Foyer du cubisme au début du XXe siècle, la ville de Céret a retrouvé son Musée d’art moderne, agrandi pour mieux déployer sa collection et son histoire.
« La Mecque du cubisme ». Il aura suffi d’une formule fulgurante pour que Céret entre dans l’histoire héroïque de la peinture. La périphrase imaginée par le critique André Salmon, dès 1912, allait sceller le sort de cette petite ville pourtant bien éloignée des avant-gardes et de l’ébullition des métropoles culturelles. À vrai dire, la commune catalane était jusqu’alors surtout connue pour être la capitale de la cerise ! Son destin bascule en 1910 avec l’arrivée du peintre Frank Burty Haviland, du compositeur Déodat de Séverac et du sculpteur Manolo. Le talentueux trio transforme en un clin d’œil cette paisible bourgade en un énergique foyer artistique, tissant des liens solides avec des artistes locaux dont Étienne Terrus et Aristide Maillol et des collectionneurs avisés, à l’instar de Michel Aribaud.
En réunissant des créateurs et des mécènes, cette petite troupe génère alors un contexte extrêmement propice à la venue d’artistes qui trouvent ici des conditions de travail et de séjour idéales. À commencer par la coqueluche du Tout-Paris qui est aimantée par cette ville dont on lui vante l’architecture dense et géométrique. En 1911, Pablo Picasso et son compagnon de cordée Georges Braque posent ainsi leur chevalet à Céret. Les deux confrères y réalisent en étroite collaboration quelques-unes de leurs œuvres les plus audacieuses. Foyer du cubisme analytique puis synthétique, Céret sera aussi le théâtre de la révolution des papiers collés. L’Espagnol est rapidement rejoint par ses compères, les habitués du Bateau-Lavoir : Juan Gris, Auguste Herbin ou encore Max Jacob. Ils sont tous conquis par le charme de cette cité et immortalisent ses paysages dominés par le Canigou, l’urbanisme typique avec ses maisons hautes et étroites, ses platanes emblématiques, mais aussi les Cérétans. L’observation d’une porteuse de linge catalane marque ainsi un cap décisif dans l’évolution plastique d’Herbin vers l’abstraction. La réputation de la ville est désormais faite, et l’engouement est tel que de nouveaux artistes arrivent dès le lendemain de la Grande Guerre, à commencer par André Masson et Chaïm Soutine. Cette colonie verra affluer des personnalités aussi différentes que Krémègne, Kisling, Picabia, Lhote, Cocteau, puis Marquet, et Dufy, sans oublier Édouard Pignon.
Céret a surtout eu l’heur de plaire à des artistes philanthropes, car sans eux, il y a de fait fort à parier que sa réputation n’aurait pas perduré aussi longtemps. Dès 1948, Frank Burty Haviland et Pierre Brune, tous deux peintres et collectionneurs, se lancent en effet dans une aventure humaine et culturelle : fonder un musée d’artistes pour les artistes. Le noyau des collections prend forme autour des peintures, sculptures et dessins qu’ils ont acquis au fil des ans auprès des artistes de passage. Les amis et les confrères donnent aussi, tel Matisse qui cède quatorze dessins. Les collectionneurs et les érudits participent également au projet, à l’instar de la veuve de Michel Aribaud qui lègue les œuvres que l’archiviste de la cité avait accumulées au fil de ses rencontres avec les peintres. À force de persuasion, les promoteurs du musée réussissent à obtenir que la Ville leur octroie un local. Ils installent ainsi l’embryon de musée dans l’ancien couvent des Carmes, transformé au XIXe siècle en siège de la maréchaussée puis en prison. La municipalité n’aura pas à regretter son investissement, car l’ouverture du musée aiguise la générosité des artistes. En signe d’amitié et en souvenir des heureuses années passées à Céret, Picasso, au sommet de sa gloire, offre au tout jeune établissement un ensemble exceptionnel de vingt-neuf œuvres. Il faut dire que le lieu est apprécié des artistes qui y trouvent un cadre généreux et bienveillant, puisque les portes sont toujours grandes ouvertes pour montrer leur travail. Alors que la scène contemporaine est encore majoritairement boudée par les institutions, y compris à Paris, elle trouve ici un partenaire privilégié. Dès 1966, le musée présente ainsi une exposition qui fera date et couronnera le mouvement Supports/Surfaces. L’importance de l’établissement est telle qu’il est rapidement victime de son succès et doit être agrandi. En 1993, c’est Jaume Freixa qui se charge de cette extension, toute en lignes claires et volumes purs. Mais l’enrichissement constant de la collection et le succès persistant des expositions rendent rapidement nécessaires de nouveaux travaux d’agrandissement. Le dernier chantier, qui vient de s’achever, a permis de doter le site d’une aile supplémentaire dédiée aux expositions. L’édifice, signé Pierre-Louis Faloci, offre une élégante jonction avec les bâtiments préexistants et ménage une belle surprise puisqu’il est surmonté d’un rooftop qui offre une vue spectaculaire sur la cité et ses paysages qui ont tant inspiré les peintres. Les collections ne sont pas en reste puisqu’elles ont été entièrement redéployées dans un parcours enrichi plus lisible. Il raconte avec finesse le compagnonnage inouï entre cette ville et quelques-uns des plus grands artistes modernes.
L’exposition d’été
Pour sa réouverture au printemps dernier, le musée avait mis à l’honneur la sculpture contemporaine avec une exposition consacrée à Jaume Plensa. Pour son exposition d’été, l’établissement change totalement d’ambiance et joue la carte de la couleur en proposant une belle exposition de peinture dédiée à l’École de Paris. Un choix judicieux, tant il permet de passerelles avec des artistes phares des collections cérétanes, à l’instar de Chagall et Juan Gris, sans oublier Chaïm Soutine. Le destin de ce dernier est en effet absolument indissociable de la cité catalane, puisqu’il y a peint plus de deux cents tableaux, dont une grande partie a été achetée par le docteur Barnes. À telle enseigne que l’on considère que Céret a littéralement bâti la fortune du peintre. Les habitués de Céret retrouvent leurs confrères tels que Modigliani, Van Dongen ou encore Pacsin et Kupka dans une exposition événement organisée en collaboration avec le Centre Pompidou. Plus de soixante-dix œuvres, présentées dans une scénographie évocatrice, ressusciteront l’esprit mythique du Paris des années 1910 et 1920.
Isabelle Manca-Kunert
"Les Platanes, le jour", de BioulèsLa relation étroite entre le musée et les peintres ne s’est jamais rompue. Si la commune cérétane évoque irrépressiblement les avant-gardes, elle a aussi noué des liens très forts avec les artistes contemporains, et notamment avec les membres de Supports/Surfaces. Ils sont logiquement bien représentés dans les collections, comme Bioulès qui, en résidence à Céret en 2005, a exécuté sur le motif une immense peinture des célèbres platanes de Céret, aujourd’hui accrochée dans le hall du musée.
"Coupelles tauromachiques", de Picasso
C’est la « Joconde » du musée, un ensemble unique qui a façonné son identité. En 1953, Picasso offre à Pierre Brune cette série unique de vingt-neuf coupelles ornées d’un décor tauromachique. Réalisées en six jours seulement, ces céramiques témoignent de l’engouement de Picasso pour la corrida. À cette époque, il assiste d’ailleurs à Céret à des spectacles tauromachiques. Outre leur intérêt biographique, ces œuvres sont une démonstration du désir de renouvellement constant qui guide alors le maître.
"Femme oiseau", de Miró
Musée au plus près des artistes, Céret a très tôt organisé des expositions d’envergure consacrées à des peintres vivants. Cette ouverture a séduit les plus célèbres d’entre eux, à l’image de Miró, qui a sollicité le musée afin d’organiser une exposition en 1977. Le peintre, très enthousiaste à l’idée de montrer son travail dans cette mythique cité de Catalogne, dessine même l’affiche de l’événement. Ce projet fait ainsi partie des collections, tout comme cette grande gouache donnée par l’artiste.
"Rue de Céret", de Masson
Toutes les routes mènent à Céret ! En 1919, André Masson prend le chemin de Barcelone avec l’envie de tout plaquer et de s’enfuir en Inde. Il fait halte à Collioure puis à Céret, où il se lie d’amitié avec Chaïm Soutine et Odette Caballé, qui deviendra bientôt sa femme. Le jeune artiste, traumatisé par la guerre, trouve dans la cité catalane un refuge salvateur et reprend petit à petit goût à la vie et à la peinture. Encore très influencé par Cézanne, il y réalise de beaux paysages colorés et rythmés.
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Le Musée d’art moderne de Céret
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du 9 juillet au 13 novembre 2022. Musée d’art moderne de Céret, 8, boulevard du Maréchal-Joffre, Céret (66). Tous les jours de 10 h à 19 h. Tarifs : de 7 à 10 €. www.musee-ceret.com
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°756 du 1 juillet 2022, avec le titre suivant : Le Musée d’art moderne de Céret