Sophie Matisse, Lionel Pissarro, Sophie Renoir... nombreux sont les arrière-petits-enfants d’artistes célèbres à travailler dans le milieu de l’art et soigner la postérité de leur aïeul.
Renoir, Watteau, Cézanne, Picasso… Associés à de nouveaux prénoms, ces grands noms continuent de rayonner sur la scène artistique internationale. Nombre de descendants d’artistes contribuent à la postérité de leurs aïeux. Oui, mais comment ? Comment représente-t-on un proche que l’on n’a pas forcément connu, dont on ne possède aucune œuvre ou quand on n’a parfois aucune connaissance en histoire de l’art ? Autant de façons de vivre cette héritage que de petits-enfants et arrières-petits-enfants.
Destinées diverses
Parmi ces héritiers du monde de l’art se distinguent plusieurs profils. À l’instar de Marie Watteau, descendante indirecte du père des fêtes galantes, Lionel Pissarro, l’arrière-petit-fils de Camille, est devenu marchand de tableaux. Philippe Cézanne a commencé comme expert en œuvres d’art aux côtés de Charles Durand-Ruel, un autre « petit-fils de ». Juriste de formation, Diana Widmaier Picasso compte parmi les commissaires de l’exposition « Picasso.mania », au Grand Palais. Vincent-Willem van Gogh travaille, lui, à la direction du musée dédié à son arrière-grand-oncle, à Amsterdam. De son côté, Sophie Matisse reprend le flambeau de deux « monuments ». Petite-fille d’Henri Matisse, par le sang, et de Marcel Duchamp, par alliance, la jeune peintre a mis du temps à assumer cette double filiation. Perçus tant comme un frein qu’un sésame, ces noms ne sont pas toujours faciles à porter. Longtemps hantée par le fantôme de ses ancêtres, Sophie Matisse reconnaît qu’elle n’aurait peut-être pas reçu autant d’attention sous une autre identité. Le fils de Cézanne, également prénommé Paul, avait beau signer ses toiles du nom de sa femme, Rivière, tout le monde le connaissait dans le milieu. C’est pourquoi, au bout de vingt ans, il a fini par abandonner la peinture. À l’inverse, son fils Philippe a « juste cherché à [se] faire un prénom ». « C’était à moi de montrer que j’avais un sens critique. Rien de dramatique, je suis très fier de mes origines. » Maillon d’une chaîne partagée entre le septième art et les beaux-arts, Sophie Renoir a finalement renoncé à prendre un pseudonyme au début de sa carrière d’actrice. Marie Watteau voit plutôt son patronyme comme un tremplin. « Il m’a permis de me faire connaître et sonne très chic, surtout à l’étranger . »
Un nom, c’est bien souvent tout ce qui leur reste. Quand les juniors héritent des trésors de leurs aînés, ils doivent presque aussitôt s’en séparer. Maudits soient les droits de succession ! Dans la famille Fragonard, Évariste a détruit quelques chefs-d’œuvre paternels ; Théophile, le petit-fils du maître, a peint par-dessus certaines de ses toiles. Les suivants ont vendu, confie aujourd’hui Emmanuel, lequel n’a plus que le souvenir d’un carnet de timbres réquisitionné à Bordeaux dans les années 1950. Les parents de Sophie Matisse étant encore en vie, la question ne se pose pas encore. « Avoir des Matisse chez soi ? Ce serait pas mal », admet l’Américaine dans un français qu’elle aurait voulu mieux maîtriser. « Malheureusement, ces chefs-d’œuvre sont la convoitise des grands musées ». Et pas que. On se souvient du vol de deux Picasso, en 2007, au domicile de Diana Widmaier. De son grand-père, Philippe Cézanne ne possède plus qu’une palette colorée, qu’il ressort, à l’occasion, avec fierté. Dur de défendre un patrimoine qui est passé en d’autres mains.
Ambassadeurs d’une œuvre
C’est pourtant possible, au travers de témoignages, d’associations, de fondations, d’inventaires, de prêts et d’une lutte acharnée contre les faux. Certains descendants voient dans ces activités un hobby, d’autres y consacrent leur vie. Il s’agit pour les uns d’un devoir, pour les autres, d’une aubaine.
Fondateur de la Calder Foundation, en 1987, Sandy Rower s’est impliqué dans près de quatre-vingts rétrospectives consacrées à son grand-père, dont la dernière actuellement à la Tate Modern. Puits d’anecdotes fascinantes, pour la plupart rapportées dans ses livres, l’académicien et collectionneur Jean-Marie Rouart prête fréquemment les toiles de ses aînés Henri, Ernest, et plus particulièrement celles de son père Augustin, sans pour autant contribuer au commissariat des hommages qui leur sont ponctuellement rendus. « C’étaient des peintres à l’écart de leur époque. J’ai envie d’aider à les faire aimer. »
Fondatrice de la société DWP Éditions (2003), Diana Widmaier-Picasso travaille depuis douze ans sur un catalogue raisonné des sculptures du maître espagnol. De même, Sophie Renoir, qui a ouvert la maison familiale d’Essoyes (dans l’Aube) au public, a été sollicitée par l’Institut Wildenstein pour participer à la rédaction du catalogue raisonné des œuvres de son grand-père impressionniste ; si ce n’est qu’elle n’a aucune formation en histoire de l’art. « J’ai passé mon enfance dans les musées. Assez pour sentir que certains tableaux sont plus plats que d’autres. On m’a soumis deux toiles. J’ai reconnu l’original car la copie n’avait aucune âme. » Bien que juste, son intuition était-elle un critère de recrutement valable ? « On reçoit les œuvres pour accord de publication pas d’authentification », précise-t-elle. Dans un cadre scientifique, la légitimité de ces descendants oscille donc entre intellect et affect.
Quel que soit leur attachement à leur aïeul ou leur rôle sur la scène artistique, aucun n’accepte pourtant le titre de spécialiste. Par lucidité ? Complexe d’infériorité ? « Je ne suis pas expert en Cézanne », lance Philippe du même nom. Marie Watteau, elle, maîtrise plutôt le XIXe siècle que la période de son aïeul. Auguste Renoir n’est pas le peintre préféré de son arrière-petite-fille. « C’est avant tout un membre de la famille », dit-elle. « Mes frères et moi allions jouer dans son atelier. Nous y donnions des pièces de théâtre et des surprises-parties. » Selon Sandy Rower, les descendants sont là pour aider à comprendre une œuvre. Et il faut sauter une génération pour que leur éclairage retrouve une forme d’objectivité. « Les enfants sont trop émotifs. Tout aussi passionnés, les petits-enfants ont, à l’inverse, le détachement nécessaire pour assumer le rôle d’ambassadeur ».
Soit, mais encore faut-il accepter d’endosser ce rôle. Les uns le perçoivent comme une responsabilité, parfois trop lourde à porter, les autres comme un filon à exploiter. Pour Sophie Renoir c’est une chance. « Ça me fait plaisir de voir les vrais tableaux sans avoir à aller au musée. Et j’apprends plein de choses. » Au même titre que ses douze frères et sœurs, Philippe Piguet a passé toutes ses vacances scolaires à Giverny. C’est toutefois le seul à s’être intéressé aux archives familiales. « Ma grand-mère me racontait des anecdotes sur son beau-père, Claude Monet. Je voue toutefois une profonde admiration pour mon arrière-grand-père direct, Ernest Hoschedé. Comme lui, je collectionne et écrit sur l’art contemporain de mon temps », explique-t-il en feuilletant une correspondance qu’il a soigneusement triée, datée, recopiée à la main, tapée à la machine et, enfin, à l’ordinateur. On peut avoir baigné toute sa vie dans l’art, sans vouloir en faire son métier. L’éducation ne suffit pas à forger une passion, il faut se l’approprier. Tel est le point qu’appuie Lionel Pissarro. Et quand c’est le cas, l’œuvre des grands maîtres n’est-elle pas mieux défendue que par leurs descendants ?
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Les descendants d’artiste et leur destin
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : Les descendants d’artiste et leur destin