PARIS
Le projet de réaménagement du bâtiment, occulté après l’émotion suscitée par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, s’attire de plus en plus les critiques du monde patrimonial comme hospitalier.
Depuis près de dix ans, la destinée du plus ancien hôpital de Paris fait l’objet de discussions, d’appels à projet, de restructurations, mais aussi de polémiques et d’affrontements idéologiques et politiques. L’annonce en mai dernier du choix du promoteur chargé de la rénovation d’un tiers de la surface de l’Hôtel-Dieu, sur l’île de la Cité, a ravivé les critiques, qui ne désarment pas depuis 2011 et l’annonce d’un premier projet de restructuration pour aménager des espaces entrepreneuriaux et commerciaux.
Avec l’Hôtel-Dieu de Paris, la notion de politique prend tout son sens : la vie de la cité est inscrite dans l’histoire et les obligations de l’hôpital, fondé au VIIe siècle par saint Landry, évêque de Paris. D’abord placée sous autorité religieuse exclusive, l’institution fut gérée en 1505 par la municipalité. À l’origine construit sur le côté sud du parvis de Notre-Dame, l’Hôtel-Dieu fut déplacé sous le Second Empire sur son site actuel, dans un nouveau bâtiment inauguré en 1878.
Depuis les années 2000, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), propriétaire du bâtiment, s’interroge sur son devenir. Entre 2012 et 2016, la fermeture envisagée des services hospitaliers provoque polémiques et grèves au sein du personnel, et des remous avec la Ville de Paris qui souhaitait être invitée à la table des discussions. En 2016, un « projet médical et hospitalier » est enfin défini par l’AP-HP, et décrit comme « tourné vers l’innovation, de nouvelles formes de prise en charge, une ouverture particulière sur la ville, un lien entre disciplines médicales, nouvelles technologies, sciences humaines et sociales ». Le projet prévoit de scinder les 55 000 mètres carrés de l’Hôtel-Dieu en deux, en allouant 35 000 mètres carrés aux activités médicales : un service d’accueil des urgences, un plateau de consultations spécialisées, un pôle psychiatrique. « En réalité, ce ne seront que 11 000 mètres carrés consacrés aux soins médicaux, le reste sera occupé par des bureaux et la pharmacie centrale », dénonce la CGT Hôtel-Dieu, opposée au projet. Pour réorganiser et rénover les lieux, en partie dégradés, l’AP-HP a estimé le budget à 100 millions d’euros.
L’autre partie, 20 000 mètres carrés situés à côté du parvis de la cathédrale, a été concédée pour une durée de quatre-vingts ans en mai à un promoteur immobilier, moyennant la somme de 144 millions d’euros. Résultat d’un appel à projet lancé en 2017, l’équipe lauréate a été choisie conjointement par la Mairie de Paris et l’AP-HP. Selon le projet porté par Novaxia et conçu par les architectes Anne Démians et Pierre-Antoine Gatier, la moitié de l’espace (10 000 m2) abritera un incubateur d’une centaine d’entreprises spécialisées dans les biotechnologies, les technologies médicales et l’intelligence artificielle. Le projet comprend également une salle de conférences, une résidence étudiante, une maison du handicap et des patients, une crèche, des restaurants (3 500 m2) et 1 500 mètres carrés de commerces. « Faire bouger les choses sans faire trembler les murs, c’est attacher d’abord son regard à cette architecture appartenant à l’histoire », annonce l’architecte Anne Démians. « Côté négociation financière, ça fait 7,50 euros du mètre carré par mois alors qu’en logement on est en moyenne à 30 euros du mètre carré. C’est vraiment une braderie de nos communs ! » : la première salve d’attaques est tirée en mai sur Twitter par Danièle Simonnet, conseillère municipale La France insoumise, vent debout contre le projet. Les associations du patrimoine, elles, ne se penchent pas tout de suite sur le projet et pour cause : un mois avant le dévoilement du projet, à deux pas de l’Hôtel-Dieu, la toiture de Notre-Dame est partie en fumée. En mai et juin, le combat porte sur les enjeux de reconstruction de la cathédrale. En juillet, la contamination au plomb occupe tous les esprits.
La diminution des surfaces dévolues au service public au profit d’activités commerciales dans ce lieu chargé d’histoire suscite des inquiétudes plus larges. Une tribune parue dans Le Monde, dans le courant de l’été, témoigne des craintes du monde à la fois patrimonial et hospitalier. Une quinzaine de personnalités, parmi lesquelles l’académicien Adrien Goetz, Jean Deleuze, médecin à l’hôpital Cochin, rédacteur en chef de La Revue du praticien, l’économiste de la culture Jean-Michel Tobelem ou l’historienne et psychanalyste Élisabeth Roudinesco s’émeuvent du devenir de l’hôpital et de sa future vocation commerciale. « De même que Notre-Dame n’est pas la possession exclusive des catholiques, l’Hôtel-Dieu n’appartient pas seulement à l’AP-HP, mais à toute la nation. Aussi son destin doit-il être débattu en toute transparence », revendiquent ainsi les auteurs, souhaitant, à l’image de la solution choisie pour l’hôtel de la Marine, que le Centre des monuments nationaux soit chargé de concevoir et d’administrer le lieu dans une perspective patrimoniale. À la place de l’espace de restauration, pourrait être installé le Musée de l’AP-HP, fermé depuis plusieurs années.
Le calendrier semble propice aux aménagements. En effet, si les travaux de la partie hospitalière débutent cette année, ceux de la partie commerciale ne devraient commencer qu’en 2023, après une modification du plan local d’urbanisme.
En réponse à l’incendie de Notre-Dame, l’AP-HP a également proposé en septembre, sur une initiative de l’architecte Anne Démians, d’installer dans une cour intérieure une nef éphémère, non consacrée, pour l’accueil des pèlerins et l’exposition d’éléments de la cathédrale.
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Polémique sur la rénovation de l’Hôtel-Dieu de Paris
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°531 du 18 octobre 2019, avec le titre suivant : Polémique sur la rénovation de L’Hôtel-Dieu Le projet de réaménagement du bâtiment, occulté après l’émotion suscitée par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame, s’attire de plus en plus les critiques du monde patrimonial comme hospitalier