Royaume-Uni - Musée

Le young V&A chamboule sa muséographie

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 29 septembre 2023 - 896 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

L’antenne du Musée des arts décoratifs londonien consacrée aux jouets se transforme en une vaste halle destinée aux enfants. Un musée joyeux, où les 0-14 ans se familiarisent avec les collections du Victoria and Albert Museum.

Vitrine de la section Design for Change Display du Young V&A. © David Parry / Victoria and Albert Museum
Vitrine de la section « Design for Change Display » du Young V&A.
© David Parry / Victoria and Albert Museum

Londres. Dans l’est de Londres, une antenne centenaire du Victoria and Albert Museum (V&A) prenait la poussière. Adossée à un joli square londonien, une grande halle victorienne de brique et d’acier abrite depuis plus de cent ans le V&A Museum of childhood. Malgré une campagne de travaux en 2005, le lieu était, selon les mots du critique du Guardian, Oliver Wainwright, « un lieu où l’enfance venait mourir », avec sa large verrière entièrement occultée et ses vitrines en rang d’oignon. Ce musée à l’atmosphère sombre et feutrée, que seuls les spécialistes des collections de jouets anciens semblaient apprécier, s’est aujourd’hui mué en une aire de jeux, sans pour autant perdre sa vocation première.

C’est le défi que se sont lancé les équipes du nouveau Young V&A : faire de la vaste halle un lieu pour les enfants, tout en présentant des objets venus de la collection du plus grand musée d’art décoratif. 1 500 pièces sont désormais exposées, et pas seulement les riches collections de jouets. Si les maisons de poupées anciennes sont toujours à l’honneur – mais traitées bien différemment que dans le musée précédent –, elles cohabitent avec la grande diversité des collections du V&A : une impression originale de la Grande Vague d’Hokusai, un paysage de John Constable, une veste Prada, ou une œuvre de la plasticienne britannique Rachel Whiteread commandée pour cette réouverture.

Prise en compte des particularités de chaque âge

Le V&A a joué le jeu en ne proposant pas un musée au rabais pour les 0-14 ans. Une véritable marque de respect de la part du musée envers son jeune public mais aussi une difficulté certaine pour les conservateurs dans la conception du parcours. « L’ancien parcours présentait des objets fantastiques, mais qui donnaient une drôle d’impression… l’accrochage était très statique, et pas très engageant », rappelle Alex Newson, conservateur en chef du musée. Le mot « engage » qui revient dans la bouche du conservateur se situe, en anglais, entre l’invitation, l’interaction et l’implication. Un objectif qu’il faut concilier avec des conditions de conservation standard d’un musée.

Il a fallu compter sur les vitrines, qui protègent chaque objet, pour inviter les enfants à s’intéresser aux collections du musée. « Comment lire les objets ? Il y a un ensemble de codifications, ça peut être compliqué. Nous les aidons à déchiffrer cette culture matérielle », explique Alex Newson. Pour parvenir à ces fins tout en maintenant la distance avec les objets patrimoniaux, divers dispositifs ont été utilisés, chacun adaptés à une tranche d’âge. La section « Play », consacrée aux tout-petits, crée des correspondances de couleurs, de textures entre les objets présentés et l’environnement. « Imagine » invite les plus grands à construire une histoire et à se projeter dans les collections du musée. Enfin, « Design » propose aux adolescents de découvrir comment sont conçus des objets qu’ils utilisent tous les jours (une trottinette) ou étranges (des meubles en forme de champignon).

Les enfants s’emparent du musée

Le hall central du musée autour duquel sont réparties les galeries est devenu un lieu vivant (mais pas bruyant, malgré le jeune public) dont une partie s’est transformée en garage à poussettes. « Nous avons décidé de ne rien exposer ici, ça doit être comme une place du village », explique Alex Newson. Entrée gratuite, large place accueillante avec un café et de nombreux sièges : le Young V&A veut aussi être un lieu de rencontre pour les habitants du quartier.

La halle du Young V&A avec son escalier d'honneur © Photo Luke Hayes / Victoria and Albert Museum
La halle du Young V&A avec son escalier d'honneur.
© Luke Hayes / Victoria and Albert Museum

Au bout de la section « Play », dans une large zone de jeu entourée de vitrines, les enfants s’emparent des grands jeux de construction en mousse, dont ils détournent l’usage en découvrant d’intéressantes propriétés contondantes. Passé cette animation, ce sont bien les collections présentées qui retiennent leur attention, notamment grâce à une muséographie qui les invite à explorer, et à trouver par eux-mêmes ce qui peut les intéresser : les maisons de poupées, par exemple, ont un sous-sol rempli d’objets, que les enfants explorent avec une torche. La construction des vitrines est particulièrement soignée, avec l’intention de montrer des objets en mouvement et en usage.

« Très peu d’écrans »

« Quel est l’objet le plus rebondissant des collections ? », voilà le type de questions qu’Alex Newson a posée à ses collègues du V&A pour mettre en place cette exposition permanente. « C’est une façon très inhabituelle d’aborder une collection, souligne-t-il. Nous avons beaucoup travaillé avec des spécialistes du développement de l’enfant, c’est assez nouveau pour notre milieu. » Au deuxième étage, « The Factory » est un espace qui rapproche les techniques utilisées pour la production d’œuvres (mosaïque, gravure, poterie…) à des usages domestiques ou du quotidien : un dispositif pensé pour les enfants, mais qui a de quoi inspirer les musées destinés aux plus grands.

Avec très peu d’écrans et de multimédia, le Young V&A réussit le pari d’intéresser le très jeune public à des collections d’art décoratif. Ce succès s’est construit dès la phase de conception, où des centaines d’enfants ont été associés à l’élaboration du parcours. « Dans ces “focus group”, les enfants nous ont dit : “On veut le musée le plus joyeux du monde.” On a pris ça comme un ordre de mission », se souvient Alex Newson. Devant les vitrines, les sourires des enfants et de leurs parents donnent l’impression d’une mission accomplie.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°617 du 22 septembre 2023, avec le titre suivant : Le young V&A chamboule sa muséographie

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