Implanté à proximité de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, et consacré au développement de la culture kanak et océanienne, le Centre culturel Jean-Marie Tjibaou a été inauguré le 4 mai par Lionel Jospin. Conçu par Renzo Piano en référence à l’architecture des huttes primitives, pour un coût de 320 millions de francs, il abritera des collections traditionnelles et des créations contemporaines.
PARIS. Par choix éthique, par formation sans doute également, Renzo Piano –auquel nous devons, avec le Centre Georges Pompidou, l’un des seuls véritables monuments que le XXe siècle aura offert à Paris – s’est délibérément installé en marge de la production architecturale contemporaine pour concentrer sa recherche sur ce qui est, en quelque sorte, préalable à toute architecture. Son travail procède en effet d’une farouche détermination à évacuer les questions de symbolique, d’esthétique ou de subjectivité – bref, tout ce qui est variable d’une culture ou d’un individu à un autre – pour se concentrer exclusivement sur ce qui, dans l’architecture, y est d’abord utile. Ainsi les édifices de Piano renvoient-ils presque toujours à la figure de l’Abri – laquelle s’oppose prototypement à celle du Temple –, qui répond au seul principe d’économie : un minimum de matière mise en œuvre pour un maximum d’espace dégagé sont les conditions préalables pour concentrer la recherche architecturale sur le choix des meilleurs dispositifs structurels, des meilleures lumières ou des matériaux les mieux adaptés au contexte dans lequel le futur édifice doit s’insérer. Fort de cette attitude, il était sans doute prévisible que l’architecte génois croise un jour cette architecture dite “primitive” qui, de l’igloo arctique à la tente bédouine, hante nos souvenirs d’enfance et borde les contrées de la culture architecturale “savante”. L’occasion lui fut donnée quand, en 1990, Émile Biasani, secrétaire aux Grands travaux du président Mitterrand, organisa un concours international pour la construction d’un centre culturel consacré à la culture océanienne et kanak, à proximité de Nouméa. L’idée d’un tel projet est née à la suite des accords de Matignon, comme une conséquence logique de la création d’une Agence de développement de la culture kanak, avant de devenir véritablement indispensable à la suite de l’assassinat du leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou le 4 mai 1989.
Adossé à un lagon
Livré en 1991, le projet voit aujourd’hui le jour après quelques vicissitudes de chantier. Le résultat est surprenant, spectaculaire même et, au final, enchanteur. Adossé à un lagon et s’ouvrant sur une lagune, dix huttes de hauteur inégale – les plus hautes atteignent près de vingt-huit mètres – jaillissent d’un paysage dominé par la végétation. Dessinées en forme de demi-bulbe, elles sont coupées au tiers de leur hauteur par un toit oblique qui laisse filer une charpente arachnéenne en bois d’Iroko, conçue pour intercepter les alizés locaux et ventiler les espaces intérieurs. Pour expliquer son projet, l’architecte génois indique qu’il a voulu dessiner un paysage plutôt qu’un édifice. Installé sur une ligne de crête, il est organisé le long d’une “allée” ponctuée par les huttes d’un côté – qui se dressent face au lagon comme des totems – et des bâtiment semi-enterrés de l’autre. Ainsi disposé, le profil du centre rappelle incontestablement celui, fragile et serein, des villages traditionnels, et s’installe dans le paysage avec douceur. Pour la conception de ses huttes, Renzo Piano ne s’est pas directement inspiré de l’architecture kanak, même si, pendant l’élaboration du projet, il s’est adjoint les conseils d’un spécialiste, l’anthropologue Alban Bensa. Les techniques et les matériaux les plus modernes – bois, verre et acier principalement – sont plus ici au service d’une évocation que d’une citation directe, Renzo Piano ayant la sagesse d’assumer ses propres références, montrant ainsi le chemin d’un échange possible entre deux cultures qui aspirent à une paix commune.
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Les cases de l’oncle Piano
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°61 du 22 mai 1998, avec le titre suivant : Les cases de l’oncle Piano