PARIS
À la fois musée et maison d’artiste, l’institution modernisée de la place des Vosges plonge les visiteurs dans les goûts du grand écrivain.
À quoi ressemble l’antre d’un génie ? Si cette question vous intrigue, direction la très chic place des Vosges. Reconnaissable entre toutes à sa forme carrée et à ses façades blanches et roses, dans une alternance de briques et de pierres typique du règne de Louis XIII, cette fameuse place de la capitale a hébergé quelques-unes des plus grandes gloires de notre panthéon culturel. Ce lieu éminemment pittoresque a tout particulièrement aimanté les plumes : Colette, Simenon, mais aussi Alfonse Daudet et Théophile Gautier, sans oublier le plus grand des écrivains français : Victor Hugo. Caché derrière la lourde porte cochère du n° 6, son ancien appartement se love ainsi dans un cossu hôtel particulier. Un lieu hors du temps, à l’abri du tumulte de la ville, qui constitue depuis son inauguration en 1903 une station de pèlerinage obligatoire pour les hugolâtres et un lieu d’émerveillement pour tous les amateurs d’art décoratif.
Un incontournable du patrimoine parisien donc, encore sublimé par sa récente modernisation. À la fois sanctuaire, musée et maison d’artiste, le lieu abrite en effet d’importantes collections d’œuvres et d’objets ayant appartenu à l’illustre locataire, mais aussi créés par ses soins. Conçu comme une biographie en trois dimensions, le parcours entremêle les créations méconnues du Hugo décorateur avec des œuvres inspirées par ses textes ainsi que des reliques, à l’instar de son lit mortuaire. La demeure du poète n’a toutefois rien d’un pompeux monument. Elle s’apparente au contraire à un facétieux bric-à-brac. Quel contraste en effet entre la très classique façade extérieure et la débauche décorative qui attend le visiteur au sein de la maison. « L’esprit comme la nature a horreur du vide », écrit-il dans L’Homme qui rit. Sans doute pensait-il à sa propre collectionnite et à son obsession de l’œuvre d’art totale.
La maison se visite à la manière d’un livre que l’on feuillette. Chaque pièce représentant un chapitre sur l’axe narratif qui s’articule avant, pendant et après l’exil, l’événement fondateur de la légende hugolienne et qui marque un véritable tournant dans sa compulsion décorative. Chaque salle possède ainsi une identité propre et forte. Une tonalité qui correspond à une ère : le damas grenat évoque le décor aristocratique du salon littéraire où affluait le Tout-Paris romantique, tandis que les panneaux chinois et les motifs d’inspiration jungle, d’une modernité stupéfiante, sont la toile de fond des années d’exil. L’évocation de cette époque est sans surprise la partie la plus spectaculaire, puisque c’est en effet durant cette période que le romancier donna libre cours à sa passion dévorante de la décoration.
En compagnie de sa maîtresse, Juliette Drouet, ce chineur compulsif prospecte alors auprès des brocanteurs de l’île de Guernesey et déniche des objets médiévaux, Renaissance ou exotiques, avec une prédilection pour les cabinets et les coffres. À tel point que la famille se remémorera cette tocade comme « la chasse aux vieux coffres ». Une fois démantelés, ces objets sont réassemblés par des menuisiers selon les dessins de Hugo en fonction de sa fantaisie ou pour des besoins particuliers ; dans une poésie du télescopage permanent des époques et des styles. Le romancier, qui aime travailler debout, fait ainsi surélever un meuble à la manière d’un collage. Pour la maison de sa maîtresse, il dessine un mobilier inventif et malicieux, à l’image de cette étonnante table qui surprend encore aujourd’hui le visiteur. Hugo détourne ainsi une pieuse effigie de saint Michel pour en faire le pied d’une table à abattant !Homme de son temps, l’écrivain cultive un goût prononcé pour l’éclectisme et mêle allégrement l’esthétique néogothique aux inspirations asiatiques. Le salon chinois donne ainsi à voir sa collection de porcelaines qui recouvrent littéralement tous les murs. À l’exception des étonnantes boiseries qui ornent cette pièce. Et pour cause, ces panneaux ne sont pas des décors chinés, mais le chef-d’œuvre méconnu du romancier. S’inspirant de motifs glanés sur des tissus et des décors, Hugo les reproduit sur des boiseries créant une œuvre pleine de poésie et d’humour. Monogrammes des amants, fleurs et oiseaux dialoguent ainsi avec des personnages croquignolets dans un décor léger et fantaisiste. Une vision intime et espiègle de Hugo qui ferait presque oublier que c’est entre ces murs qu’ont été noircies quelques-unes des plus célèbres pages de notre littérature, à commencer par les ténébreux Misérables !
Exposition : Biard amarre chez Hugo
À l’occasion de sa réouverture, le musée impulse une nouvelle politique d’exposition axée sur les artistes proches de Hugo. L’institution braque les projecteurs sur François-Auguste Biard. Un peintre dont la proximité avec l’écrivain se résume à une femme : Léonie d’Aunet, épouse de l’artiste et maîtresse du romancier, avec qui elle entretient une folle passion. On ne saurait toutefois tenir rigueur au musée de s’appuyer sur ce prétexte romanesque, tant cette exposition est nécessaire et réjouissante.Il s’agit de la toute première rétrospective de cette gloire oubliée du XIXe siècle qui exposa au Salon presque sans discontinuer de 1824 à 1882. Un marathonien autant adulé du public que détesté par la critique ; à commencer par Baudelaire, qui voyait en lui un artiste de seconde zone à l’ambition universelle. Il faut dire que cet infatigable travailleur et voyageur s’est essayé avec délice à tous les genres avec un sens inné du grand écart : depuis les paysages du Nord, les scènes orientalistes, jusqu’à ses représentations engagées de l’esclavage, sans oublier ses tableaux de genre. Le dénominateur commun de cette carrière prolixe ? Son talent de conteur et son sens de l’observation, que l’artiste porte son regard sur les coutumes des Samis ou sur les mœurs de ses contemporains. On l’a oublié, mais ses scènes burlesques étaient alors si prisées que leur présentation au Salon constituait un véritable événement, suscitant des attroupements inouïs. Un artiste à redécouvrir avec gourmandise.
Isabelle Manca
« François-Auguste Biard, peintre voyageur »,
Maison Victor Hugo, 6, place des Vosges, Paris-4e. Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Accès gratuit dans les collections permanentes, expositions de 7 à 9 €. www.maisonsvictorhugo.paris.fr
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Victor Hugo, sa maison sublimée !
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°743 du 1 avril 2021, avec le titre suivant : Victor Hugo, sa maison sublimée !