Boulogne-sur-Mer possède une collection exceptionnelle d’art eskimo. Cet ensemble, composé notamment de masques d’Alaska, a été rapporté par Alphonse Pinart, grand voyageur et anthropologue de la fin du XIXe siècle. Ils ont dormi pendant près d’un siècle dans les réserves du musée. Issus du monde magique des esprits, ces masques de chamanes en bois peint, réduits à l’essentiel, fascinèrent les surréalistes, d’André Breton à Joan Miró. Ils séduisent toujours par leur beauté poétique et mystérieuse.
BOULOGNE-SUR-MER - Parmi ses collections "exotiques", le Château-Musée recèle un important fonds "Alaska", témoignage unique de la culture eskimo en France. Collecté en 1871 par l’explorateur Alphonse Pinart, il compte deux cent dix objets aléoutes et eskimos.
À part quelques prêts ponctuels au Musée Guimet, en 1959, et au MoMA à New York, en 1984, ce patrimoine ethnographique est resté quasiment inconnu. Abandonné dans les réserves, il n’a été inventorié et restauré qu’en 1988. Pièces funéraires aléoutes, ornements de parure en ivoire, matériel de chasse et de pêche, modèles de kayaks et environ soixante masques en bois sont enfin visibles, depuis 1990, dans trois salles du Château.
Les masques aléoutes datant du XVIIIe siècle sont montrés dans la première salle. Par son plan circulaire et son éclairage minimal, elle restitue l’atmosphère de la caverne dans laquelle Pinart les a découverts. Sculptés uniquement à l’occasion des funérailles des pêcheurs de baleines, ces impressionnants masques funéraires en bois flotté étaient brisés à la fin des cérémonies, puis déposés dans les grottes auprès des défunts.
La seconde salle offre un panorama de la culture matérielle eskimo allant des instruments de pêche (harpons et hameçons) aux objets de parure en ivoire (labrets, pendentifs).
Chamaniques et féeriques
Suspendus par des fils, les très spectaculaires masques eskimos sont exposés dans la troisième salle. Masques Koniag (île Kodiak) ou Chugagh (baie du Prince William) peints en rouge, vert ou bleu dévoilent un univers étrange et poétique. Les surréalistes affectionnaient cet art primitif et magique : André Breton, Max Ernst et Matta collectionnaient des masques d’Alaska, et Joan Miró s’en est sans doute inspiré pour ses "peintures oniriques".
La plupart des masques de Boulogne ont un rapport avec les tunghags, les esprits-auxiliaires du chamane qui intervenaient dans les cérémonies propitiatoires et assuraient le succès à la chasse. Les petits masques de danse en forme de disque plat seraient liés, par contre, au culte de la lune. À l’origine entourés de plumes, ils étaient maintenus entre les dents du danseur.
D’autres n’étaient sans doute pas portés mais simplement accrochés à l’intérieur des maisons communautaires. Masques-lunes, masques de chamanes pointus, coniques et à planchettes polychromes frappent surtout par leur extrême stylisation et la variété de leurs expressions.
Des visages mystérieux aux faciès rieurs ou boudeurs transmettent des messages magiques. D’énigmatiques symboles sont peints à l’image des tatouages rituels dont se paraient les Eskimos. Enfin, les plus remarquables s’ornent d’éléments multicolores tels des halos imaginaires et féeriques.
Boulonnais d’origine, Alphonse-Louis Pinart part à dix-neuf ans en Alaska. L’ex-"Amérique russe" a été rachetée en 1867 par les États-Unis. Son projet est de démontrer l’origine asiatique du peuplement américain en comparant les langues de l’ouest de l’Amérique à celles de l’Extrême-Orient. Cette aventure linguistique le conduira de San Francisco au détroit de Béring, en passant par Sitka. Durant ce parcours, où il effectue 6 000 km en kayak, le jeune Pinart rencontre les Eskimos du Pacifique, qui vivent sur les îles Aléoutiennes et la côte ouest de l’Alaska. Il prend des notes et rapporte des objets achetés auprès des marchands russes. Sur les conseils d’E.-T. Hamy, son compatriote et futur directeur du Musée du Trocadéro, Pinart lègue en 1875 sa collection au Musée de Boulogne. Elle sera le seul témoignage de son travail d’explorateur en France, car la majorité de ses écrits, conservés aux États-Unis, sont encore inédits. Après avoir voyagé plusieurs fois aux "Amériques", il meurt dans l’oubli le plus total en 1911. À l’inverse, sa femme, Zelia Nuttal, une riche Américaine qu’il initia à l’anthropologie, restera célèbre pour ses travaux sur le Mexique ancien…
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Les Eskimos de Boulogne-sur-Mer
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°14 du 1 mai 1995, avec le titre suivant : Les Eskimos de Boulogne-sur-Mer