Art contemporain

EXPOSITION

Une exposition inaugurale attendue

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 26 mai 2021 - 831 mots

PARIS

La sélection d’œuvres offre un point de vue renouvelé sur la collection Pinault, très en phase avec son temps.

Paris. C’est sans doute le lancement le plus attendu de la capitale. Il s’agit tout autant, avec cette exposition inaugurale, de ne pas décevoir le public que de surprendre les amateurs et peut-être, aussi, de désarmer les éventuelles critiques.

Le lieu offre un cadre spectaculaire aux œuvres qu’il accueille, théâtralité dont cette première scénographie joue pleinement. Face au vestibule « Troisième République », la première vision que l’on a de l’exposition « Ouverture » est celle d’un opéra au moment du lever de rideau. Au centre de la rotonde, dans une version adaptée à l’édifice, une installation d’Urs Fischer reprend une de ses œuvres emblématique, datée de 2011 (Untitled, voir ill.). Il s’agit d’un groupe monumental de sculptures en cire ; la plus imposante, une réplique de L’Enlèvement des Sabines de Giambologna, placée sur un emmarchement en piédestal, est entourée de copies de sièges, de styles et d’époques divers, ainsi que d’une statue de l’artiste Rudolf Stingel. L’ensemble, selon le principe cher à Urs Fischer, commencera à fondre lentement dès le début de l’exposition, passant inéluctablement du formel à l’informe, « de la dynamique baroque verticale à l’entropie contemporaine », se réjouit Martin Bethenod, directeur général délégué, qui voit dans cet inéluctable « inversement de valeurs » un tribut ironique, et presque joyeux, au passage du temps.

Perchés sur le balcon, des pigeons empaillés observent les visiteurs. Ces insolents volatiles (Others, 2011) sont les seules œuvres de Maurizio Cattelan que l’on croisera à la Bourse. De la même façon, aucune autre star des accrochages précédents – Damien Hirst, Jeff Koons, Takashi Murakami… – ne figure à l’affiche. Comme si, l’époque ayant changé, ce baptême offrait aussi l’occasion de redéfinir l’esprit d’une collection que l’on croyait connaître par cœur depuis la création du Palazzo Grassi en 2006, puis celle de la Pointe de la Douane en 2009. « La quasi-totalité des œuvres exposées ne l’ont pas été depuis quinze ans », précise Martin Bethenod.

Une monographie de David Hammons

C’est Bertrand Lavier qui investit les vingt-quatre vitrines historiques restaurées du « passage », sur un mode rétrospectif, forcément décalé, de sa propre carrière. Cette respiration facétieuse précède le troisième espace, consacré à une présentation majeure de David Hammons, un des choix inattendus de cette sélection. L’œuvre de David Hammons n’a jamais bénéficié d’une telle visibilité en Europe [lire page 26]. En rassemblant une trentaine de ses pièces, dont plus de la moitié n’avait encore jamais été montrée, la Bourse en souligne la cohérence et l’originalité, la force également. Actif depuis les années 1970, l’artiste afro-américain ne cesse d’aborder à travers une grande variété de supports (œuvres sur papier, sculptures, vidéos, performances…) le racisme en vigueur aux États-Unis et la misère qu’il entraîne. Ses assemblages de peu – ficelles, capsules, chambres à air, plastique – se traduisent par des objets d’une grande efficacité visuelle. Pour ce faire, Hammons s’inspire de l’arte povera ou mime l’esthétique géométrique du minimalisme, comme dans cette installation en deux parties, Minimum Security (2007-2020) composée d’une vidéo et d’une sculpture métallique évoquant une cellule d’un condamné à mort. On peut aussi y voir l’enfermement d’un art de l’establishment. Avec ce parti pris monographique, la Pinault Collection témoigne en tout cas de son attention aux enjeux post-coloniaux, au cœur de l’actualité, tout en faisant un pied de nez aux contempteurs d’un marché de l’art dont David Hammons a toujours méprisé et redéfini les règles.

La galerie de photographies, qui rassemble des tirages de Michel Journiac, Martha Wilson, Sherrie Levine, Cindy Sherman, Richard Prince et Louise Lawler, joue également la carte de l’engagement, avec des séries questionnant les clichés et stéréotypes en tous genres, du rôle supposé de la femme au rêve américain.

Hors des sentiers battus de l’art contemporain

Suit une enfilade de quatre salles consacrées à la peinture, toutes générations mêlées, avec un prisme figuratif centré sur la représentation humaine. Cette fois-ci, la surprise vient du fait que nombre des artistes présentés n’ont jamais eu les honneurs d’aucune institution parisienne : ni Rudolf Stingel, ni Luc Tuymans, ni Marlene Dumas, ni Kerry James Marshall, ni Miriam Cahn, pour ne citer que les plus reconnus. Au-delà de ce constat, le parcours offre quelques découvertes (Florian Krewer, Antonio Obá, Ser Serpas…), d’autant que chaque artiste est abordé grâce à un ensemble ; c’est aussi une façon de collectionner. Les huit chaises de bronze de Tatiana Trouvé qui balisent le parcours posent, quant à elles, un autre regard sur la vie d’un musée (The Guardian, 2018-2020). La visite continue au sous-sol avec l’installation sonore de Tarek Atoui que l’on avait pu voir à la Biennale de Venise en 2019. Elle se termine, dans le Studio, sur une installation profondément mélancolique de Pierre Huyghe (Offspring). À l’extérieur, du haut de la colonne Médicis, clignote le message codé lumineux du Mont Analogue, transcription en morse par Philippe Parreno du texte de René Daumal décrivant une impossible ascension, « ce besoin de hauteurs qui vous prend comme un poison ».

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°568 du 28 mai 2021, avec le titre suivant : Une exposition inaugurale attendue

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