BORDEAUX
Le Muséum d’histoire naturelle rouvre ses portes le 30 mars à l’issue d’un projet de rénovation du bâti existant et d’extension des espaces d’expositions qui fait la part belle à 4 000 spécimens présentés au sein du parcours.
Tel le serpent, il aura, le 30 mars, complètement achevé sa mue. Le moins que l’on puisse dire est que le « nouveau » Muséum d’histoire naturelle de Bordeaux est un projet de longue haleine. « En réalité, les premières idées de réorganisation du musée ont émergé en 1997, et la première ébauche programmatique date de l’an 2000, raconte Nathalie Mémoire, directrice du musée. Ce n’est qu’en 2006 que le projet sera définitivement lancé par la mairie. » Suivra un concours d’architecture, l’élaboration des plans puis, en 2011, le dépôt du permis de construire. Les travaux débutent à l’été 2015. Avec un gros œuvre livré à l’automne 2017, l’édifice était programmé pour ouvrir en novembre 2018. N’était-ce le violent orage de grêle qui toucha Bordeaux le 26 mai 2018 et qui affecta fortement le chantier, retardant de plusieurs mois l’inauguration. Bref, dix ans de fermeture pour formaliser aujourd’hui une institution à trois têtes.
Hormis le Muséum en tant que tel, planté dans le jardin public, en plein cœur de la capitale girondine, et dans lequel se déploient les collections, deux autres bâtiments accompagnent, depuis 2011, la métamorphose du musée. D’un côté, dans le quartier de Bacalan, le Centre de conservation des collections (CCC) consiste à la fois en une vaste réserve – 1 000 m2 pour abriter un million de spécimens – et en un lieu de travail et de recherche. De l’autre, le « pavillon administratif » – 417 m2, en l’occurrence les bureaux et la bibliothèque –, logé dans l’aile sud d’un ancien édifice oblong du jardin public, sur lequel s’appuyaient les serres jusqu’à leur démolition en 1930.
À deux pas du pavillon administratif, se situe donc la pièce maîtresse qu’est l’hôtel de Lisleferme, bel hôtel particulier qui héberge, depuis 1862, les collections du Muséum d’histoire naturelle. Construit en 1781 par l’architecte Richard-François Bonfin pour le compte de Nicolas de Lisleferme, avocat au parlement de Bordeaux, mais aussi poète et ami des arts, il fut ensuite acquis par la ville et transformé en musée en 1859. Ainsi, jadis central, le grand escalier qui dessert les deux étages a été déplacé à l’extrémité sud-ouest du bâtiment, libérant, de part en part, de vastes plateaux. Depuis, l’édifice n’avait quasiment pas été réaménagé et l’institution, au fil du temps, manquait de place. D’où ce projet d’ampleur.
La vaste rénovation-extension a été confiée à Sébastien Loiseau et à Olivier Landrin, alias Basalt Architecture, déjà auteurs, en 2017, d’un projet dans le même registre : le Musée des pêcheries à Fécamp (76), installé dans une ancienne sécherie de poisson. À Bordeaux, outre la restructuration des espaces historiques de l’hôtel de Lisleferme (2 315 m2), le duo a aussi créé, en sous-sol, une extension de 500 m2 dédiée aux expositions temporaires. La muséographie, elle, est signée par l’agence franco-allemande Die Werft. Coût total des travaux : 16 millions d’euros (aménagement muséographique et construction du CCC inclus).
Dès l’accueil au rez-de-chaussée, le visiteur plonge dans le grand bain « animalier ». Tout autour de la billetterie, les premières vitrines ou podiums abordent d’emblée quelques thématiques comme la couleur, avec une série de spécimens aux étonnants camaïeux, ou l’échelle, à travers la présentation de tandems insolites, tels le colibri et l’autruche ou la musaraigne et l’éléphant. Non loin s’exhibe un splendide squelette de boa, suite de côtes et de vertèbres tel un délicat collier. On trouve également, à ce niveau, plusieurs salles de médiation ainsi qu’un « mini-muséum » de 100 m2, destiné aux tout-petits (moins de 6 ans).
Au premier étage, se déploie un espace pour les présentations semi-permanentes, lesquelles permettront de gérer, tous les trois ou quatre ans environ, le roulement des pièces autres que celles dévoilées dans l’exposition permanente. Restauré, le salon ovale de style Louis XVI arbore des boiseries sculptées par Barthélémy Cabirol représentant les quatre saisons.
Au second et dernier étage, l’ancienne galerie du XIXe a été revue et en partie corrigée. Si les vitrines sur pied d’époque ont été cédées aux enchères, celles murales, en revanche, ont subi un entier démontage, une restauration, puis un remontage à l’identique. Agrémenté d’un « spectacle multimédia immersif », le lieu évoque une sorte de « tour du monde » des espèces, y compris une singulière vitrine sur le thème de la tératologie, autrement dit l’étude des anomalies et autres malformations congénitales. S’y affichent, entre autres, deux moutons « monstrueux » : l’un cyclocéphale – à un œil –, l’autre à deux têtes. Mais le clou du spectacle est, à n’en point douter, cet immense squelette de rorqual commun, suspendu dans les airs comme en lévitation. Datant de 1881 et jadis présenté en pièces détachées, faute de place, il est ici pour la première fois remonté en « connexion anatomique », soit, au total, une envergure d’une vingtaine de mètres. Une merveille d’ostéologie. Avis aux braconniers : inutile de lorgner les cornes du rhinocéros ! Histoire de prévenir tout vol, les originales ont été déposées et remplacées par des excroissances en… résine.
Un nouveau parcours muséographique
À nouvelle organisation, nouveau parcours muséographique : « L’occasion était belle de repenser entièrement la présentation en fonction des nouveaux centres d’intérêt du public, comme la biodiversité et l’environnement, explique Nathalie Mémoire, directrice du Muséum d’histoire naturelle de Bordeaux. Nous voulions montrer à la fois la diversité du vivant et la variété des enjeux d’un Muséum aujourd’hui. » Résultat : un parcours permanent renouvelé sous l’angle de la place de l’homme dans la nature et de l’impact de ses activités sur l’environnement, et un propos scientifique actualisé pour inviter à une réflexion autour de la préservation de la biodiversité. La présentation a été amplement modernisée grâce à l’apport, notamment, de 22 bornes multimédias. Sur le million de spécimens dont dispose le Muséum, sont aujourd’hui exposées 3 500 espèces – dont près de 2 000 restaurées pour l’occasion –, coquillages (977) et oiseaux (921) l’emportant haut la main sur les mammifères (373), reptiles (311) et autres insectes (262). Une sélection renouvelée à 20 %. Le budget d’acquisition octroyé par la municipalité s’élève, lui, à environ 20 000 euros par an.
Christian Simenc
Muséum d’histoire naturelle, 5, place Bardineau, Bordeaux (33), www.bordeaux.fr/p63912/museum-de-bordeaux
Exposée dans une vitrine murale au second étage, la plus ancienne « pièce » de la collection, un crocodile, date du XVIIIe siècle. Il faisait partie du cabinet d’histoire naturelle offert à la ville, le 4 juin 1804, par Bernard Journu-Auber et constitué, dès 1754, par son père, Bonaventure Journu, richissime négociant et armateur bordelais. Une collection de qualité, dont le détail avait même, à l’époque, été envoyé au fameux naturaliste suédois Carl von Linné. Aujourd’hui, le reptile figure sur une liste d’« animaux types » à protéger en priorité en cas de sinistre, dont font, entre autres, partie un mollusque de Nouvelle-Calédonie et un loup de Tasmanie.
Ours-parapluie
L’ours polaire, visible au deuxième étage, est ce que l’on appelle, en écologie, une « espèce parapluie » (Umbrella Species, en anglais). Traduction : il s’agit d’une espèce dont la « niche écologique », autrement dit l’espace vital, permet la protection d’un grand nombre d’autres espèces, si celui-ci est protégé. En clair : restaurer et défendre son territoire des prédateurs – dont l’homme ! – a pour conséquence immédiate de protéger la biodiversité associée.
Cabinets phares
Avec plus de deux siècles au compteur, le fonds du Muséum de Bordeaux constitue l’une des premières collections publiques créées au lendemain de la Révolution française. Il résulte, à l’origine, de la réunion de deux cabinets d’histoire naturelle emblématiques : celui d’un disciple de Montesquieu, le professeur Latapie, et celui de l’armateur Bernard Journu-Auber, tous deux légués à la ville respectivement en 1791 et en 1804. Ces ensembles fondateurs témoignent aussi d’une époque où Bordeaux fut un centre important de l’activité portuaire et maritime, les flottes commerciales rapportant dans leurs soutes des richesses du monde entier.
Miss fanny
Au rez-de-chaussée du musée, l’éléphant qui accueille les visiteurs est en réalité une éléphante des Indes répondant au doux nom de « Miss Fanny ». Exposée au XIXe siècle dans une ménagerie, elle vécut l’hiver à Marmande, le printemps à Bordeaux où elle mourut, place des Quinconces, en mars 1892. Un conservateur du Muséum, le professeur Fallot, acquit l’animal et l’envoya chez un équarisseur, à Eysines. Des charpentiers furent alors mis à contribution pour fabriquer une structure à ses mensurations, faite de bois, de toile et de plâtre, ensuite habillée avec la véritable peau de l’animal. Miss Fanny entra au Muséum le 7 mai 1892.
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Un « nouveau » Muséum à Bordeaux
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°722 du 1 avril 2019, avec le titre suivant : UN "NOUVEAU" Muséum À BORDEAUX