PARIS
Les travaux portant sur le bâtiment désormais vétuste de Beaubourg sont urgents, et devaient être lancés en 2023. Mais le coût, 200 millions d’euros, et la fermeture possible du Centre pendant trois ans pèsent sur la décision.
Paris. On était début mars, le printemps se profilait, personne n’imaginait que la France allait être mise sous cloche quelques jours plus tard. Le personnel du Centre Pompidou était réuni, ce matin-là, convié pour un point d’information par son président, Serge Lasvignes. Celui-ci tenait à exposer en toute transparence les perspectives relatives aux travaux de rénovation du bâtiment dessiné par Renzo Piano et Richard Rogers quarante-cinq ans auparavant, toujours d’une grande modernité mais criblé de maux dus à son vieillissement structurel. Deux hypothèses étaient envisagées. Dans la première, un chantier par tranches étalé sur sept ans, le Centre restait partiellement ouvert sur cette durée. Dans la seconde option, sa fermeture serait totale durant trois années. L’objectif consiste alors à lancer les travaux « autour de 2023 », comme l’affirme Serge Lasvignes dans un entretien publié dans le magazine Challenges. La décision stratégique, quant au choix de l’un ou l’autre scénario, doit être prise dans le courant de l’été après que l’État – le ministère de la Culture dans le cadre des différentes instances de validation des projets immobiliers – se sera prononcé sur le schéma directeur retenu et sur son financement.
Mais voilà : quelques semaines après la fin de la période de confinement hexagonale et alors que Beaubourg se prépare à rouvrir au public le 1er juillet, il semble que l’urgence soit ailleurs. Au point que l’on peut craindre un troisième scénario, selon lequel rien ne serait finalement entrepris. Aucune information ne filtre du côté de l’Oppic, censé rendre une étude de faisabilité en juillet. L’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture, maître d’ouvrage délégué du Centre, gère le redémarrage de ses nombreux chantiers, dont justement, celui de la chenille, l’emblématique escalier mécanique accroché à la façade du Centre Pompidou côté parvis. Cette rénovation a d’abord pris du retard à la suite de la faillite d’une entreprise. Interrompu ensuite par la pandémie, le chantier a repris le 11 mai et se révèle d’une grande complexité. Si tout se passe bien, il devrait s’achever fin 2020. Avec cet équipement, c’est un point névralgique du Centre qui est touché, car la circulation vers les étages supérieurs doit s’effectuer durant les travaux par des ascenseurs, tout en respectant les jauges liées aux normes de sécurité sanitaire. Cette desserte au compte-gouttes ne va pas sans engendrer de très fortes inquiétudes quant à la fréquentation des galeries situées dans les étages une fois que le musée aura retrouvé une affluence proche de la normale.
À terme, les escaliers mécaniques devront également absorber le flux des visiteurs de la Bibliothèque publique d’information (BPI) – entre 4 200 et 5 000 par jour –, qui entreront côté piazza dès que l’entrée sera restaurée, à l’issue d’une réhabilitation qui devrait être lancée au printemps prochain. Serge Lasvignes défend le rétablissement symbolique de cette entrée commune. Cependant l’agenda des travaux de la bibliothèque, qui va commencer par fermer quatre mois entre le printemps et l’été 2021, pourrait être un facteur de gênes pour le Centre, ainsi qu’une source de tensions supplémentaire. Si personne ne remet officiellement en cause la présence de la bibliothèque dans le bâtiment, d’autant que son public, jeune et banlieusard, apporte une mixité bienvenue au musée, certains s’agacent des nuisances prévisibles d’un chantier en site ouvert qui aurait pu se fondre dans un calendrier commun. La BPI se montre, elle, impatiente de mener à bien une rénovation d’ampleur, planifiée depuis 2012, qui conforte sa pérennité dans les murs.
Le Centre, pour sa part, ne communique plus sur sa nécessaire réfection. « Aujourd’hui le sujet n’est pas là », élude-t-on dans l’établissement en arguant de la réouverture à organiser dans le respect des normes de sécurité sanitaire. Et sans doute y a-t-il un avant et un après coronavirus. Car s’il veut pouvoir payer ses travaux, l’établissement public a besoin que l’État débloque des subventions spéciales. L’argent manquerait-il pour financer un chantier qui s’annonce titanesque, et dont le coût est estimé à 200 millions d’euros au minimum ? Un budget « suffisamment important pour ne pas considérer qu’il est simple à trouver », euphémise Anne-Solène Rolland, cheffe du service des Musées de France à la direction générale des Patrimoines du ministère de la Culture.
L’état des lieux, pourtant, ne date pas d’aujourd’hui. Directeur du bâtiment et de la sécurité de 2008 à 2010 (un poste actuellement vacant après le récent départ de son dernier successeur pour la BNF), François Stahl avait effectué à l’époque un diagnostic complet du Centre. Véritable travail de fourmi, l’inspection des 90 000 mètres carrés, menée en collaboration avec des cabinets extérieurs, avait duré plus d’un an. Conclusion : truffé d’amiante, comme la plupart des constructions datant des années 1970, ce qui complexifie considérablement toute intervention, le Centre Pompidou est par ailleurs à peu près « aussi bien isolé qu’un abri de jardin », selon la formule d’Alain Seban, président du Centre de 2007 à 2015. À l’heure du développement durable, c’est une aberration. L’une des rares interventions techniques menée in situ a consisté, sous Alain Seban, à remplacer les treize centrales de traitement d’air – logées dans les boîtes bleues sur le toit – pour un coût d’environ 25 millions d’euros. La climatisation, produite sur place, est en effet essentielle à l’accueil du public comme à la conservation des œuvres. Depuis, aucune opération d’envergure n’a été menée, en dehors de celle, toujours en cours, du remplacement de la chenille.
Pourtant, l’indispensable grand chantier pourrait être une opportunité pour le Centre, si celui-ci faisait le pari de fermer pour mieux renaître. « Ce serait l’occasion de repenser l’accueil des publics, les relations entre les instances de programmation, le projet dans son ensemble », s’enthousiasme Jean-Max Colard, responsable du service de la Parole au Centre Pompidou. Avec, en ligne de mire, une réouverture en beauté pour les 50 ans du Centre, en 2027. « Il est toujours intelligent de coupler des travaux nécessaires sur le plan technique avec des aménagements fonctionnels qui permettent d’avoir une vision du futur de l’établissement », approuve François Stahl, lui aussi partisan d’une fermeture. « Le maintien d’exploitation du site générerait de telles contraintes, surtout avec la problématique de traitement de l’amiante, que cela limiterait la créativité », souligne-t-il.
Mais si le scénario d’une fermeture du Centre à partir de 2023 était retenu, les JO de 2024 se tiendraient dans une capitale privée de cet iconique bâtiment parisien, alors même que la restauration de la cathédrale Notre-Dame a peu de chance d’être achevée et que la mue du Grand Palais devrait dans le meilleur des cas tout juste se terminer. Contexte peu favorable. Est-il urgent d’attendre encore, quand on connaît depuis plusieurs années l’absolue nécessité de ces travaux ? « Il faut maintenant faire passer ce bâtiment du XXe siècle au XXIe siècle, c’est notre patrimoine », assure François Stahl, qui pose sur l’édifice un regard admiratif d’architecte. Une ambition qui va nécessiter des arbitrages cruciaux…
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Rénovation du Centre Pompidou : l’ajournement permanent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°549 du 3 juillet 2020, avec le titre suivant : Rénovation du Centre Pompidou : l’ajournement permanent