avoir mis un point final à la saga législative Hadopi, posé sur les rails la numérisation des livres et obtenu un bon budget 2010 pour le patrimoine. Mais dans l’autre colonne, certains chantiers ne sont toujours pas ouverts (démocratisation culturelle, soutien à l’art contemporain) tandis que plusieurs dossiers attendent des décisions : droit de suite, Maison de l'histoire de France, avenir du patrimoine photographique, mais aussi des musées nationaux dits services à compétence nationale. En un an, les dossiers – autres que ceux de l'audiovisuel, pilotés par l'Élysée – se sont accumulés. « Mitterrand n’est pas en capacité de redonner du sens à ce ministère, car il s’est pris les pieds dans le tapis », déplore le député Marcel Rogemont, vice-président de la Commission des affaires culturelles et de l'éducation. Un haut responsable du PS, maire d’une grande ville, nous déclarait récemment : « Mitterrand ne prend pas de décision, il semble paralysé par la peur. »
Un ministre apprécié par l’opinion publique
Un bon ministre de la Culture se juge à ses orientations à l’égard des attentes de l’opinion publique d’une part et des professionnels d’autre part, disions-nous dans le premier épisode de ce feuilleton. La cote de popularité de Frédéric Mitterrand dans l’opinion reste relativement élevée. S’il n’y a plus que 24 % de Français qui ont envie « de lui voir jouer un rôle important dans le futur », selon TNS Sofres / Le Figaro Magazine, ils sont 44 % à avoir une opinion favorable selon IPSOS / Le Point en juin 2010, quand Jack Lang obtient 51 % d’opinion favorable. Pas si mal. Alors qu’une partie du public n’a pas digéré La Mauvaise Vie, une autre apprécie sa belle figure dans les cérémonies culturelles et ses hommages lyriques. Il faut dire que l’ex-présentateur d’Étoiles et toiles est passé maître dans l’art de célébrer les disparus. De Patrick Topaloff à Louise Bourgeois, de Dennis Hopper à Sigmar Polke, ses nécrologies vont bientôt remplir un volume complet de « La Pléiade ». Cinq jours après sa nomination, le tout nouveau ministre de la Culture est invité sur tous les plateaux pour évoquer Michael Jackson qui vient alors de disparaître. Idéal pour lancer une carrière. Depuis, le ministre a bien compris que son salut médiatique passe par la presse grand public. Il accepte volontiers que Le Monde 2 publie une photo de lui dans sa chambre, mais refuse soigneusement tout entretien avec les journalistes spécialisés, comme avec la rédaction d’Artclair.com qui l’a évidemment sollicité, en vain, pour cette enquête.
Un décevant manager d’équipe
Du côté des professionnels, l’enthousiasme est retombé. Le personnel culturel avait accueilli sa nomination avec bienveillance, après le discours un peu terne de son prédécesseur. Il a applaudi lorsque le ministre a exigé que l’on accroche de nouveau à l’École des beaux-arts les panneaux censurés de l’artiste chinoise et très vite oublié qu’il a interdit un concert organisé par Les Inrocks devant la pyramide du Louvre.
Cela tient en partie à ce qu’il n’a pas su constituer un cabinet, une task force à son service. Peu imaginatif sur ce point, Frédéric Mitterrand a préféré reconduire l'essentiel de l'équipe précédente. Dépêché pour sa part du Quai Branly, Pierre Hanotaux, nommé directeur de cabinet, a par ailleurs dû gérer la rivalité des deux jeunes conseillers montés en grade, Olivier Henrard – écarté fin 2009 – et Mathieu Gallet, recasé depuis à la tête de l'Institut national de l'audiovisuel (INA). Et s'accommoder des rapports extra-hiérarchiques de deux proches du ministre, Jean-Pierre Biron et Francis Lacloche. Plusieurs mois après la nomination de l'ancien animateur de télévision à la Rue de Valois, le staff technique continue toujours de subir des ajustements peu propices à la gestion des dossiers.
La menace budgétaire
Pourtant, il faudra être en ordre de bataille pour affronter la rentrée et la présentation du premier budget négocié véritablement par la nouvelle équipe. Nul n'ignore que le contexte sera difficile, les premiers signes indiquent une baisse de 10 % de l'enveloppe de tous les ministères. Or dans le cas de la Culture, les marges de manœuvre sont très faibles. « Si on ne maintient pas le budget de la Culture à un niveau suffisant, il perdra de sa substance. D'autant que les collectivités sont obligées de baisser leur engagement. Est-ce là un projet politique ? », s'interroge le député Marcel Rogemont. « La culture va souffrir, non pas tant d'un affaiblissement du ministère que des difficultés des collectivités territoriales, confirme l'universitaire Françoise Benhamou. Ces structures vont donc se retourner vers l'État, qui n'a pas la main pour répondre à cette demande. La difficulté du ministre sera de gérer cette pénurie, qui n'est pas la sienne, et de faire des choix, ce qui n'est pas dans la culture du ministère, qui pratique plutôt le saupoudrage. » Car au niveau de l'enveloppe de la Rue de Valois, il ne sera guère facile d'enlever du gras, hormis en acceptant de prendre la décision impopulaire de sacrifier quelques grands projets.
« Le grand défi se situe sur le plan budgétaire, confirme l'universitaire Emmanuel Wallon. Il faut réussir à dégager des marges pour l'initiative, l'innovation et l'offre culturelle et le faire sans trop fragiliser les établissements existants. Il ne s'agit pas de nier qu'il y a des économies à réaliser, mais si on part du principe que l'art et le patrimoine ne se traitent qu'avec une approche comptable, nous serons perdants. » La baisse de la dotation des établissements publics devrait s’accélérer.
Mais une autre menace pèse aujourd'hui sur les finances de la Culture. Bercy a en effet laissé entendre que les dispositions fiscales relatives au mécénat pourraient être revues à la baisse. Ce qui signifierait une double peine pour les établissements publics culturels – après la baisse de leur subvention –, qui seraient ainsi pénalisés dans leur quête de ressources propres.
L'heure est donc venue pour le ministre de montrer sa capacité à peser et à convaincre Bercy des dangers qui planent sur le budget de la Culture. « Pour le ministre, le budget de la rentrée sera le moment, s'il a un peu de coffre, d'intervenir, souligne Emmanuel Wallon. Il lui faudra avoir le courage de dire qu'on s'est trompé en gendarmant les collectivités, car cette politique a eu pour conséquence une mise en danger de l'initiative culturelle sur le plan local. Il faut encourager et non brider les collectivités. » Car la culture, au-delà de son rôle social primordial, porte aussi des enjeux économiques. « La culture est indispensable à une stratégie de sortie de crise, poursuit Emmanuel Wallon. Il ne faut pas affaiblir cet atout de notre pays. Un modèle de développement qui ne reposerait pas sur la culture est condamné d'avance. »
Le ministre se targue d’avoir le soutien du président de la République, ce qui est probable. Alors qu’il avait dû sa nomination à la Villa Médicis à Rome à une polémique lancée par Olivier Poivre d’Arvor, qui attend toujours un poste d’ambassadeur, et que le Président avait tenu à organiser un recrutement en bonne et due forme, il a choisi son successeur, Éric de Chassey, sans passer par un « appel d’offres ».
À moins d’une nouvelle polémique, il devrait aller jusqu’en 2012, au prix d’un engourdissement de l’action publique masqué par de vibrants hommages et des smokings bien repassés.
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Chronique mitterrandienne (V) : épilogue
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Abonnez-vous dès 1 €Frédéric Mitterrand pendant les débats sur HADOPI 2 (23 juillet 2009) - Photographe Richard Ying - Licence Creative Commons 2.0