Délaissés depuis une vingtaine d’années pour cause de surenchère régionaliste et communautaire, les Établissements scientifiques nationaux belges, devenus fédéraux (ESF), semblent promis à un avenir nouveau. Redynamiser ou disparaître, tel est l’enjeu de ces institutions phares à l’aube du XXIe siècle qui verra, en 2005, la Belgique fêter son 175e anniversaire.
BRUXELLES - Rédigé par l’ensemble des directeurs à l’initiative de Charles Picqué, ministre fédéral de la Recherche scientifique, et de Yvan Ylieff, commissaire du gouvernement en charge de la Politique scientifique, les 67 pages du livre blanc déposé sur la table du Conseil des ministres belge traduit un changement d’orientation politique majeur. Horizon 2005. Livre blanc pour la modernisation des Établissements scientifiques fédéraux placés sous l’autorité du ministre de la Recherche scientifique rend compte d’un changement d’état d’esprit de la part d’un pouvoir politique qui, jusqu’à récemment, voyait dans les dix institutions fédérales les vestiges d’une Belgique de papa vouée à se diluer dans le nouveau paysage politique national dominé par les Communautés et les régions. Le cas du Jardin botanique, régionalisé sans préparation, sans accords de collaboration entre les régions, sans même y avoir réfléchi préalablement, semblait ouvrir la voie à la liquidation systématique des institutions restées fédérales.
Moderniser l’outil
Pourtant, les dix institutions concernées pèsent lourd. Outre les Établissements scientifiques réunis sur le plateau d’Uccle – l’Observatoire royal, l’Institut d’aéronomie spatiale, l’Institut royal de météorologie – qui ne nous retiendront pas ici, elles comptent en leur sein les piliers de l’activité muséale belge comme les Musées royaux d’art et d’histoire, les Musées royaux des beaux-arts, l’Institut royal des sciences naturelles, le Musée royal de l’Afrique centrale ainsi que les Archives générales du Royaume et Archives de l’État dans les provinces, la Bibliothèque royale ou l’Institut royal pour le patrimoine artistique auquel il convient d’ajouter le Centre d’études et de documentation “Guerre et Société contemporaine” qui jouit d’un statut spécifique.
L’ensemble des ESF représente un effectif de quelque 2 434 personnes pour un budget, hors masse salariale, de 50,59 millions d’euros. Musée, centre d’archives, bibliothèque ou service public, les ESF accueillent annuellement près d’un million de visiteurs ou d’utilisateurs. Leur patrimoine est estimé à 6,2 milliards d’euros, soit près de 42 % de la valeur du patrimoine mobilier fédéral.
Mais, l’intérêt du Livre blanc ne se limite pas à une énumération de chiffres. Il se situe d’abord dans un état des lieux en regard des missions assignées à ces institutions. Telles que définies dans l’opuscule, celles confiées à ces “services publics scientifiques” relèvent à fois de la recherche de pointe et d’un service à la collectivité répondant aux exigences d’une société postmoderne. Dans ce cadre, l’ambition du Livre blanc peut être résumée en un mot : modernisation.
L’objectif vise à doter les ESF d’outils à la fois performants et rationalisés. Qu’il s’agisse du personnel – en commençant par les modes de recrutement –, des moyens de communication, de l’instrumentation des nouvelles technologies ou, plus prosaïquement, des relations, toujours complexes, avec la Régie des bâtiments, le Livre blanc contient une somme d’orientations qui devrait permettre de rendre compte d’objectifs qui vont de l’inventaire des collections et de leur numérisation pour diffusion électronique à la mise en place d’une muséologie performante en passant par la refonte du statut du personnel, la sécurisation des collections ou le renforcement des relations publiques.
Face à un public dont les attentes en matière culturelle n’ont cessé de croître, l’État semble décidé à valoriser des outils dont la dimension muséale constitue la vitrine principale. Ainsi, le Livre blanc se veut-il l’annonce d’une vaste campagne de travaux qui conduira à rénover nombre de bâtiments – le Muséum des sciences naturelles ou le Musée de l’Afrique centrale – ou à restructurer certains départements comme l’aile “Antiquité” ou le parcours Art nouveau-Art déco du Cinquantenaire. Sécurisés, dotés d’une muséographie actuelle, repensés, ces ESF pourront répondre aux exigences d’un public belge et international. Au fil du rapport, le défi se précise. Il s’agit de hisser le fleuron des institutions culturelles et scientifiques belges à un niveau international qui lui semblait inaccessible faute de moyens, mais aussi de compétences.
Repenser la recherche
Proposer des manifestations de niveau international ne passe pas seulement par la rénovation de l’outil. Cela exige aussi une “inventivité” dont le fondement ne peut qu’être scientifique. Ainsi, à une recherche appliquée tout entière tournée vers l’exploitation des fonds conservés doit répondre une capacité à s’intégrer dans les réseaux internationaux de la recherche. On touche ainsi à un second problème rencontré au sein des ESF : l’excellence et, de façon corollaire, la reconnaissance de chaque établissement en fonction de ses résultats. Ici, le caractère généraliste du Livre blanc ne permet pas d’aller au-delà du catalogue d’intentions. La situation de chaque institut et, à l’intérieur de chacun, des départements et sections qui les composent, reste spécifique. Si certaines institutions jouissent d’ores et déjà d’une forte réputation internationale, d’autres semblent privées de toute ambition scientifique. Ici aussi, le Livre blanc constitue une impulsion majeure en redéfinissant le statut du chercheur, en incitant à la coopération avec les universités et institutions similaires relevant des communautés. Bref, il s’agit de consacrer les ESF comme des carrefours de la recherche en Belgique et en Europe. Ambitieux, le projet passera nécessairement par une évaluation, département par département, des compétences de chaque institution et de sa capacité à se hisser au sein des réseaux d’excellence dans “l’Espace européen de la Recherche”.
De nouveaux profils
Moderniser l’outil signifie aussi changer l’esprit de ceux qui le dirigent. Dans le cadre de la réforme proposée, la structure de direction devrait être revue pour associer le mandat de directeur à la mise en place d’un conseil stratégique. Face à des institutions dont la gestion quotidienne se révèle sans cesse plus complexe, l’émergence d’une fonction de directeur administratif s’impose. Si le texte précise les compétences des intervenants et offre davantage de transparence et de contrôle dans la gestion, il reste nébuleux quant à l’organisation hiérarchique de la structure au risque de placer le scientifique sous la tutelle de l’administratif.
Pour mener à bien cet ambitieux programme, les signataires de l’essai ont dressé l’inventaire des besoins et en ont estimé le coût, poste par poste. L’effort à consentir s’avère important : quelque 95 millions d’euros pour répondre à un premier programme qui, pour le 175e anniversaire de la Belgique, devrait hisser les Établissements scientifiques fédéraux aux premiers rangs européens. Au-delà des possibilités budgétaires de l’État, l’investissement passe nécessairement par des initiatives privées et par le recours à des institutions comme la Loterie nationale ou la Fondation Roi-Baudouin.
Le coût est à la mesure de l’ambition. Il repose désormais sur une décision politique qui a déjà eu le courage de poser le problème et de l’inscrire à l’ordre du jour du gouvernement. Pour les Établissements scientifiques fédéraux, ceci tient déjà du miracle.
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L’avenir des grands musées belges
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : L’avenir des grands musées belges