PARIS
Confidentielle à Paris mais active dans le monde entier, l’organisation Kadist est née d’une amitié entre le financier et sa nièce éprise d’art contemporain. Sa collection impressionne, ses ambitions aussi.
Paris. Un diplôme de Polytechnique et un autre du prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) en poche, un parcours qui l’a mené de la banque Paribas à la création, à San Francisco, d’une société spécialisée dans le capital risque qu’il a dirigée pendant trente ans… En rencontrant Vincent Worms au bar de son hôtel parisien, on s’attend à avoir affaire à un technocrate froid mâtiné de tradeur. Mais voici plutôt un homme qui, sur le tard, a trouvé grâce à l’art contemporain « une autre insertion dans la société ». Il y a dix ans, le sexagénaire a transmis à ses associés la direction de sa société et cessé de travailler « quinze heures par jour » pour se contenter de faire fructifier les avoirs familiaux, investis dans des start-up de la Silicon Valley. Sensibilisé à la philanthropie dans une ville où vivent quelques dizaines de milliardaires dont c’est l’un des sports favoris, il a également créé le « Tsadik Fund », qui a donné naissance en 2003 à la « Fondation Unitiative », placée sous l’égide de la Fondation de France. Si Vincent Worms a, un temps, acheté des œuvres – « des classiques du XXe siècle », selon ses termes : Basquiat, Kandinsky, Twombly… –, rien ne prédisposait cet ingénieur de haut vol à créer une structure vouée à la diffusion de l’art contemporain. Certes, « la culture artistique et le goût de la collection ont toujours été importants dans la famille » : il a 14 ans quand sa grand-mère maternelle lui offre « une vue abstraite du canal de Venise ». Mais c’est surtout la fille de sa sœur, Sandra Terdjman, qui le fait basculer dans un autre monde en lui glissant, lors d’un repas à La Closerie des Lilas : « Et si on créait une activité d’art contemporain ? » La jeune femme, qui a entrepris des études à l’École du Louvre à Paris et un master au Goldsmiths College de Londres, n’a pas besoin d’argumenter beaucoup. « C’est une histoire d’amitié entre un oncle et une nièce », résume-t-il. Et puis cela tombe bien, les Worms ont « un local à Montmartre ». Ce lieu, un espace donnant sur rue de 100 mètres carrés et communiquant avec des bureaux sous verrière que surplombent deux studios, devient le berceau parisien de « l’organisation interdisciplinaire d’art contemporain» Kadist, cofondée en 2002. Et Vincent Worms va bientôt découvrir que, dans l’art contemporain, « on ne parle quasiment plus de peinture ». Depuis, il lui arrive souvent de défendre dans les dîners de famille « le rôle social de l’art ». Et de s’interroger : comment partager plus largement cette conviction ? « Comment sortir du microcosme ? » Vaste question.
Les quelques années qui séparent la création de Kadist et son ouverture effective en 2006 vont servir à construire une collection, préalable à la programmation. L’entité toute neuve se dote d’un comité d’acquisition. « Pour aider Sandra »– qui depuis a quitté la direction de Kadist et épousé l’artiste Tarek Atoui –, Vincent Worms fait appel à des personnalités du monde de l’art : Jeremy Lewison, un ancien de la Tate ; Rozenn Prat, qui enseigne à Centrale ; et Jean-Marc Prévost, actuel directeur du Carré d’art à Nîmes… Ces conseillers en art de la première heure sont encore présents aujourd’hui. Au fil du temps, d’autres personnalités ont rallié Kadist en tant que consultants ; Hou Hanru, directeur artistique du Maxxi à Rome, est ainsi chargé de la section spécialisée en art asiatique. Une antenne Kadist a également ouvert à San Francisco. Mais le protocole de travail pour augmenter la collection est resté le même. Deux commissions par an, une vingtaine d’œuvres soumises au vote. Le processus est long, parfois âpre, toujours captivant. Les sommes dépensées ? Cet adepte de la transparence rechigne à les communiquer. Budget d’acquisition et de fonctionnement réunis, Kadist dispose d’un fonds de roulement annuel comparable à celui d’une fondation de la taille de la Maison rouge [qui vient de fermer ses portes à Paris, NDLR], soit plus de 2 millions d’euros, une belle somme ! De Francis Alÿs à Apichatpong Weerasethakul, de Doug Aitken à Jeff Wall, la collection offre un panorama assez complet de l’art de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, depuis le très connu jusqu’au plus pointu. Organisée en sous-sections thématiques et géographiques, elle compte environ 1 200 œuvres, parmi lesquelles quelques centaines de vidéos, pour la plupart bientôt consultables en ligne sur une plateforme créée à cet effet. L’organisation a également son « appli », soit un fil d’actualité des différents artistes géré par un logiciel de traitement de l’information. Cette appétence pour les technologies de pointe est l’une des particularités de Kadist, dont le président cofondateur n’est pas pour rien un ingénieur basé en Californie. Petite supériorité high-tech qui autorise d’ailleurs des économies d’échelle : les équipes – quatre personnes à Paris et autant à San Francisco – sont réduites mais hyperconnectées.
L’autre spécificité de Kadist, c’est, de toute évidence, son rayonnement international. Trois expositions se tiennent chaque année dans ses locaux montmartrois, assez confidentiels, où des événements – conférences, performances, projections… – rassemblent une à deux fois par mois une cinquantaine de personnes au maximum. Un public « surtout professionnel », reconnaît volontiers Émilie Villez, la directrice de l’antenne parisienne. À San Francisco, où Kadist est implantée dans le quartier très street art de Mission District, c’est essentiellement un public « branché » qui fait le déplacement pour les rituels « Wednesdays » mis en place depuis 2010. Mais la face immergée de l’organisation, la plus importante, ce sont ses expositions hors les murs. Ces projets expérimentaux ou prêts d’œuvres à des institutions étrangères comme le Moscow Museum of Modern Art permettent à Kadist de promouvoir ses artistes, sans pour autant proclamer : « Voilà, c’est notre collection ! », observe Émilie Villez. Discrétion de rigueur, toujours. Les résidences, à Paris et San Francisco, d’artistes, de commissaires comme d’espaces d’art indépendants sont une autre façon d’étendre et de consolider ce réseau. D’autant que dans le petit monde de l’art contemporain, les chemins se croisent et se recroisent. En 2007, Cosmin Costinas, un contributeur du magazine Documenta 12 Project, est le premier commissaire invité par Kadist à Paris. Près de dix ans plus tard, avec Inti Guerrero, il est commissaire de « Soil and Stones, Souls and Songs » (2016-2017), une exposition Kadist qui voyage de Manille à Bangkok en passant par Hong Kong. L’Asie, la Chine en particulier, avec son industrie culturelle en plein essor, est l’un des nouveaux horizons de Kadist et de son président, qui s’apprête justement à s’envoler pour Chongqing. « Il y a en Chine une nouvelle génération d’artistes qui font du très bon boulot. » Et « de nouveaux musées vides », ravis d’accueillir les œuvres de la collection.
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Vincent Worms l’oncle d’Amérique
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°511 du 16 novembre 2018, avec le titre suivant : Vincent Worms l’oncle d’Amérique