PARIS
L’homme d’affaires peut enfin montrer en permanence sa collection à Paris, dans un lieu approprié, superbement aménagé et restauré que lui loue la Ville.
Paris. Vingt ans après avoir annoncé son projet de « musée » sur l’île Seguin en banlieue parisienne, un projet abandonné cinq ans plus tard, François Pinault dispose enfin, depuis le 22 mai dernier, d’un lieu pérenne à Paris. Si l’homme d’affaires (bientôt 85 ans) n’aime pas perdre son temps, il peut se consoler car il a trouvé un édifice adapté à ses ambitions. Située en plein cœur de Paris, l’ancienne halle aux blés du XVIIIe siècle, transformée en bourse de commerce au XIXe (clin d’œil aux multiples entreprises qu’il a achetées et revendues au cours de sa carrière), ne pouvait mieux convenir.
Par ses dimensions raisonnables, sa forme circulaire amicale, son allure haussmannienne, le bâtiment ne relève pas des architectures disruptives des nouveaux lieux d’art contemporain (comme la Fondation Vuitton), à l’instar du Palazzo Grassi et de la Pointe de la Douane à Venise [lire encadré]. Cette combinaison d’art contemporain dans un bâtiment ancien est devenue une composante de l’identité des « musées » Pinault. De même qu’à la Pointe de la Douane, l’architecte Tadao Ando a construit en son centre un immense cube de béton gris, à la Bourse de commerce, il a inséré un anneau, également en béton qui ceinture de l’intérieur la rotonde.
Une fois le porche, le vestibule d’entrée et un espace librairie-salon franchis, le visiteur se retrouve à l’entrée de la rotonde : effet garanti ! Il est d’abord absorbé par l’anneau en béton de neuf mètres de hauteur qui délimite un immense espace, opportunément peu rempli d’œuvres dans l’exposition inaugurale. Mais très vite le regard est attiré vers le haut – à moins que ce soient les parois de l’anneau qui guident le regard – par la fresque colorée qui entoure le bas de la verrière, puis par la coupole elle-même d’où tombe un flot de lumière naturelle.
Dans une forme d’humilité, les architectes Tadao Ando, Pierre-Antoine Gatier, Lucie Niney et Thibault Marca ont voulu d’abord faire honneur au bâtiment historique et ne pas l’encombrer de dispositifs, de cimaises et d’œuvres. C’est même l’inverse : à l’exception de l’imposant anneau d’Ando, le parti pris minimaliste exalte la pierre blanche des murs, les menuiseries, la fresque colorée et la verrière, tous deux très « Troisième République ». Ils ont d’ailleurs aménagé une passerelle en haut de l’anneau qui offre un autre point de vue tout aussi impressionnant, plus près de la coupole, et en surplomb de la rotonde. Même le mobilier (assises, tapis, luminaires) dessiné par les frères Bouroullec, dans des tons de gris, s’efface modestement pour se fondre dans le décor.
Alors que le béton d’Ando permet de rapprocher la Bourse de commerce de la Pointe de la Douane, la disposition des galeries tout autour de la rotonde centrale rappelle le Palazzo Grassi. Les élévations offrent plusieurs espaces entre le rez-de-chaussée et le troisième étage. La plupart ont été convertis en galeries d’exposition, dotées de surfaces confortables, permettant de réaliser des accrochages individualisés. Le dernier étage, avec une vue magnifique sur l’extérieur, accueille un restaurant, tandis qu’un vaste auditorium occupe le sous-sol. Le visiteur est invité à déambuler librement, dans ou autour (« le passage ») du cylindre d’Ando, et entre les étages desservis par plusieurs escaliers.
Tout est juste dans ce lieu. Les bureaux administratifs et même la billetterie ont été installés dans des locaux adjacents afin de laisser le bâtiment respirer et magnifier les œuvres. Les abords ont été piétonnisés, dans la continuité du jardin des Halles et aménagés avec du mobilier urbain signé, là aussi, par les frères Bouroullec. L’exposition inaugurale coche toutes les cases de la bien-pensance du moment : éloge de la diversité des genres et des races, mise en avant des thèmes sociétaux contemporains, présence remarquée d’artistes de la scène française et absence tout aussi remarquée des artistes « bling-bling » (Jeff Koons et Damian Hirst).
Tout est juste et tout était prêt pour l’inauguration. Plus que prêt même. « Il ne manque pas un seul bouton de guêtres à ses soldats », disait-on des tableaux d’Ernest Meissonier. La remarque vaut aussi pour la Bourse de commerce – Pinault Collection.
Statut. Avec le Palazzo Grassi à Venise ouvert en 2006, puis la Pointe de la Douane inaugurée en 2009, François Pinault dispose d’un troisième site tout aussi prestigieux pour exposer sa collection de 10 000 œuvres de près de 380 artistes. Ce n’est pas vraiment un « musée », malgré son appellation, mais plutôt un lieu d’exposition. Ce n’est pas non plus une fondation. Les œuvres appartiennent à une société commerciale, la SASU Pinault Collection, dirigée par l’ancien ministre Jean-Jacques Aillagon, qui peut ainsi revendre les œuvres à son gré, contrairement à une fondation ou un musée. La Ville de Paris, propriétaire du bâtiment, le loue à la SASU pour une durée de cinquante ans renouvelable, charge à la SASU de restaurer et entretenir le site. Annoncée en avril 2016, la Bourse de commerce devait initialement ouvrir début 2019, avant que des retards dans les travaux et les confinements successifs ne reportent la date.
Jean-Christophe Castelain
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Paris intronise la Collection Pinault
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : Paris intronise la Collection Pinault