Renaissance

Un circuit Léonard en Val-de-Loire

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 14 août 2019 - 1697 mots

VAL DE LOIRE

La région où l’artiste a passé la fin de sa vie ne pouvait pas manquer le 500e anniversaire de sa disparition. Les sites majeurs du territoire ligérien proposent un chapelet d’événements artistiques et scientifiques sondant l’héritage du maître.

Chateau de Chambord © Sebastien Rio
Château de Chambord
© Sebastien Rio

Le petit tableau d’Ingres a été si souvent reproduit qu’il est presque devenu une image d’Épinal. Il dépeint un Léonard à la longue barbe blanche s’éteignant dans son château du Clos Lucé, dans les bras de François Ier. On le sait, cette image relève du mythe car le royal mécène se trouvait en réalité près de Paris au moment du trépas de celui qu’il surnommait affectueusement son « père ». Cette légende a toutefois traversé les siècles et la mort du génie de la Renaissance, comme tout ce qui a trait à sa vie au demeurant, suscite encore mystère et fascination. Le Val-de-Loire, région où l’artiste a passé ses trois dernières années, ne pouvait logiquement pas manquer le 500e anniversaire de sa disparition. Pour cette commémoration, les sites majeurs du territoire ligérien proposent un chapelet d’événements artistiques et scientifiques sondant l’héritage du maître. L’occasion de redécouvrir ces hauts lieux de l’histoire de France et du patrimoine mondial. Ce pèlerinage sur les traces de l’artiste commence évidemment au Clos Lucé, dans le charmant manoir que son protecteur met à sa disposition en 1516 quand il le promeut premier peintre, ingénieur et architecte du roi.

Retrouver l’atmosphère du Clos Lucé

Le jeune monarque, alors l’un des plus en vue d’Europe, rencontre l’artiste quelques mois auparavant en Italie. La légende veut que le coup de foudre ait été réciproque ; la vérité est sans doute plus prosaïque. L’artiste, alors âgé de 64 ans, vient de perdre son mécène, le puissant Julien de Médicis. Sans protecteur et souhaitant poursuivre ses recherches, il accepte l’invitation du fougueux vainqueur de Marignan et entreprend un voyage harassant. Il traverse les Alpes avec son disciple Francesco Melzi et emporte dans ses bagages carnets et manuscrits renfermant le travail de toute une vie, ainsi que plusieurs tableaux dont La Joconde. Une fois installé dans cette résidence de plaisance, extrêmement pittoresque avec son décor de brique rose et de tuffeau, le génie universel a tout le loisir de s’adonner à ses passions : la peinture, l’architecture, la philosophie, le dessin anatomique ou encore l’observation botanique. Il organise aussi de somptueuses fêtes, des reconstitutions de batailles ainsi que des tableaux vivants, qui sidèrent ses contemporains avec leurs automates et leurs effets spéciaux, à la fois sonores et lumineux.

Aujourd’hui, le parcours du coquet manoir évoque le quotidien de l’artiste et ses occupations, à travers des espaces aux atmosphères variées. À l’occasion des 500 ans de sa disparition, le château ouvre un nouvel espace : les ateliers restitués de Léonard. Ces pièces réaménagées évoquent ses méthodes de travail par le biais de fac-similés de dessins, mais aussi des outils, des pigments, des livres anciens ou encore une copie historique du tableau de la sainte Anne. Des mappemondes, des herbiers et des spécimens zoologiques suggèrent également l’ambiance du cabinet de curiosités de ce grand humaniste. Par ailleurs, l’autre événement de l’année 2019 est la présentation exceptionnelle d’une tapisserie monumentale de La Cène, réalisée à partir de la célèbre peinture murale de Léonard. Ce chef-d’œuvre textile de plus de 9 m de longueur a été offert par François Ier au pape Clément VII à l’occasion du mariage de son fils Henri avec Catherine de Médicis. Il quitte pour la première fois les musées du Vatican.

Pèlerinage à Amboise

Pour ceux qui souhaitent se recueillir dans la dernière demeure du maestro, il faut cependant quitter cette bucolique propriété et gagner le château royal d’Amboise. Situé à quelques encablures à peine du Clos Lucé, ce site tranche avec l’ambiance intime du manoir. Juché sur un promontoire dominant la Loire, le château frappe par sa majesté et son élégance. Sous l’impulsion de Charles VIII, le palais fut en effet profondément remanié et mis au goût du jour. Il constitue donc un des laboratoires de la première Renaissance en France. C’est dans ce site incontournable que repose Léonard. Chaque année, des touristes du monde entier se pressent sur sa modeste tombe dans la chapelle Saint-Hubert.

Face à la ferveur des pèlerins, difficile d’imaginer que l’illustre sépulture a failli purement et simplement disparaître ! Après son trépas, la dépouille du Toscan est mise en terre, sans faste, au sein de la collégiale Saint-Florentin. Mais le repos éternel est de courte durée car l’église est détruite sous le premier Empire. Sacrilège, on perd alors la trace de la tombe. Jusqu’à ce qu’Arsène Houssaye, inspecteur des Beaux-Arts, entreprenne en 1863 des fouilles et mette au jour les restes du maître, accompagnés de fragments de sa tombe et de médailles datant du règne de François Ier. Une fois ces éléments authentifiés, la dépouille de Vinci est pieusement inhumée dans la chapelle du château royal.

Pour le 500e anniversaire de sa disparition, le site propose judicieusement une exposition sur les mythes nimbant la mort de Léonard. Cette manifestation interroge la construction de la légende à partir de gravures de la Bibliothèque nationale de France et du célèbre tableau de François-Guillaume Ménageot illustrant cet événement historique. Le château propose par ailleurs un contrepoint résolument contemporain : il a en effet commandé cinq toiles géantes au graffeur italien Andrea Ravo Mattoni, inspirées de détails du tableau de Ménageot.

Si Léonard a fini ses jours choyé comme un grand du royaume, son plus grand mécène n’a pas eu autant de chance que lui. On l’a un peu oublié mais son principal protecteur, Ludovico Sforza, a en effet vécu une terrible déchéance en Val-de-Loire. Le duc de Milan, qui a notamment commandité La Cène, est en effet mort en captivité au donjon de Loches après avoir été capturé durant les guerres d’Italie. Cet impressionnant donjon, qui est l’un des mieux préservés de l’époque romane, a d’ailleurs conservé la trace du passage de ce prisonnier de haut rang puisque des peintures murales réalisées dans le cachot sont attribuées au More. Une exposition lève le voile sur cet épisode historique méconnu et retrace l’action du duc en faveur des artistes de son temps, à commencer par Vinci qui fut à son service pendant vingt ans.

Sur les traces de l’architecte

Parmi les sites majeurs du Val-de-Loire étroitement liés à la personnalité du maestro, un monument divise toujours les spécialistes : Chambord. Si de nombreux historiens voient l’empreinte directe de l’artiste dans les plans de ce château absolument hors norme, et notamment dans son iconique escalier à double révolution, aucun document n’atteste qu’il a réellement participé à son élaboration. Cet incroyable palais qui incarne la quintessence de l’architecture de la Renaissance, avec ses sculptures extrêmement raffinées à l’iconographie très codifiée, fête cette année ses 500 ans. Il célèbre ce jubilé avec une exposition très attendue retraçant l’histoire de cette construction sans équivalent et sondant également l’influence de Léonard. Le château tente par ailleurs de faire ressentir aux visiteurs l’atmosphère de Chambord au faîte de sa gloire en réaménageant le palais tel qu’il devait être en 1545, lors de l’ultime passage de François Ier. Un vaste décor mobile et textile expérimental, conçu par le décorateur Jacques Garcia, permet d’appréhender l’apparence du château durant les périodes habitées, à une époque où la cour était itinérante.

Si la paternité de Léonard dans le dessin de Chambord n’a jamais pu être prouvée, on sait en revanche avec certitude qu’il a planché sur un autre projet d’envergure dans la région : la cité idéale de Romorantin. À la demande du roi, le Toscan a dessiné un somptueux palais et une ville nouvelle qui devait tout bonnement devenir la nouvelle capitale du royaume. La petite ville de Sologne tente depuis quelques années de remettre sur le devant de la scène ce projet abandonné, et plus largement de faire connaître le travail d’ingénieur de Vinci. Pour cet anniversaire symbolique, le musée municipal explore une facette avant-gardiste de la démarche de Léonard : le biomimétisme, c’est-à-dire l’imitation du vivant au profit du progrès scientifique. L’exposition confronte des travaux de Vinci, comme une maquette géante d’aile volante ou son fameux automate de lion mécanique, avec des créations contemporaines issues de l’univers de la robotique mais aussi des inventions poétiques dont celles de François Schuiten.

Une source d’inspiration toujours actuelle

Depuis quelques décennies, on redécouvre en effet pleinement l’étendue des talents de Léonard. Car ce chantre de l’humanisme était non seulement un artiste accompli, mais aussi un philosophe et un savant visionnaire qui a imaginé des machines plus avant-gardistes les unes que les autres. Plusieurs initiatives font revivre l’esprit d’invention de l’artiste ingénieur, à commencer par le Parc Leonardo da Vinci qui propose au Clos Lucé une plongée au cœur des inventions du maestro.

Le Musée des arts décoratifs de Bourges présente également cet été une exposition réinterprétant les fameuses machines imaginées par l’illustre ingénieur. Le musée qui se situe dans un bel hôtel particulier typique de la première Renaissance profite d’ailleurs de cette saison axée sur le XVIe siècle pour inaugurer sa nouvelle muséographie mettant davantage en valeur le mobilier et les objets d’art de cette époque charnière.

Si les inventions léonardiennes continuent d’influencer les scientifiques du XXIe siècle, ses œuvres constituent aussi une source d’inspiration inépuisable pour les artistes d’aujourd’hui. Plusieurs manifestations mettent en exergue cet héritage fécond, dont une exposition prometteuse organisée au château du Rivau. Ce site, qui mérite par ailleurs le détour pour ses écuries monumentales, les plus anciennes de France, convie un aréopage d’artistes contemporains à rendre hommage au père de La Joconde. L’exposition témoigne de l’influence du maître sur des artistes aussi différents que Pierre Ardouvin, Katia Bourdarel, Hélène Delprat ou encore Jan Fabre et Urs Lüthi. Ce collège de créateurs livre ses interprétations de thèmes léonardiens tels que l’utopie, l’autoportrait, le codex ou encore le dessin d’anatomie.

Mona Lisa est évidemment aussi au programme avec, entre autres, une version revisitée par Wolfe von Lenkiewicz. L’artiste propose un portrait à la même échelle que l’icône du Louvre mêlant tous les motifs des œuvres connues de Léonard. Dans cette Joconde alternative, le paysage est par exemple tiré de L’Annonciation des Offices tandis que le visage impassible a été remplacé par celui de Ginevra de Benci.

 
À écouter
« Grande traversée : Léonard de Vinci, L’insaisissable » :
du 12 au 16 août 2019, sur France culture, Grande traversée retrace le parcours du génie, parti d’Italie pour rejoindre François Ier en France. Chaque matin, de 9 h 06 à 11 h (et en rediffusion à 22 h 10), l’émission tente de percer, par la philosophie, le mystère de l’homme, de ses œuvres et de ses inventions. Production : Adèle Van Reeth et Emmanuel Laurentin. www.franceculture.fr En partenariat avec L’Œil.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°725 du 1 juillet 2019, avec le titre suivant : Un circuit Léonard en Val-de-Loire

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque