Le 10 janvier dernier à Bruxelles, à l’initiative des sénateurs belges François Roelants du Vivier et Paul Wille, une journée d’étude s’est tenue au Parlement belge sur les questions de restitution des biens culturels. La rencontre a souvent reproduit les positions antagonistes suscitées par les conventions Unesco et Unidroit. Mais elle a démontré un premier consensus, sans doute influencé par la relation singulière entre la Belgique et l’Afrique.
BRUXELLES - Depuis deux ans, la Belgique se préoccupe de rallier les nations qui ont ratifié la convention Unesco de 1970 sur la lutte contre les trafics illicites de biens culturels. L’environnement international l’y incite puisque, après les États-Unis en 1983 et la France en 1997, le Royaume-Uni, premier pays de transit du marché de l’art international, applique la convention depuis novembre 2002.
Souvent dénoncée comme un paradis des trafics, la Belgique le doit non seulement à son retard dans l’adoption de la convention Unesco mais aussi à sa jurisprudence interne. Le recel étant considéré comme un délit instantané, les objets volés réapparaissent légalement après cinq ans de sommeil, la durée de prescription du délit. Les travaux parlementaires en cours visent donc à faire déboucher le processus de la convention Unesco – dont le projet de loi de ratification a été adopté par le Conseil des ministres de Belgique le 6 décembre 2002. Ils ont aussi pour objectif de modifier le code pénal belge (art. 505), suivant une proposition de loi déposée en juin 2002 par François Roelants du Vivier, qui mentionne que “l’infraction de recel subsiste pendant toute la durée de détention illicite” des biens.
Ratification des conventions
Le colloque du 10 janvier a été l’occasion de nombreuses communications. Un examen rétrospectif de la “transhumance” des biens culturels, depuis la période coloniale au cours de laquelle se sont constituées de nombreuses collections muséales, aux spoliations de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à la persistance à l’heure actuelle des pillages de sites archéologiques. Ont aussi été présentés les instruments internationaux : conventions Unesco et Unidroit, mais également dispositif de restitution interne à l’Union européenne, à propos duquel il faut rappeler que, largement inspiré des travaux de l’Unidroit, il est applicable dans l’Union européenne depuis dix ans, sans qu’il n’en ait résulté, semble-t-il, de désordres juridiques importants.
Enfin, le débat a porté sur la question de la ratification des conventions internationales et, plus généralement, sur les problèmes de la restitution des biens culturels.
Si on a retrouvé des positions classiques, opposant en particulier les professionnels du marché et les tenants des conventions internationales, les lignes de partage sont cependant plus nuancées. Après avoir vivement critiqué les fonctionnaires internationaux confortablement installés expliquant aux marchands (qui prennent tous les risques) ce qu’ils devraient faire, Jan de Maere, président de la chambre royale des antiquaires belges, a concédé qu’il n’était pas opposé à la ratification de la convention Unesco mais demeurait hostile à celle de l’Unidroit. Il exprimait là une forme de consensus sur ce point.
En revanche, le débat est demeuré confus sur la convention Unidroit, en partie à cause d’une certaine méconnaissance de la portée exacte du texte. On a par exemple entendu que la convention Unidroit aurait été hâtivement préparée par un “bureau d’étude”, ou bien qu’on était d’accord pour adopter toutes les conventions internationales possibles à condition que cela ne change en rien le droit belge. Et, malgré les efforts de clarification de Guido Carducci pour l’Unesco ou de Georges Droz à propos de la convention Unidroit, ces confusions ont persisté, justifiant l’attitude prudente du sénateur Roelants du Vivier, qui a appelé à une “vaste concertation” avant de définir une position sur la convention Unidroit.
Sauvegarde du patrimoine
Sur la question générale des restitutions sont apparus des désaccords à la fois sur les principes juridiques et sur les objectifs. Notamment entre les tenants de la sauvegarde du bien culturel “où qu’il soit”, légitimant les possesseurs publics ou privés pour lesquels cette mission ferait partie de leur rôle de conservation, et ceux qui soulignent que la déperdition du contexte, en particulier lors des fouilles clandestines, est une perte aussi grave que celle de l’objet. Un vif débat sur ce point a opposé en particulier Lord Renfrew, archéologue, et Bernard de Grunne, antiquaire spécialisé, après que ce dernier eut affirmé qu’il n’y avait plus rien à piller en Afrique, en surface.
Un des apports de la journée a été l’exploration des relations de la Belgique avec son ancienne colonie : le Congo. La Belgique, qui n’a pas constitué d’empire colonial à l’exception de ce territoire africain, un temps propriété personnelle du roi des Belges, a sans doute une vision plus concrète, peut-être même plus sensible, de la question. Ainsi ont été rappelées les étapes de la constitution des très importantes collections d’art africain de la Belgique et des restitutions aux deux Congos que le royaume a décidé d’opérer dès 1979. Cela fut l’occasion d’un débat “parasite”, hélas récurrent et entretenu tant par des professionnels du marché que par certains conservateurs, sur des cas de restitution qui auraient été suivis de réexportation frauduleuse, encouragés par la corruption ou le délabrement des structures de conservation. Un argument trop souvent utilisé pour légitimer les trafics, qui, d’une certaine manière, sauvegarderaient un patrimoine que leurs propriétaires seraient incapables de protéger. Avec une certaine animation, l’ambassadeur du Nigéria concluait sur ce point : “What belongs to us belongs to us”, c’est-à-dire, en quelque sorte : si vous voulez vous donner la bonne conscience d’admettre les spoliations coloniales, débarrassez-vous par la même occasion de tout paternalisme néo-colonial.
Dans les rapports de l’Union européenne avec l’Afrique sur les biens culturels, la Belgique occupe par ailleurs une place particulière. C’est elle qui dirige les travaux sur les restitutions, inscrits parmi les huit thèmes du plan d’action dit “Dialogue du Caire”, lancé en avril 2000 par le sommet entre l’Union européenne et l’Organisation des États africains. La Belgique joue donc le rôle de pays pilote pour l’Europe dans ce domaine. Un dialogue qui a permis de situer la question Europe-Afrique entre la problématique quasi contentieuse de la restitution et celle du retour, qui s’inscrit davantage dans la collaboration.
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Les restitutions en question
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°165 du 21 février 2003, avec le titre suivant : Les restitutions en question