PARIS
Le projet de transformation du monastère de la Visitation et de son jardin, en plein cœur du très chic 6e arrondissement, en logements pour public en difficultés irrite les défenseurs du patrimoine.
Paris. Dans le très construit 6e arrondissement de Paris, pas facile de trouver un peu de verdure une fois sorti des parterres et futaies du jardin du Luxembourg. Cachée derrière les hauts murs aveugles du 110, rue de Vaugirard, se loge une des rares poches de nature subsistant dans le quartier : les reliquats d’un passé monastique que sept associations de défense du patrimoine souhaiteraient préserver, à l’image du jardin Catherine-Labouré du 7e arrondissement voisin. Légué au diocèse de Paris par ses anciennes pensionnaires, les sœurs visitandines, l’ensemble comprenant le jardin et les bâtiments monastiques fait l’objet d’une requalification en un projet d’immobilier solidaire, contre lequel s’élèvent les défenseurs du patrimoine. Sur la parcelle encadrée par la rue du Cherche-Midi et la rue de Vaugirard, le diocèse développe une un projet d’habitat partagé destiné à un public en difficulté (femmes seules, précaires, personnes handicapées) adossée financièrement à la construction d’un immeuble de rapport qui permettra la pérennité de cette initiative. « Un poumon de fraternité », comme le décrit la coordinatrice de la réhabilitation. L’emplacement de cette parcelle en plein cœur d’un quartier très favorisé fait tout l’intérêt du projet, comme l’explique le diocèse : « C’est le sens du projet qui a été conçu depuis plusieurs années : accueillir non pas en périphérie, mais au cœur du 6e arrondissement de Paris des personnes en situation de fragilité. »
« C’est un projet très beau, tout à fait louable, admet Julien Lacaze, président de l’association Sites et Monuments, l’une des sept associations mobilisées contre le projet. Mais il pourrait se faire ailleurs ; il y a tout un aspect patrimonial sur cette parcelle dont l’Église ne se soucie absolument pas. » Le patrimoine bâtimentaire principal n’est certes pas mis en danger par les deux nouvelles constructions, et l’hôtel particulier du XVIIIe siècle surélevé et agrandi par les sœurs visitandines est bien intégré dans ce projet solidaire. Mais c’est pour un petit patrimoine, moins spectaculaire, que les opposants au projet montent au créneau : dans le grand jardin, qui assurait la subsistance des sœurs, les vestiges d’une agriculture urbaine. Une vacherie en brique avec des tirants de fonte, dans laquelle est encastré un petit oratoire et deux autres oratoires au fond du jardin sont considérées par les associations de défense du patrimoine comme autant de témoignages d’une vie monastique « intra-muros » dont les traces s’effacent peu à peu. « Ce sont des bâtiments de bonne facture, estime Julien Lacaze qui espère pouvoir retrouver le nom de leur architecte dans les archives de l’Ordre. Ces éléments sont décrits par Émile Zola, lorsqu’il évoque la “bonhomie provinciale” du quartier. C’est cette histoire qui risque d’être perdue. » De son côté, le diocèse peut s’appuyer sur les avis de l’architecte des Bâtiments de France, de la Direction régionale de l’archéologie et du ministère de la Culture, comme de la Commission du Vieux Paris, qui ont veillé à la bonne préservation de l’hôtel particulier, mais qui n’ont pas retenu de caractère patrimonial pour ces petits édifices du XIXe siècle.
Au-delà de ces éléments bâtis, le plaidoyer des associations porte aussi sur l’intégrité du patrimoine naturel. Auprès de l’adjointe à l’alimentation durable de la Ville de Paris, Audrey Pulvar, elles défendaient un temps l’idée d’une ferme urbaine pédagogique destinée aux enfants. La proposition aurait fait mouche auprès de l’élue, sans que toutefois une suite lui soit donnée. « Dans cette histoire, tout est à rebours du discours, très juste, de la Mairie sur l’importance des dents creuses et de l’adaptation de la ville au changement climatique. On espère que la Mairie va se mettre en conformité avec ce discours-là », indique Julien Lacaze. « Le jardin est aujourd’hui totalement clos et pollué, défend de son côté le diocèse, il sera conservé, restauré, dépollué et replanté et surtout sera partiellement ouvert en journée au public. » Les associations et l’archevêché se livrent à une bataille de chiffres sur cet espace vert signalé dans le plan local d’urbanisme (PLU) : 4390 m2, dont 4 140 mètres carrés seront préservés à l’issue des travaux, mesure le diocèse qui se contente de la parcelle signalée dans le document d’urbanisme ; 5 500 m2 juge, de son côté, l’association Sites et Monuments. Pour cette dernière, la défense de ce patrimoine « en pleine terre » est aussi considérée comme un test pour la nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, proche du maire du 6e arrondissement Jean-Pierre Lecoq, lequel soutient la transformation de l’ancien couvent. « Il est très favorable au projet, et nous a même menacés de poursuites judiciaires, ce qui est une première », rapporte Julien Lacaze. Au niveau local, les sept associations peuvent compter sur les élus écologistes de l’arrondissement, qui souhaitent faire discuter un vœu sur le sujet lors du prochain Conseil de Paris.
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À Paris, patrimoine contre logements solidaires
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°626 du 2 février 2024, avec le titre suivant : Paris 6e arr. : patrimoine contre logements solidaires