Droit

DROIT D’AUTEUR

L’auteur d’une photo dénaturée doit en démontrer son originalité

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 6 septembre 2017 - 752 mots

Débouté en première instance de ses demandes en contrefaçon, l’auteur d’un cliché du rockeur américain Jimi Hendrix a su justifier en appel l’originalité de sa photographie, préalable indispensable à la reconnaissance de ses droits.

Paris. Le 21 mai 2015, le tribunal de grande instance de Paris avait refusé d’accueillir la demande en contrefaçon formée par le photographe britannique Gered Mankowitz contre une société ayant reproduit sans son consentement une de ses photographies représentant Jimi Hendrix. La société, spécialisée dans la vente de cigarettes électroniques et depuis lors placée en liquidation judiciaire, avait en outre détourné le cliché d’origine en remplaçant la cigarette tenue par le musicien par une cigarette électronique afin de promouvoir son activité commerciale. La décision de première instance avait été vivement critiquée par de nombreux commentateurs, qui considéraient que le tribunal avait rejeté à tort la possibilité d’une qualification d’œuvre de l’esprit au bénéfice de la photographie réalisée en 1967. Pour autant, il était dès ce stade possible de considérer qu’une « démonstration [de l’originalité] mieux menée devant la cour d’appel pourrait permettre, en revanche, la protection de cette œuvre » (voir JdA no 439). L’auteur n’ayant porté son argumentation que sur le seul terrain d’une description esthétique et n’ayant nullement expliqué l’origine des choix constitutifs des caractéristiques originales revendiquées, sa demande ne pouvait qu’échouer. Mais dès lors que le travail de qualification de l’originalité de l’œuvre est mené, cette dernière devient éligible à la protection accordée par le droit d’auteur.

En effet, si une œuvre bénéficie d’une présomption d’originalité, dès lors que celle-ci est déniée par le potentiel contrefacteur, l’auteur est astreint à une nécessaire démonstration des éléments caractéristiques de son œuvre. La décision de première instance s’en faisait l’écho ; celle de la cour d’appel ne fait que réaffirmer ce principe, cette fois-ci au bénéfice de l’auteur de la photographie. À cet égard, la cour d’appel de Paris énonce, dans son arrêt du 13 juin 2017, qu’il incombe à celui qui entend se prévaloir des droits d’auteur « de caractériser l’originalité de l’œuvre revendiquée, c’est-à-dire de justifier de ce que cette œuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur ». Or, en appel, le photographe a notamment précisé qu’il avait guidé et dirigé Jimi Hendrix lors de la prise de vue, lui imposant la pose prise dans le cliché. Le choix de prendre la photographie en noir et blanc résultait, quant à lui, de la volonté « de donner plus de contenance à son sujet et donner de lui l’image d’un musicien sérieux ». Enfin, le décor, l’éclairage, l’angle de vue et le cadrage résultaient d’autant de choix spécifiques au photographe, ainsi que le prouvaient les nombreux documents versés à la procédure. Soit autant d’éléments susceptibles de fonder l’originalité d’une photographie, la personnalité de son auteur pouvant s’exprimer au stade de la préparation, de la réalisation ou encore de la postproduction. La cour reconnaît alors que « la photographie en cause est le résultat de choix libres et créatifs opérés par le photographe traduisant l’expression de sa personnalité » et accueille cette photographie dans le champ du droit d’auteur.

En revanche, il apparaît fort étonnant que la cour relève, à l’appui de la reconnaissance de l’originalité de l’œuvre, que son auteur soit un « photographe reconnu au plan international, notamment pour avoir été le photographe des Rolling Stones, dont les photographies jouissent d’une forte notoriété ». Le mérite constitue une condition indifférente à la protection par le droit d’auteur et sa prise en considération doit être nécessairement exclue.
 

Le risque de banalisation de l’œuvre contrefaite

L’œuvre ayant été utilisée sans l’autorisation de son auteur, la contrefaçon était nécessairement caractérisée et l’atteinte au droit patrimonial consacrée avec une réparation portée à 50 000 euros. À cet égard, la cour relève « que l’utilisation de la photographie à des fins commerciales, pour la vente de cigarettes électroniques et d’accessoires afférents, dans une version dénaturée, a incontestablement banalisé et affaibli sa valeur économique ». Cette formulation s’appuie sur l’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, qui invite à prendre en considération les conséquences négatives attachées à la contrefaçon dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée dans le calcul des dommages-intérêts. Quant à l’utilisation dénaturée de l’œuvre et sans mention du nom du photographe, il s’agissait là de deux sources différentes d’atteinte au droit moral dont est investi le photographe, préjudices réparés à hauteur de 25 000 euros. La société contrefactrice ayant été placée en liquidation judiciaire, cette condamnation pourrait rester symbolique.

 

Légende photo

Jimi Hendrix sur scène au Newport Pop Festival, Northridge, Californie, le 22 juin 1969, photo : Ed Caraeff

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°484 du 8 septembre 2017, avec le titre suivant : L’auteur d’une photo dénaturée doit en démontrer son originalité

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