Le 11 septembre se sont tenues, au Sénat, les quatrièmes Journées juridiques du patrimoine. Cette année, l’importance des textes de lois en discussion devant les deux assemblées fournissait une matière particulièrement riche à ces débats. Ceux-ci ont d’ailleurs permis d’éclaircir les positions respectives des parlementaires et du gouvernement sur le détail de ces propositions. Surtout, les discussions ont fait apparaître l’inquiétude voire la méfiance des défenseurs du patrimoine face à des évolutions législatives pas nécessairement utiles.
PARIS - Si la proposition de loi sur la protection des ensembles mobiliers, déposée par le député Pierre Lequiller, a été adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale le 3 avril dernier (lire le JdA n° 126, 27 avril 2001), elle n’en comporte pas moins des dispositions discutables, qui ne sont pas étrangères au report de son examen devant le Sénat. Son objet est d’étendre la protection de la loi de 1913 aux ensembles mixtes composés à la fois d’un immeuble par nature mais aussi d’immeubles par destination (cheminées, boiseries...) et d’objets mobiliers “qui présentent une cohérence exceptionnelle en raison de liens historiques, artistiques, techniques ou scientifiques qui les unissent”. La notion d’ensemble mobilier favorise le maintien in situ ou à tout le moins empêche la vente par lots.
Spécialiste du droit du patrimoine, l’avocate Martine Ribière s’est efforcée de mettre en évidence les problèmes soulevés par cette innovation législative. Elle a notamment souligné que le texte rendait l’indemnisation impossible en cas de classement d’office, ce qui était tout simplement anticonstitutionnel. Sans compter qu’aucune compensation fiscale n’est prévue. Par ailleurs, l’obligation de maintien in situ des meubles et immeubles par destination affecte le droit de propriété, et en particulier l’aliénation et la dévolution successorale rendues quasiment impossibles. Selon Martine Ribière, “la voie conventionnelle semble répondre à une véritable nécessité dans ce domaine pour garantir l’application effective des futures dispositions”. En réponse, François Goven, sous-directeur des Monuments historiques au ministère de la Culture, a rappelé que le gouvernement restait opposé à un mécanisme d’indemnisation systématique et préconisait une démarche basée sur le volontariat. Le rapport du sénateur Pierre Laffitte, qui servira de base à la discussion devant la Haute Assemblée, répond dans une certaine mesure aux inquiétudes, en voulant donner au maintien in situ une certaine forme de rareté et de solennité (cinq cas par an). Présent à la tribune, Pierre Lequiller a indiqué que les deux assemblées et le gouvernement étaient d’accord pour faire du classement in situ une procédure exceptionnelle et pour revoir le problème de l’indemnisation des propriétaires. En outre, les dispositions généralisant aux objets inscrits certaines obligations concernant les objets classés, contestées par les associations de propriétaires, devraient être supprimées. Enfin, François Goven a insisté sur des points de consensus importants : en contribuant à la connaissance des objets, l’inscription à l’Inventaire supplémentaire constitue la meilleure parade contre le vol.
Abords menacés
Ensuite, le sénateur Pierre Fauchon est venu défendre sa proposition de loi qui transfère, dans certains cas, à une commission départementale, composée à parité de fonctionnaires et d’élus, le pouvoir d’avis conforme des ABF – architectes des bâtiments de France – (lire le JdA n° 130, 29 juin 2001). Selon lui, lorsque l’ABF autorise ou non des travaux aux abords d’un monument historique, il “donne en réalité son avis personnel sur le sujet”. Le sénateur propose donc de “passer de la responsabilité d’un homme seul à une responsabilité partagée”, mais seulement quand l’ABF refuse son autorisation. Adoptée au Sénat le 14 juin dernier, la proposition de loi ne rencontre pas, c’est le moins qu’on puisse dire, l’assentiment des défenseurs du patrimoine ; elle constitue au contraire un coup de plus porté à la préservation des monuments historiques. L’avocat Olivier Chaslot a ainsi constaté que “depuis cinq ans, tout est mis en œuvre pour empêcher les ABF et les associations de protéger les abords”. Pour lui, ce texte s’inscrit dans une entreprise de “destruction progressive et insidieuse” de la protection offerte par la loi du 31 décembre 1913.
Le gouvernement y est également hostile. À ce sujet, Anne-Marie Cousin, sous-directrice chargée des Abords et de la Qualité architecturale au ministère de la Culture, a rappelé quelques péripéties parlementaires. Lors du débat sur le projet de loi relatif à la démocratie de proximité au début de l’été, les députés avaient introduit deux amendements reprenant des éléments de la proposition Fauchon et menaçaient même de supprimer l’avis conforme. Ils ont été retirés contre l’engagement du gouvernement d’inscrire cette proposition de loi à l’ordre du jour de l’Assemblée.
La représentante du ministère a également indiqué quelques pistes pour améliorer le système : ouvrir aux pétitionnaires le recours contre la décision du maire de ne pas délivrer un permis de construire, ou encore réfléchir aux délais et à la parité au sein des commissions chargées d’examiner les recours. En fait, le représentant de l’association Maisons paysannes a bien résumé la situation : “l’ABF n’a pas assez de pouvoir et le maire en a trop”. Constatant que personne ne conteste les secteurs sauvegardés ou les ZPPAUP qui imposent pourtant des contraintes supérieures, Anne-Marie Cousin a estimé que le meilleur moyen d’éviter la contestation récurrente du pouvoir des ABF serait tout simplement de mieux faire connaître les règles de protection des abords : la clarté préalable des règles permettrait de les faire mieux accepter. Par ailleurs, chacun s’est attaché à rappeler le rôle essentiel de ces architectes des Bâtiments de France et la qualité de leur travail, en dépit de moyens chroniquement insuffisants.
La loi existante suffit
Réagissant vivement à la présentation de Pierre Fauchon, l’avocat Olivier Chaslot s’est chargé de démonter son argumentation, estimant que “cette proposition de loi a pour origine une absence de lecture de la loi existante”. “La loi actuelle permet de résoudre tous les problèmes touchés par la proposition, continue-t-il. Mais encore faut-il que quelqu’un se donne la peine d’intervenir et force est de constater que bien souvent les associations de défense du patrimoine sont alors seules en première ligne, sans même compter les hypothèses dans lesquelles les succès qu’elles obtiennent se trouvent contrecarrés par l’administration des Monuments historiques elle-même.” Le cas de l’immeuble de la rue de la Boucherie, à Paris, non loin de Notre-Dame, est éloquent à cet égard. Alors qu’un promoteur et un architecte avaient été condamnés par la justice à remettre en état une façade complètement dénaturée malgré l’avis contraire de l’ABF, un représentant du ministère de la Culture vient d’autoriser la régularisation des travaux illégalement réalisés au motif que l’on devait tenir compte “des travaux malheureusement effectués non conformes au dossier du permis de construire initial”. Sans commentaire.
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Légiférer ou pas ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°134 du 12 octobre 2001, avec le titre suivant : Légiférer ou pas ?