Depuis 2014, la jurisprudence refuse d’ordonner l’insertion judiciaire d’une œuvre dans l’ouvrage rédigé par un expert. Mais si la responsabilité de ce dernier semble écartée, un doute subsiste.
Sur le marché de l’art, des contentieux naissent souvent du refus d’un expert d’insérer dans son catalogue raisonné une œuvre préalablement vendue par le biais d’un intermédiaire, parfois entouré d’un autre sachant. L’acquéreur inquiet sollicite alors la justice afin qu’elle dissipe le doute créé sur l’authenticité. Il arrive également que le contentieux porte sur le refus opposé par l’auteur du catalogue raisonné d’insérer une œuvre avant que celle-ci ne soit proposée à la vente. Le propriétaire désemparé par la dévaluation corrélative de son oeuvre sollicite alors la justice afin de voir l’œuvre insérée dans un tel ouvrage – lui rendant ainsi ses lettres de noblesse – et l’auteur condamné. Cette hypothèse, plus rare, a connu un basculement dans sa résolution judiciaire au terme d’un arrêt de la Cour de cassation rendu le 22 janvier 2014 à propos d’un tableau de Jean Metzinger. Désormais, et au visa de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, « le refus de l’auteur d’un catalogue raisonné d’y insérer une œuvre, fût-elle authentique, ne peut, à défaut d’un texte spécial, être considéré comme fautif » et donc engager la responsabilité de l’auteur réticent. Depuis deux ans, les juridictions du fond ont peu à peu fait leur cette solution tout en en affinant les contours.
Liberté d’appréciation de l’auteur
Trois mois après l’arrêt de la Cour de cassation, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris rejetait la demande d’inclusion, formulée à l’encontre du Wildenstein Institute, du tableau « Bords de Seine à Argenteuil », attribué par son propriétaire à Claude Monet. La décision du 30 avril 2014 reprenait cependant les critères autrefois retenus par la jurisprudence en relevant que le refus d’insérer l’œuvre dans le catalogue raisonné de l’artiste ne résultait pas « d’une légèreté blâmable ou d’un abus », l’authenticité du tableau n’ayant par ailleurs pas été judiciairement consacrée. La cour d’appel de Paris vient de confirmer cette décision, le 15 décembre 2015. Rappelant expressément la solution dégagée par la Cour de cassation en 2014, la cour fait même œuvre de pédagogie en énonçant qu’il « en va de la liberté d’expression garantie notamment par l’article 10 de la Convention » européenne des droits de l’homme. Enfin, les juges sont venus préciser que la « rédaction d’un catalogue raisonné, œuvre de l’esprit, nécessite un travail de recensement, de documentation et d’analyse critique approfondi des œuvres de l’artiste concerné qui implique nécessairement une liberté d’appréciation de son auteur. Son sérieux et sa crédibilité dépendent de la rigueur du travail accompli par celui-ci dont les choix ne peuvent être constitutifs d’une faute ». Et la subsistance d’un doute sérieux sur l’authenticité justifiait « le refus des intimés d’insérer ledit tableau dans le catalogue raisonné de Claude Monet ». Une solution similaire a été retenue par le TGI de Paris le 15 février 2015, à l’occasion d’un litige opposant le propriétaire d’une sculpture attribuée à Brancusi et l’expert allemand Friedrich Teja Bach. Face au refus d’insertion de l’œuvre, le propriétaire sollicitait judiciairement la délivrance d’un certificat d’authenticité, l’insertion de l’œuvre dans son catalogue raisonné, l’édition d’un correctif dans la dernière édition de celui-ci et une forte indemnisation. Le tribunal a rejeté toutes ces demandes en indiquant que l’expert « n’était soumis à aucune disposition légale ou obligation le contraignant à céder aux exigences du demandeur aux fins qu’il reconsidère sa position sur la sculpture et, d’autre part, des demandes tendant à la délivrance d’un certificat d’authenticité ou à l’insertion de l’œuvre dans la prochaine édition du catalogue raisonné, son refus à cet égard ne pouvant être fautif à défaut d’un texte spécial, à supposer même l’œuvre authentique ». La référence à l’affaire Metzinger est, une nouvelle fois, patente.
Un mois après, le TGI de Paris rendait une ordonnance de référé encore plus concise dans le refus opposé à l’insertion judiciaire d’une œuvre attribuée à Pissarro. La juridiction a ainsi retenu, le 16 mars 2015, qu’une « action tendant à obtenir l’inclusion du tableau que (le propriétaire) possède dans le futur complément (du catalogue) envisagé dans un avenir non prévisible est manifestement vouée à l’échec ». Toutefois, et bien que la décision ait été rendue en référé, le principe de la responsabilité de l’auteur du catalogue raisonné n’a pas été balayé. En effet, le tribunal a considéré que le demandeur ne fournissait « pas d’éléments de nature à écarter le principe de la liberté d’expression de l’auteur d’un ouvrage » avant d’indiquer que « l’avis de non-inclusion fourni à deux reprises par le comité Pissarro, à la suite notamment de l’avis donné par le fils de l’artiste qui a examiné le tableau lui-même, est fondé sur des éléments objectifs, alors même que d’autres auteurs peuvent réaliser des catalogues dont les choix des œuvres présentées seraient différents ou que d’autres experts peuvent émettre un avis contraire ». Un refus fondé sur des éléments purement subjectifs aurait-il pu donner lieu à une tout autre décision ?
L’hypothèse du dénigrement
Ce n’est pas en ces termes que l’arrêt de renvoi de la cour d’appel de Versailles est venu clore l’affaire Metzinger, après la cassation prononcée en 2014. Et ceci fort heureusement, tant le recours à la détermination de l’objectivité ou de la subjectivité des éléments de l’expertise artistique constituerait un critère particulièrement délicat dans la mise en œuvre éventuelle de la responsabilité. La « conviction personnelle » de l’expert peut s’avérer suffisante et ne donne pas nécessairement lieu à responsabilité. L’arrêt du 29 octobre 2015 énonce ainsi « que la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi, sauf dénigrement de produits ou services ». Il peut donc exister un abus spécifique de liberté d’expression donnant lieu à indemnisation en cas de dénigrement de produits ou services ; le dénigrement dépassant le droit de critique et étant normalement guidé par un intérêt concurrentiel. Ici, le dénigrement semble pouvoir s’appliquer au refus d’authentifier une œuvre d’art par un expert qui viserait à jeter fortement le discrédit sur celle-ci en termes peu amènes, avec une volonté de nuire ou de vengeance. La cour d’appel a considéré, en l’espèce, qu’aucune démarche en ce sens n’existait de la part de l’experte de Jean Metzinger et que le refus d’insérer la toile « Maison Blanche » n’était pas fondé sur une particulière mauvaise volonté, « le fait qu’une précédente affaire ait opposé » l’experte au propriétaire étant insuffisant. Une dernière résonance du changement de paradigme dans l’appréhension de la responsabilité de l’auteur d’un catalogue raisonné doit être notée. Ainsi, un jugement du TGI de Paris, du 23 octobre 2014, a rejeté la condamnation du Wildenstein Institute et de Jacques Descordes sollicitée en raison de l’émission de deux avis distincts à neuf années d’intervalle sur l’intégration dans le catalogue raisonné en cours de préparation d’une œuvre signée du nom de Van Dongen et authentifiée par sa veuve dans un certificat de 1991. Selon le tribunal, l’élaboration d’un catalogue raisonné « implique nécessairement une liberté d’appréciation de l’auteur du catalogue. Si celui-ci doit s’entourer de précautions suffisantes dans son travail de documentation, le choix d’inclure ou d’exclure une œuvre du catalogue – choix qui n’a pas valeur d’expertise – ne peut en lui-même être constitutif d’une faute ». Si les critères pouvant permettre l’engagement de la responsabilité de l’auteur d’un catalogue raisonné ne sont pas encore bien déterminés, il semble néanmoins qu’une telle hypothèse subsiste. Seules de futures décisions viendront confirmer ou infirmer cette intuition.
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La liberté de choix de l’auteur du catalogue raisonné
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Abonnez-vous dès 1 €Monet, Catalogue raisonné, Daniel Wildenstein, Taschen, 1997. Edition allemande, 1540 pages, 4 volumes. Courtesy Amazon et Daniel Wildenstein
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°450 du 5 février 2016, avec le titre suivant : La liberté de choix de l’auteur du catalogue raisonné