ARLES
Fermé pendant onze ans, le musée d’ethnographie provençale rouvre après avoir choisi, dans une expérience pionnière, d’exposer ses collections d’arts et traditions populaires dans la muséographie même du poète Frédéric Mistral.
Arles (Bouches-du-Rhône). Onze ans après sa fermeture, le plus vieux musée d’ethnographie en France rouvre enfin ses portes à Arles. Le chantier du Museon Arlaten (en français : « musée arlésien ») a d’abord été celui d’un bâtiment exceptionnel, couvrant toute l’histoire de la ville, depuis le forum antique – dont la cour abrite le vestige d’une exèdre – jusqu’au XIXe siècle, en passant par la période gothico-renaissante du XVIe siècle et l’empreinte jésuitique du XVIIe. La mise en accessibilité du lieu était ici un vrai défi, relevé par l’agence d’architecture Tetrarc, grâce à un espace de circulation vertical suspendu au-dessus des vestiges romains et agrémenté de grands patchworks décoratifs signés Christian Lacroix. Le coût de l’opération s’élève à 22 millions d’euros, un investissement en grande partie assumé par le Département des Bouches-du-Rhône.
Le chantier muséographique a demandé tout autant d’ingéniosité et de créativité : il fallait concilier la nécessité de dépoussiérer un musée vieillissant avec l’attachement viscéral des Arlésiens à ce lieu et à son histoire. Fondé en 1899 par le poète d’expression languedocienne Frédéric Mistral (1830-1914), le lieu doit être le conservatoire d’une culture provençale menacée, peu à peu délaissée en cette fin de siècle. Le poète, fondateur du Félibrige (la société de sauvegarde de la langue d’Oc), s’inspire alors des avancées muséographiques qu’il découvre à Paris au XIXe siècle, notamment au musée du Trocadéro, pour ouvrir l’un des premiers musées ethnographiques régionaux.
De la capitale, il rapporte la formule du diorama : au Museon Arlaten, Mistral met en scène ses souvenirs d’enfance en meublant des pièces et les peuplant de mannequins, construisant des saynètes improbables où legardian, le berger et autres types provençaux se retrouvent autour d’une table pour la veillée de Noël. Que fallait-il faire alors de ces dispositifs, qui illustrent l’intention de Mistral mais sont à mille lieux des exigences scientifiques d’un musée d’aujourd’hui ? Au Museon Arlaten de 2021, les dispositifs muséographiques du musée originel sont devenus des pièces de collection à part entière.
À la fois musée d’ethnographie, conservant une collection de 38 000 pièces qui documentent les traditions et modes de vie provençaux, et musée de muséographie, le parcours du Museon Arlaten se divise en cinq temps qui conjuguent ces deux aspects. Chacune de ces séquences a pour thématique un moment de l’histoire du musée, de ses origines à nos jours. Si le « Temps 1 » documente les premiers efforts de collecte d’objets par Frédéric Mistral et ses compagnons du Félibrige, le « Temps 2 » montre le résultat de ce travail, muséographié tel qu’il l’était en 1900. Outre les impressionnants dioramas, le visiteur découvre des salles reconstituées dans leur disposition d’origine, souvent grâce à des photographies, comme la salle du Rhône et de la Mer. La filiation évidente avec les accrochages en trophée des musées d’ethnographie coloniaux replace l’entreprise de Frédéric Mistral dans un contexte muséographique plus large.
Dans une troisième séquence est abordé le musée des années 1940, dirigé par un nouveau conservateur, Fernand Benoît. Ce dernier enrichit considérablement la collection de costumes, auxquels il associe une valeur identitaire. Sous le régime de Vichy, le musée deviendra l’un des outils de la « Révolution nationale » du maréchal Pétain, exaltant les régionalismes et les valeurs traditionnelles. Ici comme ailleurs dans le parcours, la médiation numérique permet d’introduire une distance critique avec ces reconstitutions muséales, et de saisir les enjeux idéologiques derrière les choix muséographiques.
S’ouvre ensuite une séquence traitant des années 1970, à l’époque où l’écrivain occitan Charles Galtier collabore avec le grand muséologue Georges Henri Rivière dans des travaux de collecte. Si l’accrochage à la « GHR » n’a jamais existé au Museon Arlaten, sa reconstitution a du sens. C’est donc à Arles que l’on pourra encore voir ce qui est peut-être la dernière vitrine de France composée selon les préceptes novateurs du créateur du musée des arts et traditions populaires : fond sombre, objets suspendus par un fil de pêche, pas de mannequins mais une impression de vie. Avant de finir la visite sur le musée du XXIe siècle, tout en transparence, où le visiteur découvrira les travaux de collecte en cours menés par le service ethnologique du musée. Pionnier en 1899, le Museon Arlaten l’est toujours en 2021, en devenant un musée de musée.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Museon Arlaten se met en scène
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : Le Museon Arlaten se met en scène