MOSCOU / RUSSIE
Le collectionneur russe Igor Markin a ouvert en mai le premier musée privé d’art contemporain à Moscou.
MOSCOU - Le collectionneur russe Igor Markin n’est pas de la famille des fanfarons. Cet homme d’affaires qui a fait fortune dans les fenêtres en PVC a constitué en quinze ans un ensemble d’art contemporain, très hétérogène, qu’il a défloré au public en mai. « L’art m’a beaucoup changé, confie l’intéressé. Cela a modifié mes fréquentations, m’a rendu créatif. Je me sens comme un collectionneur professionnel. Vous pourriez presque appeler cela un business. » Un business qui coûte cher puisque l’homme a dépensé 5 millions de dollars (3, 7 millions d’euros) pour construire son musée privé, baptisé « art4.ru », où il a aussi installé ses bureaux. Situé à Moscou à quelques encablures du Conservatoire, dans un quartier aussi chic que passant, l’espace pêche encore par un certain amateurisme. L’accrochage à touche-touche est supposé compenser l’exiguïté du site où Markin a déployé 300 des 800 pièces de sa collection. Celle-ci dresse un bilan des deux dernières décennies, d’Ilya Kabakov à Oleg Kulig en passant par les Blue Noses et Vladimir Dubossarsky & Alexander Vinogradov. Les commandes spécifiques pour le lieu, comme l’installation destroy de Kirill Chelushkin présentée en vitrine, sortent du lot. L’ensemble mériterait toutefois d’être peigné, puisque des artistes intéressants y côtoient de plus anecdotiques sans hiérarchie aucune. L’absence de cartels déroute enfin les visiteurs ; le maître des lieux envisage cependant de mettre prochainement en place des bornes numériques. L’homme n’a pas froid aux yeux puisqu’il compte aussi lancer un prix du public désignant l’œuvre la plus laide ainsi que celle la plus belle ! « En Russie, nous avons des musées ennuyeux, relève dans un sourire Markin. J’aimerais que mon musée soit un lieu où les gens s’amusent ! »
Dès l’automne, le collectionneur entend se frotter à l’art international, imaginant entre autres acquisitions Neo Rauch et Matthew Barney. Des rêves qui surprennent puisque l’intéressé n’a encore jamais acheté à une telle échelle. L’argent, Markin en parle sans tabou. Il n’est d’ailleurs pas mécontent de voir les prix de ses artistes russes grimper. « Cela montre que je n’ai pas dépensé mon argent dans n’importe quoi. C’était un bon investissement, opine-t-il. Mais le revers, c’est que lorsque j’ai voulu acheter une vingtaine de pièces en vente publique l’an dernier, je n’ai pas réussi à en avoir une seule ! »
Les collectionneurs russes se sont pris au jeu de l’émulation, quitte à friser le mimétisme. On retrouve ainsi dans la collection d’Igor Markin et dans celle de Pierre-Christian Brochet, Français résidant à Moscou, les mêmes photographies de Vlad Monroe grimé en Vladimir Poutine ou de mineurs en tutu par Arsen Savadov. « Les Russes regardent les achats des autres avant d’acheter eux-mêmes, observe la critique d’art Maria Gadas. Ils ont peur de se lancer sur le marché occidental, qu’ils ne connaissent pas bien. Du coup, rares sont ceux à compter des artistes internationaux dans leur collection car ils ne sont pas encore prêts à oser être les premiers. » Certains amateurs sortent toutefois du rang comme Michael Tsarev, jeune partenaire de la firme KPMG et président d’un club de quarante collectionneurs. Ce dernier se distingue, non pour la munificence de sa collection, mais par la qualité de sa démarche. « Si une peinture me plaît au regard, c’est très bien, mais il me faut plus. Je dois me poser des questions », indique-t-il. À rebours de ses pairs, il achète des vidéos ou des installations, comme celle de Guillaume Paris présentée par la galerie Nelson en octobre 2006 à la Foire internationale d’art contemporain (FIAC). Il s’est aussi porté sur l’art international en se constituant un noyau d’œuvres de Norbert Bisky auquel s’ajoutent des photos de Joseph Beuys. Mais surtout, il a lancé en 2006 un festival alternatif, baptisé « Linoleum ». Pendant la Biennale de Moscou, il a aussi organisé une exposition sur l’image en mouvement. « La société russe vit avec de grandes traditions. Ce n’est pas suffisant de se dire que, voilà cent ans, nous avions Malévitch et Kandinsky, ou d’être fiers que les collectionneurs russes aient acheté Matisse, déclare-t-il. Il faut que l’on continue dans de nouvelles directions. »
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Révolution russe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°263 du 6 juillet 2007, avec le titre suivant : Révolution russe