MOSCOU / RUSSIE
Ce devait être un lieu phare pour la création en Russie. Le Centre d’État pour l’art contemporain ne verra finalement pas le jour en raison de problèmes budgétaires. Un enterrement à la dérobée.
Moscou. Le projet d’un « Centre Pompidou russe » a une nouvelle fois avorté. L’ambitieux bâtiment ultramoderne de dix-sept étages dessiné en 2013 par le bureau d’architecte berlinois et dublinois Heneghan Peng a été relégué au rayon des rêves de papier, faute de financements publics, quatre ans après la pose de la première pierre par le ministre de la Culture et le maire de Moscou. Le mois dernier, « Rosizo » (le département des beaux-arts du ministère de la Culture) a annoncé l’abandon d’un projet à 210 millions d’euros. À la place, un parc sera aménagé par la Ville de Moscou. Le ministère de la Culture russe a d’autres priorités que l’art contemporain, comme la Société historico-militaire russe, le cirque et les films d’action patriotiques.
Les circonstances de l’annonce de l’abandon en disent long sur les rapports entre le monde de l’art contemporain et les fonctionnaires du ministère de la Culture, qui n’ont même pas daigné commenter la décision et l’ont faite connaître par un responsable subalterne au détour d’un entretien. Il n’y a eu ni protestation, ni même une discussion publique sur l’abandon d’un musée qui aurait changé le visage de Moscou et impulsé une nouvelle dynamique à la création russe. Les architectes n’ont rien vu venir. « Nous avons appris l’abandon par voie de presse», raconte d’un ton désabusé Anton Nagavitsyn, fondateur d’ArchStruktura, un bureau d’architecte moscovite qui a collaboré avec Heneghan Peng sur le projet. « Nous aimerions bien savoir ce qui s’est tramé, mais malheureusement nous n’avons aucun informateur au sein du processus de prise de décision », explique-t-il. Contacté par Le Journal des Arts, Heneghan Peng n’a pas répondu aux questions. Hormis la déception de voir leur travail rester sur le papier, les architectes ont tout de même la satisfaction d’avoir été rémunérés. Heneghan Peng a vendu ses droits sur le projet au ministère de la Culture russe dès 2013. Nul ne s’avance à chiffrer la somme gaspillée dans ce projet, mais elle doit se chiffrer en centaines de milliers d’euros.
Fondé en 1992, le Centre d’État pour l’art contemporain (CEAC) de Russie reste le parent pauvre de la culture. Dès le départ très mal logé à Moscou, il reçoit en 2001 un modeste bâtiment de deux étages dans lequel il se sent tout de suite à l’étroit, avec des espaces insuffisants pour organiser des expositions d’envergure. Après une première tentative de déménagement avortée en 2009, un concours architectural est annoncé en 2012, remporté par Heneghan Peng (contre 900 rivaux, dont Zaha Hadid, OMA, Shigeru Ban, entre autres) pour un projet à la silhouette singulière et 65 000 mètres carrés. Mais l’enthousiasme bute rapidement sur des problèmes budgétaires. Dès 2015, il devient évident que quelque chose ne tourne pas rond : aucune activité de construction n’est observée sur le site. Plus inquiétant encore, la direction du CEAC lance l’année suivante une pétition adressée à Vladimir Poutine pour alerter l’opinion publique. Laquelle ne recueille en tout et pour tout que 500 signatures. Comme si les déclarations et mesures de plus en plus hostiles du ministère de la Culture envers l’art contemporain désarmaient d’avance les défenseurs du projet.
Tout espoir d’extension n’est cependant pas perdu. Le patron de Rosizo, Sergueï Perov a déclaré qu’en échange du parc récupéré par la Ville de Moscou (assez éloigné du centre), la municipalité s’est engagée à trouver pour le CEAC un espace d’exposition dans le centre de Moscou. Les contours du projet restent flous. Le site internet moscovite artguide.com affirme que l’espace d’exposition se trouverait dans un « centre d’affaires » dans la même rue que le siège actuel du CEAC. « Un investisseur a déjà été trouvé, dit-on », avance artguide.com sans indiquer sa source. Ni Rosizo, ni le ministère de la Culture n’ont voulu commenter l’information au Journal des Arts, un porte-parole de Rosizo suggérant simplement que le projet n’est encore qu’à un stade tout à fait préliminaire et « que de nombreux écueils se dressent encore ». On n’est plus à un abandon près.
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Le musée d’art contemporain à Moscou enterré en silence
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°510 du 2 novembre 2018, avec le titre suivant : Le musée d’art contemporain à Moscou enterré en silence