PARIS
« L’envol » : prophétique, le titre de l’exposition de La Maison rouge à Paris, ouverte au public depuis le 16 juin dernier, n’annonce pas seulement le thème du nouvel accrochage collectif de la fondation de droit privé, « Le rêve de voler », mais aussi la fermeture définitive, le 28 octobre 2018, de ce lieu reconnu d’utilité publique, ouvert en juin 2004 par le collectionneur et ancien galeriste Antoine de Galbert.
En quatorze années d’existence, La Maison rouge aura bouleversé le paysage artistique parisien – et plus encore –, en proposant une programmation, pour reprendre le titre du magazine L’Œil en 2004, « sagement alternative » à celle trop souvent dictée par le marché ou par le goût dominant. Dans une interview accordée au Journal des Arts en 2004, le fondateur, héritier de la grande distribution, définissait son projet ainsi : « Notre intention est de montrer de grandes collections internationales. Ce sont des collections pointues et respectées dans leurs domaines particuliers, celui de la vidéo, de l’Art brut ou de l’art conceptuel par exemple. Ce ne seront pas des extraits de pages de catalogues de Christie’s, mais de vraies démarches personnelles de collectionneurs. »
Avec « L’envol », 129 expositions ont ainsi été programmées par la fondation, dont 33 monographies, 14 expositions thématiques et 20 expositions dédiées à des collectionneurs privés. L’exposition inaugurale, « L’intime, le collectionneur derrière la porte », avait déjà marqué les esprits par son originalité. Elle réunissait seize collectionneurs dans autant d’espaces intimes reconstitués (chambres, salons, toilettes, bureaux, etc.), pour une exposition affichant près 500 œuvres de 200 artistes ! Le seul choix du commissaire invité, l’écrivain et psychanalyste Gérard Wajcman, témoignait de la voix indépendante, sinon anticonformiste, à l’image de son fondateur, qu’ambitionnait de faire entendre La Maison rouge, et qui l’amènerait à exposer, au printemps dernier, les peintures de Ceija Stojka, artiste rom qui a peint, quarante ans après la Libération, l’enfer concentrationnaire d’Auschwitz-Birkenau. Entre ces deux propositions, la Fondation Antoine de Galbert aura donc présenté au public ce qu’il n’avait jamais vu, et ne reverra probablement plus, ailleurs : les collections d’Art brut d’Arnulf Rainer et de Bruno Decharme, la scène créative de Winnipeg, les machines à rêve de Nicolas Darrot, les mondes fantastiques de Tetsumi Kudo et, pour les dix ans de la fondation en 2014, la collection du maître des lieux, Antoine de Galbert. Ce dernier projet, un peu fou, consistait à accrocher à touche-touche 1 200 peintures, photos et dessins de plusieurs centaines d’artistes collectionnés – aimés – sans distinction de sexe, d’âge ou de chapelle, de Gabritschevsky à Rustin, en passant par Corbaz, Dubuffet, Delprat, Cieslewicz, Rainer, Leroy, Rutault, Boltanski…
Conforme à l’esprit de La Maison rouge, « L’envol » rassemble cet été, boulevard de la Bastille, près de deux cents œuvres d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, avec des pièces ethnographiques et populaires. Toutes partagent ce désir de voler, de s’évader, de fuir dans les airs qui anime aujourd’hui Antoine de Galbert. Car si ce dernier décide de fermer à double tour sa « maison », ce n’est pas en raison d’un constat d’échec d’une institution hors normes, mais au contraire pour éviter une certaine usure, avec la sensation de ne pouvoir mieux faire. « La Maison rouge est un lieu privé, elle n’est pas un musée. C’est comme un être humain voué à disparaître », confiait Antoine de Galbert au Journal des Arts en juin 2017. De disparaître tout en léguant à la postérité une aventure philanthropique et artistique qui restera, pour beaucoup, un modèle du genre.
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Les adieux de la Maison rouge
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°714 du 1 juillet 2018, avec le titre suivant : Les adieux de la Maison rouge