La Ville envisage de déloger le Haus Konstruktiv, le musée d’art concret, au profit d’une centrale électrique.
Zurich. Que la ville de Zurich parie sur les énergies renouvelables et s’attelle à mettre en place sa stratégie 0 % d’émissions carbone pour 2040, voilà plutôt une bonne nouvelle. Seulement, le Musée d’art concret de la ville, la Haus Konstruktiv, risque d’en pâtir car cet élan de sobriété suppose la remise en service, à partir de 2030, d’une ancienne centrale électrique en plein cœur de la ville, actuellement occupée par ledit musée. Le contrat de location expire à l’été 2025, date à laquelle la ville souhaite déloger le musée.
Surnommée la « Little Tate Modern », cette collection d’art concret zurichoise, commencée en 1986, rassemble de près de huit cents œuvres, parmi lesquelles des pièces signées Max Bill, Richard Paul Lohse, Verena Loewensberg ou Camille Graeser du groupe des Concrets zurichois, tous fédérés autour de Max Bill, en 1936 à Zurich, et fondant la théorie de l’art concret comme synthèse du constructivisme russe et du mouvement De Stijl. En 2001, la collection est accueillie dans la centrale électrique à l’arrêt, sise sur les quais du fleuve Sihl : un patrimoine industriel datant de la fin des années 1920, inscrit monument historique. Le lieu convient à merveille à cette institution, constituée en fondation, qui avait investi à l’époque sept millions de francs suisses (soit sept millions d’euros) pour transformer les espaces industriels en cimaises de musée. Aujourd’hui, la Haus Konstruktiv est non seulement reconnue pour l’excellence de sa collection, mais aussi pour le programme d’expositions temporaires ambitieux. Il sera difficile – pour ne pas dire impossible – de retrouver un lieu aussi unique et central. Non seulement le marché immobilier est tendu à Zurich, mais la fondation ne dispose pas de moyens financiers suffisants pour une installation du musée dans de nouveaux locaux.
« Zurich, prends-tu ton art vraiment au sérieux ? », demande l’hebdomadaire zurichois WOZ, dans son édition du 22 novembre dernier. C’est que cette annonce vient raviver le souvenir du projet de fermeture d’un autre haut lieu du patrimoine culturel zurichois, le Cabaret Voltaire, où le mouvement Dada vit le jour en 1916. Sauvé in extremis d’un projet de réaménagement spéculatif en 2002 à la suite de la mobilisation d’artistes, le lieu fut finalement repris par la Ville et réouvert au public en 2004.
L’ingratitude de la Ville face à son passé historique est l’objet d’un reproche récurrent dans les milieux culturels zurichois : « Dada et le Constructivisme sont les deux mouvements artistiques d’importance internationale que Zurich et, à ma connaissance, la Suisse ont engendrés. Déjà, Dada a longtemps été traité en parent pauvre. Il serait scandaleux qu’une ville riche comme Zurich, qui affiche toujours l’attractivité de sa vie culturelle, ne soit pas en mesure d’assurer un avenir à son musée d’art constructif. Et il serait bienvenu pour Zurich que ce courant artistique puisse rester dans un témoin du Neues Bauen, un courant architectural qui incarne parfaitement l’esprit du constructivisme et de l’art concret. Il est rare que l’enveloppe et le contenu soient aussi parfaitement adaptés l’un à l’autre », regrette Thomas Haemmerli, journaliste et chercheur zurichois.
Sa pétition adressée fin novembre à la municipalité sous le hashtag « Das Haus Konstruktiv muss bleiben » [Haus Konstruktiv doit rester] a recueilli jusqu’à présent près de 3 300 signatures et, parmi elles, celles de personnalités du monde de la culture en Suisse. « La plupart du temps, les pétitions n’aboutissent pas, reconnaît Thomas Haemmerli, mais il est inédit que la directrice du Kunsthaus, des commissaires “Off Space”, de grands galeristes comme Iwan Wirth jusqu’au pasteur de la cathédrale, et même deux anciens maires de la ville la signent. La Ville sait que nous pouvons faire du bruit. Le sujet est à l’ordre du jour. Toutefois, une solution de déménagement avec un loyer abordable devrait encore être confirmée par le conseil municipal et, le cas échéant, faire l’objet d’une votation populaire. » L’affaire aura mis en lumière un problème central : en misant sur son avenir climatique au détriment de la culture, la ville de Zurich renvoie climat et culture dos à dos. Avec son slogan de « Cool city », elle n’a en réalité réussi qu’à jeter un froid sur le monde de la culture suisse.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Menaces sur la « Little Tate Modern » à Zurich
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : Menaces sur la « Little Tate Modern » à Zurich