Comme pour les JO de Paris 2024, l’Exposition universelle avait été très critiquée avant et encensée après son déroulement.
Après des mois, voire des années, de critiques acerbes et d’articles alarmistes, nombre de commentateurs ont dû ravaler leur chapeau et amender leurs terribles présages au sujet des Jeux olympiques de Paris 2024. On l’avait pourtant répété ad nauseam : rien ne serait prêt et nous serions la risée de la planète. Pire, certains ont même envisagé que l’on doive tout bonnement abandonner le projet et se désister au profit d’une autre ville hôte. Or, les efforts humains comme financiers ont permis de tenir l’essentiel des délais et d’achever des infrastructures attendues de longue date par les Franciliens. Mais aussi d’offrir un spectacle qui a ébloui le monde et de vivre un moment de cohésion nationale comme la France n’en avait pas connu depuis longtemps. Les observateurs et la presse se sont même accordés sur le fait que cette édition marquera les mémoires et que les villes accueillant les futurs JO auraient du mal à mettre la barre aussi haut. À tel point que le bashing constant qui a précédé l’événement semble bien loin.
On le sait, les Français sont volontiers râleurs et plus prompts à envisager le pire des scénarios qu’à voir le verre à moitié plein. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un événement à résonance internationale est la cible d’un bashing systématique, digne des pires cassandres. Il y a plus d’un siècle, l’Exposition universelle de 1900 a subi un sort similaire. Difficile à croire tant elle fait aujourd’hui figure de référence et est considérée comme l’acmé de ce type de festivités. Pourtant, la plus réussie des Expositions universelles a elle aussi été précédée d’une campagne de dénigrement, dont les arguments des détracteurs semblent pratiquement copiés-collés à 125 ans d’intervalle !
Les sources d’inquiétude étaient sensiblement les mêmes : retard de chantier, gouffre financier, menaces de grèves, mais aussi parti pris esthétique. Si on connaît tous aujourd’hui les monuments phares de l’Expo, à commencer par les grand et petit Palais, on a oublié une œuvre qui aurait dû être la vedette mais qui a été victime d’un bad buzz : La Parisienne. La porte principale du site devait en effet être coiffée d’une grande statue représentant la capitale sous les traits d’une jeune femme. Or cette dernière a été si violemment critiquée qu’elle a été déboulonnée une semaine avant l’inauguration. Sa silhouette, qui ne nous est plus connue que par quelques photographies [voir ill.] et goodies de l’époque, ayant déclenché une controverse d’une virulence disproportionnée tant dans la presse que chez les simples passants. Les opposants de la demoiselle sculptée par Paul Moreau-Vauthier (1871-1936) rejettent surtout son style moderne, loin des habituelles allégories classiques présentes dans l’espace public, et sa polychromie audacieuse. Le journal La République française nous apprend ainsi que « l’étonnement des badauds n’avait fait que croître » car au lieu de représenter « la Ville de Paris accueillant ses visiteurs » le sculpteur avait imaginé « une espèce de poupées très raide et guindée, trop mince, et le paraissant plus encore vue d’en bas ». La sculpture mesurait de fait six mètres de haut et était juchée sur la fameuse Porte monumentale de Binet. Porte éphémère dont l’esthétique chantournée avait elle aussi été peu appréciée par la majorité de ses contemporains ; ce qui ne l’empêchera pas de devenir une des signatures visuelles de l’événement. Démontée début avril 1900, la statue en fer recouvert de staff coloré finira comme déchet chez un ferrailleur alors qu’elle avait été pensée pour être l’une des attractions de l’Expo. Plus largement, les aménagements induits par la manifestation suscitent de vives réactions, notamment la création d’une gare aux Invalides pourfendue par des défenseurs du patrimoine. Des débats qui ne sont pas sans rappeler des critiques infondées entendues en amont des JO.
Mais la similitude la plus déroutante entre les deux événements est la critique récurrente de l’impréparation et la crainte des retards. De nombreuses infrastructures ont été créées pour 1900 : plusieurs monuments, trois nouvelles gares, le pont Alexandre III et la première ligne de métropolitain française. Inévitablement, une telle concentration de chantiers lancés en l’espace de quelques années ne pouvait que connaître quelques péripéties et retards. Les observateurs, d’hier comme d’aujourd’hui, ont pris un malin plaisir à chroniquer ces travaux trop longs et trop onéreux et à décrire par le menu leurs vicissitudes. Les grèves, notamment celle massive des terrassiers qui a mis à l’arrêt quantité des projets en 1898, ont ainsi fait l’objet d’une abondante couverture médiatique. « Paris n’est plus qu’un immense chantier », rapporte La Revue des Deux mondes, regrettant sans doute, qu’il n’a-t-il pas été très sage, d’accumuler dans le même temps tous ces travaux divers. Les députés de province déplorent quant à eux l’investissement colossal – 120 millions de francs de l’époque – au seul bénéfice de la capitale. Tandis que les Parisiens s’agacent d’une ville impraticable.
Le jour J, Le Figaro revient sur cette cabale : « La promesse donnée a été tenue malgré les prophéties noires [...] en dépit de tous ceux qui nous promettaient une capitale inhabitable et saccagée […] et une Exposition boycottée. » Là encore comme un air de déjà-vu. Mais certains journalistes ont du mal à faire amende honorable et pointent dans les premières recensions presque exclusivement ce qui pêche plutôt que la quantité de choses réussies. Le Matin dénonce par exemple l’inachèvement en des termes excessifs : « Ce qu’on a inauguré hier, c’est une salle des fêtes, une allée sablée, quelques façades plus ou moins achevées [...] et rien à voir. Alors que quelques semaines plus tard, la presse triomphe d’une voix presque unanime. À l’image du Petit Journal qui encense des « merveilles, attractions de toute nature, des spectacles éblouissants et somptueux » à même d’emballer « les plus blasés » qui « sentiront leur cœur palpiter d’une patriotique admiration ».
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Le dénigrement de l’Exposition universelle en 1900
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Le dénigrement de l’Exposition universelle en 1900