Le Musée Rodin de Philadelphie rouvre ses portes sur la prestigieuse collection initiée en 1924 par Jules Mastbaum, « roi des cinémas » et passionné du sculpteur.
PHILADELPHIE - À l’est de Philadelphie, sur la promenade Benjamin Franklin dessinée sur le modèle des Champs-Élysées, les temples de la connaissance remplacent ceux du luxe. Le flâneur longe l’Académie des sciences naturelles, la bibliothèque de la ville, le nouvel écrin de la Fondation Barnes avant d’arriver au Musée Rodin qui vient de rouvrir ses portes au public en juillet dernier. Trois ans de travaux et un an et demi de fermeture ont été nécessaires à la complète restauration du bâtiment et des œuvres, ainsi qu’à la restitution exacte du musée tel que l’avait imaginé son fondateur dès 1926, le philanthrope et magnat du cinéma, Jules E. Mastbaum. Cette opération a été permise par l’abondante documentation et les photographies laissées par les deux architectes français Paul Philippe Cret et Jacques Gréber.
À l’extérieur, les bronzes ont tous regagné leur emplacement d’origine après restauration. « Selon leurs degrés de corrosion et les dommages subis, un processus différent a été utilisé pour chacun », précise Joe Rishel, le conservateur du Musée Rodin rattaché au Philadelphia Museum of Art. Ainsi Le Penseur (1903) accueille le visiteur à l’entrée du jardin devant la « porte de Meudon », réplique exacte de celle remontée par Rodin dans sa villa des Brillants. Passée celle-ci, La Porte de l’Enfer (1880-1917) apparaît derrière les colonnes doriques de la façade du musée. Une exposition lui est justement consacrée à l’occasion de la réouverture, sous la verrière de la salle principale baignée de lumière. Une petite réplique du Penseur et de La Femme accroupie (1906-1908), deux thèmes tirés de La Porte de l’Enfer, encadrent Le Baiser (1882), « le plus beau groupe sculpté de Rodin » selon Mastbaum.
Premier financeur de la Porte de l’Enfer
Face à la demande pressante du collectionneur, cette réplique posthume en marbre fut autorisée en 1926 par le conservateur du Musée Rodin à Paris, Georges Grappe, à la condition qu’elle soit mentionnée comme telle. Elle fut taillée par le père de Jacques Gréber, le concepteur du jardin. Longtemps reléguée comme simple copie, elle est à nouveau le point d’orgue de cette collection initiée en 1924 par un passionné.
Au tournant du siècle, Jules E. Mastbaum se lance dans l’aventure du cinéma et ouvre en 1905, avec son frère Stanley, la première salle de projection de Philadelphie. Vingt ans plus tard, la Stanley Compagny est le plus gros exploitant de cinémas de la côte est avec plus de 250 salles. En amateur d’art, Mastbaum collectionne quelques bronzes et plâtres d’artistes français, admire La Danaïde (1889) de Rodin au Musée des beaux-arts et fréquente les salons de ses amis, dont John G. Johnson qui a récemment acquis La Pensée (1895), un portrait en marbre représentant Camille Claudel. C’est ainsi qu’en 1925, il répond à l’appel du Musée Rodin, ouvert six ans plus tôt à Paris, pour financer les deux premiers tirages de La Porte de l’Enfer après la défection d’un investisseur japonais. Un exemplaire parviendra à Philadelphie quelques jours avant l’ouverture du musée. Le second exemplaire, Mastbaum l’offre à l’institution parisienne qu’il découvre enfin en 1924 lors d’un voyage outre-Atlantique. Enchanté, il commande plusieurs petits bronzes pour sa collection personnelle dont les tirages étaient alors illimités avant la loi de 1964. Son enthousiasme pour Rodin grandissant, il acquiert des groupes monumentaux comme Les Bourgeois de Calais (1889) et Les Trois Ombres (1886) ainsi que des documents dont un carnet de dessins de l’artiste. Le musée parisien cède en outre à sa volonté d’acquérir des modèles en terre cuite, œuvres uniques du sculpteur.
Un musée pour rassembler sa collection
En véritable philanthrope, Mastbaum souhaite que sa collection soit visible par tous et prévoit, dans un premier temps, de la présenter dans les halls de ses salles de cinéma. Toutefois son ambition croît avec le nombre de ses commandes et il envisage finalement d’ériger un musée « qui serait ouvert à l’éducation et à la contemplation des citoyens de Philadelphie ».
Finalement, suite à son brutal décès en décembre 1926, ce projet sera mené par sa veuve ainsi que son ami et futur directeur de l’institution Albert Rosenthal. Trois ans plus tard, le musée est inauguré en présence de l’ambassadeur de France aux États-Unis qui n’est autre que l’auteur Paul Claudel, le frère de Camille. Il sera offert peu de temps après à la Ville par les héritiers. Pour sa première année de réouverture, 90 000 visiteurs sont attendus pour redécouvrir l’œuvre d’Auguste Rodin dans l’écrin que lui avait rêvé ce passionné américain.
2 151 Benjamin Franklin Parkway, Philadelphia, États-Unis, rodinmuseum.org, mercredi-lundi 10h-17h.
Catalogue Rodin Museum Philadelphia, éditions Philadelphia Museum of Art, 20 €
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Rodin célébré à Philadelphie
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : Rodin célébré à Philadelphie