Dans les pages du « Guide Vert » Michelin, les musées ont pris ces vingt dernières années une belle place. Et dans les institutions muséales, on scrute aujourd’hui l’attribution des nouvelles étoiles. L’enjeu est autant symbolique qu’économique.
Durant plusieurs semaines, Céline Paul a dû cacher une information capitale à ses équipes. Pas une mauvaise nouvelle, non : la directrice du Musée national Adrien-Dubouché à Limoges devait simplement tenir sa langue pour ne pas dévoiler l’obtention d’une troisième étoile au Guide Vert édité par Michelin. « Connaître la bonne nouvelle sans pouvoir la partager, ça a été la chose la plus difficile ! », déclare la conservatrice début avril, quand la distinction est annoncée officiellement lors d’une soirée. Presse locale et nationale embrayent aussitôt pour relayer l’information, démontrant l’intérêt croissant des médias comme des musées pour les étoiles distribuées par le Guide Vert. « Le musée est désormais aussi étoilé que le Louvre », remarque alors le quotidien 20 Minutes. Et c’est effectivement à un cercle très fermé qu’accède le musée consacré à la porcelaine : une petite vingtaine d’institutions françaises seulement ont réussi à décrocher trois étoiles, la note maximale, dans le fameux guide [voir tableau]. « Voilà six ans que l’on se posait la question d’une troisième étoile pour ce musée de la céramique, rapporte Philippe Orain, directeur de la collection. Nous avons pris le temps qu’il fallait pour confirmer notre intuition : la céramique n’étant pas un sujet qui passionne tout le monde, j’ai pris soin d’envoyer une autrice qui n’a pas d’appétence pour le sujet. Le résultat a été unanime. »
Depuis que le musée limougeaud a reçu la distinction suprême du guide, consœurs et confrères de la directrice des lieux l’assaillent de questions afin d’obtenir la recette du succès. Une constance dans la qualité de la programmation comme de l’accueil et de la médiation, jusqu’au compagnon de visite sur smartphone particulièrement apprécié par les inspecteurs du guide, sont des points qui ont permis au Musée Adrien-Dubouché d’être récompensé. « Ce n’est pas l’extension [inaugurée en 2012] qui fait la troisième étoile, souligne Céline Paul. C’est une sorte d’esprit des lieux qui a été salué, le lien tissé avec les visiteurs par l’ensemble des équipes. »
Le directeur du Guide Vert démystifie le processus d’attribution de ces étoiles convoitées : « Il n’y a jamais de pièges ! Ça, c’est l’image de L’Aile ou la Cuisse… » Les auteurs du guide n’opèrent d’ailleurs pas systématiquement de manière anonyme. « Nous n’avons aucun problème à nous présenter, nous sommes capables de discerner une visite privilégiée ou pas », précise Philippe Orain. Une fois les lieux dûment inspectés, c’est une mécanique de notation précise qui s’enclenche : neuf critères sont évalués, notés de manière très scolaire de 0 à 5. La notation est ensuite pondérée, et le résultat final vient infirmer ou confirmer l’impression des auteurs. Un lieu qui « Vaut le voyage » (trois étoiles) devient, à tête reposé, un site qui « Mérite le détour » (deux étoiles).
Les critères évalués vont du plus factuel (les labels attribués, une comparaison avec des sites similaires) à des appréciations subjectives (la beauté des lieux, la qualité de l’accueil et de la visite), objectivées par les visites répétées de différents auteurs aux profils variés. Un critère crucial pour les inspecteurs du Guide Vert est celui de la première impression : « La première fois que je suis allé au Musée des Augustins, j’ai fait la queue sous la pluie et j’ai acheté mon billet dans une petite salle sombre », se souvient Philippe Orain. Le musée toulousain a, depuis, engagé des travaux pour se doter d’une véritable entrée, afin de soigner cette « première impression » déterminante.
Au Museon Arlaten, musée départemental d’ethnographie arlésien, Cyril Brunet vient tout juste de recevoir le sticker que le Guide Vert envoie aux lieux distingués depuis quelques années. « Je vais immédiatement remplacer le “2022” par le “2023” sur notre billetterie ! », souffle le directeur de la communication du musée, avant d’exécuter ce rituel printanier. Après onze ans de fermeture, en partie pour travaux, le musée provençal est gratifié de deux étoiles quelques semaines après sa réouverture en mai 2021. Comme à Limoges, cette récompense est pour une large part due à l’investissement des équipes d’accueil et de médiation : « Avec la période “Covid”, nous avons pu prendre le temps de faire apprécier les collections à nos équipes d’accueil, et ils en sont devenus les ambassadeurs. Ce ne sont pas juste des caissiers et caissières ! », précise Aurélie Samson, directrice du musée. « L’humain, l’accueil, la médiation : tout ça est primordial, il en va de la satisfaction du visiteur, confirme Philippe Orain. Des agents qui viennent vous parler, c’est toujours mieux qu’un gardien qui regarde son smartphone. »
Mais la qualité de la présentation muséographique reste soulignée par les étoiles du Guide, comme au Musée Adrien-Dubouché, qui parvient à mettre en scène pour le grand public un sujet de niche, ou au Museon Arlaten, avec sa proposition inédite autour d’un « musée de muséographies » de 1900 à aujourd’hui. Dans les deux villes, les étoiles sont une invitation forte à pousser la porte : « L’objectif du Guide Vert, c’est d’aider nos lecteurs à “prioriser” leurs visites selon le temps qu’ils souhaitent leur accorder », rappelle Philippe Orain. Dans une ville comme Arles, où la profusion de propositions culturelles peut faire tourner la tête, le Guide Vert redonne de la visibilité aux musées départementaux, parfois éclipsés par la communication nationale des Rencontres, ce grand festival de photographie, ou de Luma Arles. Ainsi, trois ans après l’extension du Musée départemental Arles antique en 2013, le guide lui décerne trois étoiles, pour le « pousser » selon le terme de Philippe Orain, et signifier à ses lecteurs l’importance internationale de ses collections. « Avec le Guide, on souhaite éviter que les gens passent à côté de beaux lieux, et qu’ils aillent aux mêmes endroits tous ensemble », précise le directeur de la collection. À Rome, le Guide Vert gratifie la très courue Galerie Borghese de trois étoiles, mais également le moins connu Musée national romain : « Il y a ici de vraies qualités d’appréciation des œuvres, peu de monde, et vous êtes dans un palais ! C’est une alternative. » Le Guide Vert est ainsi un levier intéressant pour étaler les visites dans différents lieux, mais aussi dans le temps. « La commande [passée à la maison d’édition pour un] Guide Vert faisait partie de notre stratégie de tourisme “quatre saisons” », explique Aline Guiho, responsable de la communication de Golfe du Morbihan-Vannes Tourisme. Cette publication a été commandée aux éditions Michelin, « comme toute campagne médias »,à cette différence que le travail des auteurs est ici totalement indépendant : « Ce n’est pas un énième guide de l’office du tourisme, nous n’intervenons pas sur le choix des adresses », précise Aline Guiho. Pour promouvoir la destination sous la forme d’un « city-break » (court séjour sur un week-end), déclinable à chaque saison, l’office du tourisme s’appuie sur le riche patrimoine médiéval de la ville de Vannes, véritable produit d’appel. « Nous avons travaillé avec le guide Michelin car ils ont cette appétence-là, autour du patrimoine, des sites historiques, quand le Guide du Routard sera plutôt axé sur les bonnes adresses. »
Référence pour le tourisme culturel, le Guide Vert retient de plus en plus l’attention des directeurs de musées et gestionnaires de sites patrimoniaux. Les retombées économiques de ces classements ne sont toutefois pas quantifiables : il n’existe à ce jour pas d’étude des publics assez fine sur l’impact des guides touristiques. À l’inverse, les musées sont devenus incontournables dans les pages du guide bientôt centenaire : « Tous les musées se rénovent et deviennent des lieux qui s’intègrent dans la ville, avec des rénovations qui mettent la culture à un niveau beaucoup plus accessible, bien loin du vieux musée d’avant, observe Philippe Orain. Quand une ville n’a pas de musée, elle n’a pas de chance ! »
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« Guide vert » et musées, la course aux étoiles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°615 du 7 juillet 2023, avec le titre suivant : « Guide vert » et musées, la course aux étoiles