Sous l’effet des sanctions internationales, de choix budgétaires et du changement climatique, les sites patrimoniaux iraniens se dégradent très rapidement.
Téhéran. À peine cent dollars par an pour entretenir le site de Persepolis ? C’est le chiffre révélé l’an dernier par le ministre iranien du Patrimoine culturel, du Tourisme et de l’Artisanat… La totalité du budget consacré à la préservation du patrimoine en Iran avoisinerait quelques milliers de dollars selon d’autres sources, autant dire un montant dérisoire. L’Iran compte vingt-sept sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco (dont vingt-cinq sites culturels), soit plus que les États-Unis ou le Japon. Mais ces sites ne sont pas entretenus et les experts pointent depuis plusieurs années la dégradation constante du patrimoine dans le pays. Le cas de Persépolis est emblématique, puisque cette cité achéménide (VIe-IVe siècle avant J.-C.) inscrite au patrimoine mondial (1979) est envahie par les mousses et lichens : le changement climatique (pluies acides, vents, taux d’humidité) explique en partie cette dégradation, prévisible selon les experts. L’Unesco avait ainsi exprimé des craintes en 2007 quand le barrage de Sivand avait été construit en amont du site : le lac de retenue et le ralentissement du débit de la rivière Polvar ont en effet asséché la région de Persépolis et modifié les sols. À Ispahan, dont plusieurs sites sont inscrits au patrimoine mondial, le niveau très bas du fleuve Zayandeh-Rud menace directement les ponts à niches voûtées qui le surplombent : selon une récente mission d’experts indépendants, les autorités locales n’ont pas mis en place des mesures efficaces pour préserver le patrimoine et gérer cette crise de l’eau.
Des archéologues témoignent souvent anonymement de l’incurie du gouvernement et des autorités locales, et réclament une vision à long terme pour préserver le patrimoine. Car outre le changement climatique, les sites patrimoniaux sont à risque de pillages, de destructions et de fouilles clandestines. En mai 2023, une dépêche de l’agence Mehr News annonçait ainsi la destruction d’un rempart achéménide à Golpayegan (province d’Ispahan), lors de travaux non déclarés. À Persépolis, en 2023, il y aurait eu près de 70 000 puits creusés illégalement autour du site, pour atteindre les nappes phréatiques dont le niveau reste bas. Et les fouilles clandestines se multiplient : l’ONG américaine The Heritage Management Organisation (basée à Chicago) déclare recevoir chaque semaine des centaines de témoignages de pillages en Iran. Cette ONG prône d’ailleurs un assouplissement des sanctions internationales sur les biens culturels et le patrimoine iranien, pour favoriser les coopérations universitaires dans le domaine. Car les sanctions imposées par les États-Unis ces dernières années poussent les Iraniens pauvres vers le trafic d’antiquités et empêchent tout projet de restauration des sites. Les mesures prises par le gouvernement semblent bien peu efficaces, dans un contexte de manque de moyens humains et matériels : le gouvernement a récemment renforcé les restrictions sur les ventes de détecteurs de métaux, dans l’espoir d’endiguer les fouilles clandestines. En l’absence d’engagement durable sur un budget, ce type de mesure a peu de chance d’avoir un quelconque effet.
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En Iran, le patrimoine est laissé à l’abandon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°633 du 10 mai 2024, avec le titre suivant : En Iran, le patrimoine est laissé à l’abandon