NANTES
La très longue rénovation du musée nantais accouche d’un projet abouti. La qualité de la scénographie et des dispositif de médiation répondent à la promesse d’un lieu aiguisant la curiosité.
Nantes (Loire-Atlantique). Dans un musée de collectionneurs, tel qu’il en éclôt chaque année en France, on s’attend à découvrir un ensemble d’œuvres d’art cohérent, de qualité mais sans grande prise de risques, reflétant le goût d’une aristocratie, bourgeoisie à un instant T. À Nantes, le déluge d’objets qui attend les visiteurs derrière les portes du Musée Dobrée ne correspond pas vraiment à cette description : agrégeant les legs d’une dizaine de collectionneurs – dont celui du maître des lieux, Thomas II Dobrée –, le palais néo-roman abrite un ensemble décousu d’objets archéologiques, de souvenirs de voyages asiatiques, de sculptures médiévales et de témoignages de l’art de vivre des grandes familles du XIXe siècle. Le nouveau musée Dobrée ne cherche pas à tirer un semblant d’ordre de cette liste non exhaustive, mais plutôt à mettre en scène cette variété : « Pendant longtemps, la diversité a été perçue comme un handicap, retrace Pierre Fardel, directeur adjoint de Grand Patrimoine Loire-Atlantique, le service départemental abritant le musée. Mais en rédigeant le projet scientifique et culturel, on s’est aperçu qu’on pouvait en faire une force. »
À quelques jours de l’inauguration, c’est le mot « curiosité » qui est répété comme un mantra par les équipes du musée comme l’exécutif du conseil départemental, qui a dépensé 50 millions dans ce nouvel équipement culturel. Ce terme qui fait ailleurs office d’alibi pour une muséographie défaillante, ou une politique de démocratie culturelle en panne d’inspiration, constitue ici le véritable fil rouge de la rénovation. Capter l’attention du spectateur, le mettre à l’aise, et le rendre autonome dans sa visite. À ces défis, le nouveau Musée Dobrée apporte des solutions très concrètes.
Cela commence dès le projet architectural, conçu par l’atelier Novembre, qui – comme à l’intérieur du parcours – doit accorder un attelage hétéroclite : la « Folie Dobrée » édifiée à la fin du XIXe, où se trouve le parcours permanent, le Manoir de la Touche du XVe siècle, désormais dédié aux expositions temporaires, et le bâtiment Voltaire des années 1970, où sont logées les fonctions supports. Trois bâtiments, face à face au milieu d’un jardin, qui sont désormais connectés par un sas d’accueil, et la circulation verticale logée dans l’extension du manoir, les deux seuls ajouts contemporains recouverts d’acier corten. « Le plus important dans un musée c’est la gestion des flux, résume Marc Iseppi, architecte associé de l’Atelier Novembre. La construction d’un parcours de visite est ce qui a sous-tendu tout le projet. »
Après les volumes d’un blanc immaculé de l’espace d’accueil, c’est en ressortant puis en gravissant une pente douce que l’on accède au musée. L’architecture historiciste, ses tourelles et ses baies en plein cintre, ses gargouilles animalières apparaissent peu à peu : le cheminement pique déjà la curiosité. À l’intérieur, une fois passées l’entrée d’origine et ses belles arcades sculptées, le musée s’ouvre comme une croisée des chemins : « suivre les traces des humains », « créer sur commande », « devenir collectionneur », « explorer les ailleurs », le nom donné à chacun des étages du parcours sonne comme une invitation dans « un livre dont vous êtes le héros ».
Pour Adeline Rispal, scénographe du parcours, c’est un « musée à la carte » qui s’offre ici au visiteur, qui pourra butiner. « Thomas Dobrée meurt avant l’aménagement intérieur du musée, et on a aucune idée de ce qu’il aurait souhaité, rappelle la scénographe. Imaginer une reconstitution était impossible, et nous nous sommes engagés dans une voie étroite, inventer ce musée et assumer que c’est une invention. » En variant l’écriture des vitrines et des supports, en occupant le centre des salles avec des objets, la scénographie retranscrit une impression familière : jusqu’à une petite table basse-vitrine, autour de laquelle le visiteur peut s’asseoir.
Le nombre d’assises (confortables et élégantes), qui occupent chaque espace vide du parcours, est manifeste d’un musée dans lequel les visiteurs sont invités à s’attarder. Cette volonté de mettre à l’aise se retrouve dans les textes, régis par une charte éditoriale précise qui permet d’avoir un discours harmonisé des sous-sols aux combles. Tout en cultivant une impression de bric-à-brac, dans lequel le visiteur va chercher ce qui l’intéresse, la scénographie sait aussi mettre en avant les pièces majeures du parcours. L’écrin du cœur d’Anne de Bretagne fait ainsi l’objet d’une mise en scène spectaculaire, en lévitation. Dans cet effort pour guider les visiteurs, notamment jeunes, parmi les collections, la qualité des dispositifs multimédias est également à souligner, chacun d’eux proposant soit une action à réaliser, soit une explication en image, et non en mots.
Le musée assume son identité « collectionneurs », tout en se jouant des codes imposés : ainsi de la collection d’armes léguée par les Rochebrune, dont la présentation sur fond rouge imposé par le legs est ici poussée jusqu’à un vermillon très ironique. Au premier étage, le musée déploie les points forts de ses collections, statuaires et orfèvreries médiévales, cabinets de curiosité renaissance. Mais le parcours regorge d’autres curiosités moins connues, comme les collections révolutionnaires (partagées entre «blancs royalistes» et «bleus républicains»). Sous les combles, la présentation des collections d’objets extra européens dans de belles « vitrines-monde » en demi-cercle est une première, pour ces objets jamais présentés : on y trouve de véritables raretés, comme l’ensemble d’archéologie amazonienne réuni par Auguste Cuillère.
Signalétique, éclairage, médiation pour le public malvoyant, tous les détails sont réglés finement dans cette rénovation pour faire du musée un endroit accueillant. Peut-être même trop accueillant selon les critères de Thomas II Dobrée, misanthrope discret et oisif, qui aurait sûrement été bousculé par la vision de dizaines de curieux se prélassant devant ses trésors.
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Le Musée Dobrée, un musée à la carte
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : Le musée Dobrée, un musée à la carte