Iran - Archéologie

Le patrimoine iranien menacé par les eaux

Par Lucian Harris · Le Journal des Arts

Le 4 février 2005 - 704 mots

Dans ses efforts pour se transformer en un État industriel moderne, l’Iran semble disposé à sacrifier une partie importante de son héritage culturel.

LONDRES - Le patrimoine culturel iranien est menacé par un vaste programme de construction de barrages, dont actuellement 85 sont en chantier sur l’ensemble du territoire. Dans ses efforts désespérés pour monter des opérations de sauvetage, l’Iranian Cultural Heritage Organization (ICHO) s’est heurtée non seulement à l’obstruction du ministère de l’Énergie, mais s’est presque trouvée en opposition ouverte avec le gouvernement. Il reste peu de temps pour inventorier les sites menacés et la nature même des richesses submergées par ces réservoirs pourrait à jamais rester inconnue. Une tragédie potentielle pour la culture de ce pays, souvent présenté comme le berceau de la civilisation.
Au moins cinq barrages, tous à des stades avancés de construction, menacent des sites particulièrement importants. Le 8 novembre, le réservoir retenu par le plus vaste et le plus avancé de ces édifices a commencé à se remplir. Il s’agit du barrage Karun 3, sur la Karun, à environ 28 kilomètres à l’est des ruines d’Izeh. Pour manifester leur désaccord, les représentants de l’ICHO ont refusé d’assister à l’inauguration présidée par le ministre de l’Énergie, Habibollah Bitaraf. Le 14 novembre dernier, le pont historique de Shalu, le premier pont suspendu édifié en Iran, était déjà sous les eaux.

Chantiers de sauvetage
Les sites archéologiques de cette région ont plus d’importance encore. À la fin septembre, A. Dashizadeh, archéologue iranien qui dirige une équipe de sauvetage de l’ICHO, a lancé sur Internet un ultime appel à l’aide : la société chargée de bâtir le barrage, Ab-Niroo, ne lui avait accordé qu’un mois pour inventorier les bords de la vallée, longs de 50 kilomètres. Son équipe avait déjà identifié 18 sites de l’épipaléolithique (20000 à 10000 av. J.-C.), dont 13 grottes et 4 abris sous roche. La vallée est également riche de reliefs rupestres, de sépultures, de grottes et autres vestiges de la période élamite (2700 à 645 av. J.-C.), dont beaucoup sont désormais submergés.

Les chantiers de sauvetage se poursuivent nuit et jour, pour tirer parti des quatre à six mois précédant la mise en eau complète. Néanmoins, selon Mahmud Mireskandari, du service d’archéologie sous-marine de l’ICHO, ses équipes ne possèdent ni l’équipement ni les compétences nécessaires pour sauver ces sites, qui seront perdus sans l’aide de pays étrangers. Celle-ci tarde à se manifester, et Faramarz Khoshab, qui préside l’Association du patrimoine culturel d’Izeh, déplore déjà des actes de pillage.

Henry Wright, archéologue du Museum of Anthropology de l’Université du Michigan, qui a réalisé un inventaire de la région de la Karun en 1973, nous a confié qu’à ces sites archéologiques pourraient s’ajouter d’autres pertes importantes, comme les châteaux forts (qaleh) de la période musulmane ou même d’extraordinaires cimetières plus récents : « Leur disparition me fend le cœur », nous a-t-il déclaré.

Tragédie archéologique
Le site de loin le plus célèbre est celui de Pasargades, l’ancienne capitale du royaume achéménide au VIe siècle, résidence de Cyrus II le Grand, classée au patrimoine mondial par l’Unesco en juillet dernier. Située dans la province de Fars, il n’est qu’à 4 kilomètres de la gorge de Teng-e Bolaghi, où passait la route impériale menant à Persépolis et à Suse. Elle sera recouverte par les eaux de la Polvar lorsque le barrage de Sivand sera achevé en mars 2005. Une partie de la cité ancienne sera embourbée, et même le mausolée de Cyrus serait menacé. En janvier, une équipe d’archéologues français, allemands, italiens, japonais et polonais ont commencé à collaborer avec leurs homologues iraniens en vue de sauver une centaine de sites de la région.

Un autre grand projet, le barrage de Sarhand, près d’Hashtrud, dans l’Azerbaïdjan oriental, qui entrera lui aussi en service en 2005, ne menace pas moins de dix grands sites archéologiques, et d’autres pertes importantes sont également redoutées dans la province de Gilan.

Cette tragédie archéologique n’a jusqu’à présent pas beaucoup retenu l’attention des médias occidentaux, et nombre des régions concernées n’ont jamais fait l’objet d’inventaires. Ceci pourrait bien n’être que le dessus de l’iceberg. Dans ses efforts pour se transformer en un État industriel moderne, l’Iran semble disposé à sacrifier une partie importante de son patrimoine culturel.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°208 du 4 février 2005, avec le titre suivant : Le patrimoine iranien menacé par les eaux

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