L’Unesco, l’Iccrom et l’Icom ont appelé à plusieurs reprises l’Italie à se préoccuper de ses réserves muséales, qui ne sont pas aux normes. Le gouvernement vient à peine de dresser une liste des œuvres majeures cachées. Les initiatives proviennent surtout des musées eux-mêmes.
La plus grande partie du patrimoine italien est invisible et se trouve souvent en danger. 80 à 90 % des collections des 4 026 musées, 293 parcs archéologiques et 570 monuments de la péninsule gisent dans l’ombre de leurs réserves, où leurs conditions de conservation sont pour le moins précaires. C’est ce que mettait déjà en exergue une enquête internationale conduite en 2011 par l’Unesco et l’Iccrom (Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels) qui est de nouveau l’objet d’un débat en Italie.
La péninsule n’est pas la seule concernée. Dans le monde, 90 % environ des collections des musées se trouvent dans leurs réserves et 60 % d’entre elles sont victimes d’une mauvaise gestion, d’un manque d’entretien et de mesures de sécurité inadaptées. La proximité d’un fleuve, l’absence de mesures anti-incendie adéquates ou encore des conditions de température et d’hygrométrie non conformes mettent en péril les œuvres. Elles sont le plus souvent entreposées dans des espaces surencombrés, où la circulation est difficile voire impossible, avec une documentation incomplète ou inexistante. Une situation à laquelle il est difficile de remédier, puisqu’un musée sur deux manque du personnel nécessaire.
Un désintérêt pour les réserves qui était déjà souligné en 1934 au cours d’une réunion du Conseil international des musées (Icom) à Madrid. En 1976, un nouvel appel était lancé à Washington pour que les institutions culturelles s’attellent concrètement à cet enjeu en ne considérant plus leurs réserves comme un simple lieu physique, mais comme un élément à placer au cœur de leur mission de valorisation du patrimoine dont elles ont la charge. L’enquête de l’Iccrom et de l’Unesco en 2011 a prouvé que le thème est toujours d’actualité. Ils demandent donc à tous les États membres et aux institutions spécialisées de coopérer en adoptant et développant la méthode RE-ORG récemment mise au point. Elle a pour but d’aider les personnes travaillant dans les collections conservées dans les dépôts à se concentrer sur leur utilisation créative. Dans cette perspective, les dépôts ne doivent plus être au mieux des greniers, où les objets prennent la poussière, ni au pire des cimetières où ils sont abandonnés à leur sort. Ils doivent être intégrés dans le parcours des musées pour devenir des lieux vivants et visitables.
Un appel à la communauté muséale pour adopter d’urgence les mesures nécessaires a été lancé à l’issue d’une journée d’études internationales sur le sujet organisée à Matera le 15 mars dernier par l’Icom Italie. « Il faut complètement repenser notre approche et notre vision des réserves, plaide sa présidente Tiziana Maffei. Il y a un manque de sensibilité en la matière et de formation du personnel, car l’accent a été mis sur la valorisation du patrimoine axée sur les expositions. Sa conservation a été délaissée. Les réserves doivent devenir des espaces actifs, visitables et sûrs. Mais le public ne doit pas y aller pour admirer un énième “best of” des collections. Il doit comprendre que c’est ici que se trouvent la mémoire du musée et le cœur de son travail. Elles doivent être rendues accessibles, car elles sont essentielles pour la recherche universitaire. Au lieu de penser à construire de nouveaux musées, il conviendrait de réfléchir à organiser les réserves de ceux qui existent. »
Il faut pour cela savoir ce qu’elles contiennent. Le ministère italien des biens culturels vient tout juste d’établir une liste appelée « Sleeping Beauty », qui n’a pas été rendue publique par mesure de sécurité. Les 3 900 objets qui y figurent ont été sélectionnés par les directeurs de musées sollicités par le Mibact (le ministère pour les Biens et Activités culturels) et constituent le point de départ de l’élaboration d’une base de données, mais pas un véritable recensement qui n’a jamais eu lieu. L’Icom Italie le lancera à la fin du mois de juin. « Les réserves continuent sans cesse de s’enrichir. Notre pays est l’un des premiers à être concerné et peut donner l’exemple, explique Tiziana Maffei. Il y a les objets qui proviennent des chantiers de fouilles archéologiques, qui ne sont pas tous d’un intérêt artistique majeur, mais d’une importance scientifique et historique indéniable. Il y a l’afflux d’objets après des catastrophes naturelles comme les récents tremblements de terre, qui ont frappé le centre de l’Italie. Enfin, l’évolution de la muséographie comme du goût du public envoient dans les réserves certaines œuvres ou en font sortir d’autres. Mais les choses commencent à changer. » C’est le cas des Offices de Florence, dont un tiers des tableaux exposés dans les quatorze nouvelles salles du musée, à peine inaugurées, proviennent de ses dépôts (lire p. 3). Ils ont en outre bénéficié d’investissements importants pour améliorer leur sécurité et leur modernisation. À Paestum, le musée archéologique organise avec des archéologues, des restaurateurs et des techniciens « Les vendredis des dépôts ». Un parcours pour faire découvrir ses sous-sols riches de centaines de tombes peintes des IVe et IIIe siècle av. J.-C. invisibles jusqu’ici. Le public a répondu présent avec enthousiasme. Il s’est pressé également pour visiter « Histoires à écrire », l’exposition de statues, tableaux, porcelaines, tapisseries, armes et objets décoratifs qui s’est tenue jusqu’au 15 mai dernier au Musée Capodimonte. Elle rassemblait 1 200 objets parmi les 30 000 de ses réserves placées dans cinq dépôts. Celles du Mudec, le Musée des cultures ouvert à Milan en 2015, sont quant à elles visitables.
« Le moment est venu de lancer une véritable politique patrimoniale, qui prenne sérieusement en considération la place des réserves, insiste Tiziana Maffei. Tout ne peut pas être exposé et les espaces des musées, souvent en plein cœur des villes, ne sont pas assez grands. Il faut trouver des solutions à l’extérieur des centres urbains. Nous demandons le lancement d’un projet national avec les financements nécessaires à la création dans chaque région d’un ou de deux centres de conservation. Ils pourraient être utilisés comme dépôts d’urgence en cas de catastrophe naturelle et devraient être dotés de toutes les caractéristiques adéquates pour conserver, restaurer et étudier les objets. Ils devront enfin être ouverts au public et collaborer étroitement avec les centres de recherches et les universités .»
L’Italie est en première ligne dans le travail de réflexion que l’Icom est en train de mener pour améliorer la conservation et la valorisation des réserves des musées. Il rassemble les recommandations de ses différents comités nationaux et internationaux. Ses conclusions seront présentées le 1er septembre prochain à Kyoto, où se tiendra la 25e conférence générale de l’Icom. Plus de 3 000 participants se pencheront sur le thème « Les musées, plateformes culturelles : l’avenir de la tradition ». Les réserves seront au cœur de leurs travaux, qui viseront à les tirer de l’ombre, pour mettre en lumière le formidable gisement inexploité du patrimoine qu’elles sont.
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L’Italie commence à s’intéresser aux réserves de ses musées
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°526 du 21 juin 2019, avec le titre suivant : L’Italie commence à s’intéresser aux réserves de ses musées