Patrimoine

MAISON D’ARTISTE - L’intimité retrouvée des Renoir

Renoir ouvre sa maison familiale

À Essoyes, petit village champenois, la maison des Renoir ouvre au public dans une reconstitution soignée et sensible, proche d’un décor de cinéma.

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 7 juin 2017 - 935 mots

ESSOYES

La Ville d’Essoyes, au sud-est de Troyes, rend accessible au public la villa que Renoir avait achetée en 1896. Occupée par les descendants du peintre, elle a été acquise en 2013 puis restaurée.

Essoyes. Depuis 2011, entre 8 000 et 10 000 visiteurs parcourent chaque année le village d’Essoyes (Aube), nez en l’air ou plongés dans une carte fournie par l’office du tourisme. Entre l’œnotourisme et la route des impressionnistes, ce village de 750 habitants s’efforce de promouvoir son patrimoine, avec en tête de proue les Renoir, installés depuis les années 1890 dans une maison où le peintre Auguste Renoir eut son atelier, où ses fils Jean et Claude invitèrent leurs amis comédiens et intellectuels. Depuis le 3 juin, la « Maison Renoir » est ouverte, présentant pour la première fois au public l’intimité de cette maison de villégiature. « Lorsqu’on évoque Renoir, c’est Cagnes-sur-Mer qui ressort, alors qu’Essoyes est le village natal d’Aline, femme d’Auguste, où l’artiste peint de nombreuses œuvres, où la famille se retrouve et reçoit son cercle intime », explique Philippe Talbot, premier adjoint au maire.

La première étape fut l’ouverture en 1990 de l’atelier Renoir : cette petite construction d’un étage, conçue pour le peintre, était gérée par l’Association Renoir, sous la houlette de Claude (junior), petit-fils de l’artiste. Expositions, artistes en résidence, l’atelier cherche à promouvoir localement l’art, mais son activité reste confidentielle.

En 2011, la municipalité ouvre, dans les anciennes écuries du château Heriot, l’espace « Du côté des Renoir » qui expose en permanence le lien qui unit Essoyes et les différentes générations des Renoir, entre art et cinéma. On y apprend, grâce à des reproductions, vidéos et dispositifs interactifs très grand public, que pour Jean Renoir, « il n’existe pas de village comparable dans le monde entier [et qu’il y a] vécu les plus belles années de mon enfance ».

Privilégier l’atmosphère
Le coût élevé de la vie parisienne pousse Auguste Renoir à s’installer durant l’été 1888 à Essoyes. Là, il découvre l’Ource, un affluent de la Seine qui serpente dans le village : « de l’argent en fusion ». En 1896, il acquiert une maison qu’Aline régentera en maître femme, et y passera tous les étés jusqu’à sa mort en 1919.

La demeure est restée dans la famille jusqu’en 2012. Cette année-là, Sophie Renoir, arrière-petite-fille du peintre, décide de s’en séparer et propose de la vendre à la commune. « Après l’ouverture de l’espace des Renoir, nous n’avions pas le choix : il fallait acheter la maison ! », raconte Philippe Talbot. Et de réfléchir à un projet pour le lieu. Deux comités de pilotage, l’un pour les travaux, dirigé par Sophie Renoir, l’autre scientifique, emmené par la conservatrice et spécialiste de Renoir Anne Distel, planchent sur le projet, estimé à 980 000 euros hors taxes.

Si la maison a été relativement préservée, il faut la mettre aux normes d’une ouverture au public et surtout, la meubler. Les archives sont minces. Pas de photographies ni de toiles présentant l’intérieur de cette maison. Restent les écrits de Jean Renoir, et les témoignages et correspondances de l’époque. Il sera proposé une reconstitution où l’atmosphère et le sensible priment sur l’exactitude scientifique, à l’image de la biographie que Jean Renoir a consacrée à son père (1), un des fondements du travail des muséographes. « C’est un parti pris assumé dans le projet », explique Valérie Bund, chargée du projet chez Clap35, une société spécialisée dans l’audiovisuel et la muséographie. Choix est fait de dater la reconstitution autour des années 1905-1906, période à laquelle Renoir fait construire son atelier au fond du jardin. Un audioguide reproduit une ambiance sonore faite de bruits d’enfants et de dialogues issus des ouvrages et de la correspondance du peintre. Bien souvent, dans ce genre d’exercice, la qualité de l’interprétation laisse à désirer. Ici, force est de reconnaître que le soin apporté à l’audioguide procure un plaisir certain dès le chemin d’entrée du jardin.

Quelques meubles d’époque
Dans la maison, « chaque espace est un plateau prêt à tourner », indique Valérie Bund. Cinq plateaux sont donc proposés aux visiteurs : salon-atelier et cuisine au rez-de-chaussée, chambre d’Auguste, chambre d’Aline et chambre des enfants au premier étage. Pour ces reconstitutions, Clap35 a fait appel à Catherine Jarrier, chef décoratrice auréolée d’un César pour son travail sur le film Séraphine (2008). Celle-ci a chiné durant six mois tous les objets présents dans la maison : « Ce sont des questions concrètes sur une vie en villégiature, sur une vie intime et familiale, à travers mes rencontres avec Sophie Renoir, avec Anne Distel, à travers les lectures sur Renoir. » Le tabac est omniprésent, les livres préférés de Renoir père côtoient les jeux d’enfants, les ouvrages de couture et les dentelles sont prêts à être sortis des valises. Quelques tapisseries ont été redécouvertes lors de sondage et reproduites, quelques meubles sont d’origine : ces éléments sont mentionnés sur les panneaux explicatifs. Le visiteur saura donc que le lit d’Auguste est véridique, que la chambre de son épouse était rose bonbon, que les deux fauteuils roulants présentés ont servi au peintre très diminué dans les dernières années de sa vie. Là n’est peut-être pas l’essentiel.

Cette présentation émeut par son atmosphère intimiste : il n’y a aucune mise à distance du visiteur, chaque objet est collé, jusqu’aux mégots de cigarette oubliés dans un cendrier. En sortant de la maison, un circuit conduit au cimetière d’Essoyes. Ici, deux tombes très simples abritent les dépouilles de plusieurs générations de Renoir, réunis près de la maison familiale.

Note

(1) Jean Renoir, Pierre-Auguste Renoir, mon père, éd. Folio, réédition mars 2017.

Maison des Renoir

42, rue Auguste Renoir, 10360 Essoyes, ouvert tlj, 10h-12h30, 13h30-18h, renoir-essoyes.fr, entrée 9 €.

Légende Photo :
Auguste Renoir a acquis cette maison dans l’Aube en 1896. Elle était restée dans la famille jusqu’en 2012 © Photo Magalie Duvaux

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°481 du 9 juin 2017, avec le titre suivant : Renoir ouvre sa maison familiale

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