MADRID / ESPAGNE
Plusieurs pièces antiques, provenant d’une collection acquise par le Musée national d’archéologie de Madrid il y a une dizaine d’années, seraient issues d’un trafic illégal.
ROME - Fondé en 1867, le Musée national d’archéologie de Madrid serait susceptible d’avoir acquis 22 pièces d’antiquité excavées et exportées en toute illégalité hors d’Italie. D’après les éléments d’enquête, ces objets seraient passés entre les mains de Giacomo Medici et Gianfranco Becchina, deux antiquaires à la réputation plus que ternie. Tandis que le premier était surpris en possession d’un stock d’antiquités, de photographies et autres documents d’archives à Genève en 1995, le second a été reconnu propriétaire de trois entrepôts à Bâle en 2001, lesquels auraient contenu des milliers d’objets suspects, des photographies, des dossiers sur ses clients, des documents de transports, des factures et des relevés bancaires. Giacomo Medici a été condamné en 2009 à Rome pour trafic d’antiquités – une décision dont il a interjeté appel – alors que le procès de Gianfranco Becchina vient de s’ouvrir.
En 1999, le musée madrilène s’est porté acquéreur d’objets provenant d’une collection réputée de 181 pièces d’art étrusque, grec ancien, romain, égyptien et espagnol, datant du Ve siècle av. J.-C. au Ve siècle ap. J.-C. L’institution avait gratifié de 12 millions de dollars José Luis Várez Fisa, entrepreneur de 82 ans dont la collection comprenait également des tableaux signés Goya et Velázquez. Le directeur du musée archéologique de l’époque, Miguel Angel Elvira Barba, déclarait alors : « Nous avons fait un énorme pas en avant aussi bien en termes de qualité que de quantité. [Cette] collection nous place désormais au même niveau que les plus grands musées d’Europe et des États-Unis. »
Un catalogue providentiel
La collection fut exposée à l’automne 2003, accompagnée d’un catalogue de 500 pages. Un ouvrage récupéré, en 2006, par l’archéologue italienne Daniela Rizzo, de la villa Giulia à Rome, et l’expert en documentation Maurizio Pellegrini, qui ont tous deux assisté le procureur Paolo Giorgio Ferri dans l’affaire Giacomo Medici. Le duo travaille sur une base de données d’objets excavés illégalement en Italie et mis en vente à partir des années 1970. Une grande partie d’entre eux se retrouve dans les documents d’archives saisis chez Giacomo Medici et Gianfranco Becchina. Les deux scientifiques pensent que 22 objets figurant sur le catalogue du musée, édité en 2003, apparaissent également dans les documents photographiques saisis à Genève et à Bâle. Certains clichés montrent des objets encore recouverts de boue, indiquant qu’ils avaient été récemment (et illégalement) déterrés. D’autres montrent des objets en plusieurs fragments, avant que les antiquaires ne les fassent restaurer par des professionnels. Vendu chez Sotheby’s, un cratère en cloche provenant des Pouilles et datant de 330 av. J.-C. apparaît sur une photographie des archives Medici, qui semble avoir été prise dans les ateliers des restaurateurs d’art Fritz et Harry Bürki à Zurich. Ce tandem, père et fils, a notamment fait affaire avec l’antiquaire Robert Hecht, dont le procès à Rome pour trafic illicite risque de se conclure par un non-lieu faute de temps. Quelques objets du catalogue de 2003 avaient déjà été publiés, notamment dans la revue allemande Münzen und Medaillen, dont l’ancien propriétaire était un proche de Gianfranco Becchina, ou encore par Jerome Eisenberg, dont les Royal-Athena Galleries règnent sur le marché de l’antiquité à New York (selon son site web, cette galerie « a vendu plus de 30 000 chefs-d’œuvre à d’importants musées aux États-Unis et en Europe »). Neuf des artefacts de Madrid ont été publiés pour la première fois par Eisenberg, entre 1993 et 1997, dans la revue de la galerie intitulée Art of the Ancient World. Eisenberg assure que tous les objets publiés dans ses catalogues, entre 1988 et 2005, ont été passés en revue par la police italienne, et ont obtenu leur approbation à l’exception de huit objets qu’il a volontairement restitués à l’Italie en 2007.
Clichés révélateurs
D’autres pièces acquises à Madrid n’avaient jamais été publiées avant la sortie du catalogue de 2003. Les archives de Gianfranco Becchina incluent des photographies montrant les deux faces d’une Amphore italique de style oriental avec un cerf blessé du VIIe siècle av. J.-C., dont les dimensions (52 centimètres de hauteur) étaient suffisamment imposantes pour être remarquées. Le catalogue du musée, figurant un objet similaire, indique en guise de provenance : « Sa localisation est inconnue, d’où la difficulté de la rattacher à un atelier italique spécifique. » Un négatif provenant des archives Medici montre, quant à lui, un Oinochoe étrusque de l’an 600 av. J.-C. tandis que le catalogue de Madrid dit d’un objet similaire qu’il provient de « Cerveteri », mais aussi qu’il a été acquis « sur le marché d’antiquités suisse ». La pièce en question a été publiée pour la première fois dans Münzen und Medaillen. Une autre Amphore attique avec des personnages noirs se préparant à partir en char (env. 520 av. J.-C.), attribuée au peintre de Priam, a été publiée en décembre 1997 dans un catalogue de Sotheby’s à New York. Or, selon Pellegrini, trois polaroids des archives Medici montrent ce même objet avant restauration et recouvert de concrétions, indiquant une mise au jour récente. Selon l’expert, cet objet « apparaît » aussi dans un autre portfolio appartenant à l’ancien antiquaire Robin Symes, portfolio saisi dans sa villa des Cyclades par la police grecque au cours d’une enquête sur des pillages présumés. Medici détenait également deux photos d’un objet non-publié, une grande Amphore avec des personnages noirs décrivant Héraclès combattant les Amazones datant de la fin du VIe siècle av. J.-C., mesurant près de 50 centimètres de haut et attribuée par le musée madrilène au peintre d’Antimènès (ces photos montrent l’amphore en plusieurs morceaux). Enfin, deux autres négatifs des archives Medici révèlent les deux faces d’une Amphore avec des personnages noirs décrivant Héraclès combattant Triton (530 av. J.-C.), qui devait probablement provenir du même ensemble de biens tout juste déterré. Cet objet a été vendu chez Sotheby’s le 22 mai 1989 à New York.
Il est important de signaler qu’il n’existe aucune preuve d’un quelconque rapport entre le collectionneur José Luis Várez Fisa et l’un ou l’autre des antiquaires, et ce malgré l’importante documentation saisie. Rien non plus n’indique que Fisa était conscient d’un quelconque problème concernant la provenance des objets dont il se portait acquéreur. L’ampleur du trafic d’antiquités déterrées illégalement depuis les années 1970 jusqu’à très récemment (malgré la Convention de l’Unesco de 1970 destinée à bloquer le trafic illicite) montre surtout que des objets ont intégré par inadvertance des collections privées et publiques. Mais, aujourd’hui, les normes muséales sur la provenance ont été revues à la hausse. Le musée madrilène, quant à lui, n’a pas souhaité faire de commentaires.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le Musée national d’archéologie mis en cause
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°330 du 10 septembre 2010, avec le titre suivant : Le Musée national d’archéologie mis en cause