TOURCOING
Deux ans après son ouverture et forte d’un soutien important des collectivités locales, la « franchise » de l’Institut du monde arabe dans le Nord de la France s’enracine progressivement.
Tourcoing. Créé en novembre 2015 à l’initiative de Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe (IMA) et d’élus locaux, l’IMA de Tourcoing est un Groupement d’intérêt public sous label de l’IMA Paris, « une sorte de franchise comme le Louvre-Lens », selon la directrice Françoise Cohen, qui ajoute qu’« il y a une volonté des présidents de régions d’associer leurs villes à des institutions parisiennes ». Cet IMA remplit la même mission que sa maison mère, « faire rayonner les cultures du monde arabe », mais sa structure de Groupement d’intérêt public (GIP) lui confère une plus grande autonomie. En effet, si l’IMA-Paris ne met pas un centime dans le budget, l’IMA-Tourcoing n’est pas sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères comme celui de Paris. Les pays de la Ligue arabe n’y jouent aucun rôle non plus, ce qui apparente cet IMA à une institution culturelle locale. Le GIP associe la Région Hauts-de-France, la Métropole européenne de Lille, les villes de Tourcoing et Roubaix, et l’IMA-Paris. En plus de leurs représentants, siègent à l’assemblée générale du GIP des personnalités qualifiées comme la présidente de l’université Lille 3.
Après une phase de préfiguration où prévalaient des activités hors les murs gratuites en 2015-2016, l’IMA-Tourcoing a emménagé en novembre 2016 dans l’ancienne École de natation de Tourcoing, un bâtiment en brique de 1904 partiellement rénové. L’IMA-Tourcoing verse un loyer à la municipalité propriétaire du lieu, « tout à fait raisonnable », selon Françoise Cohen. Actuellement 800 mètres carrés ont été rénovés sur les 4 000 mètres carrés, et la deuxième étape des travaux devrait commencer en 2022 sous la conduite de la municipalité. Les locaux se divisent en quatre salles d’exposition, une salle modulable de 90 places maximum, un espace d’accueil et des bureaux. Il n’y a pas d’auditorium, ce qui oblige l’établissement à louer des salles dans d’autres institutions culturelles pour les spectacles. Ce sont donc des locaux modestes.
Un soutien des collectivités locales
Françoise Cohen, en poste depuis mars 2018 a conscience des contraintes qui pèsent sur l’IMA-Tourcoing. Elle a donc adapté le projet d’établissement pour la saison 2018-2019 : « Il ne s’agit pas d’en faire un centre d’art ou un musée, mais bien un lieu culturel au sens large », précise-t-elle. Avec un budget d’un million d’euros (dont 70 % pour les frais fixes) stable depuis deux ans l’établissement a une certaine marge de manœuvre, mais ses recettes propres ne représentent que 5 % du budget. Prouver l’efficacité des actions reste donc plus que jamais indispensable, car les acteurs publics locaux se sont investis dans le projet. La Région contribue à elle seule pour 50 % du budget et soutient activement l’IMA-Tourcoing. Les élus locaux comme Gérald Darmanin, ex-maire de Tourcoing devenu ministre du Budget, viennent régulièrement sur place ; ce qui fait dire à Françoise Cohen :« Nous n’avons rencontré aucune opposition de la part des élus ou de la population, bien au contraire. »
Si l’établissement bénéficie d’un emplacement relativement central, à cinq minutes du Muba et de l’hôtel de ville, son succès n’était pas garanti, car le public de Tourcoing et des villes voisines (environ un million d’habitants) est majoritairement composé de familles modestes, voire pauvres, pour qui les activités payantes restent inaccessibles. L’IMA-Tourcoing a ainsi multiplié les ateliers en milieu scolaire et les partenariats avec des associations locales dès sa première année. L’année suivante l’exposition inaugurale était gratuite, entraînant une forte fréquentation : en 2017, l’IMA-Tourcoing a attiré plus de 25 000 visiteurs toutes activités confondues. L’équipe du musée veut attirer aussi bien des familles que des étudiants en art ou des adultes férus de géopolitiques, et déploie une offre très variée qui alterne gratuité et tarifs « raisonnables ». La programmation s’est donc enrichie de siestes musicales le midi, d’ateliers pour enfants, de conférences sur l’actualité du monde arabe et même de petits-déjeuners thématiques. Depuis la rentrée 2018, l’offre s’est étoffée avec des cours d’histoire de l’art arabe moderne, une manière d’« hameçonner un public attiré par les expositions et l’art », commente Françoise Cohen. Ces cours payants inspirés de ceux dispensés à La Piscine de Roubaix regroupent pour l’instant une vingtaine de personnes. Le partenariat avec La Piscine sera d’ailleurs renforcé au printemps 2019 pour une exposition sur la photographie et l’Algérie, au moment où le Musée d’art et d’industrie exposera Gustave Guillaumet.
Autre nouveauté, des cours d’arabe littéral à partir de janvier 2019, sur le modèle déjà développé à l’IMA-Paris. Selon Françoise Cohen « les cours sont déjà complets, et plusieurs dizaines de personnes sont sur liste d’attente ». Cela révèle une véritable demande au niveau régional, d’autant que peu de lycées proposent un enseignement d’arabe, alors qu’une forte proportion des habitants a des origines maghrébines. À Tourcoing, c’est aussi le cas, avec la particularité que ce sont des familles algériennes descendantes des harkis, une situation bien spécifique. En dehors de quelques associations de quartier, l’IMA-Tourcoing sera donc le seul lieu d’enseignement de l’arabe, et le seul consacré aux cultures du monde arabe. C’est d’ailleurs ce qui justifie son implantation à Tourcoing à la suite du succès des expositions de l’IMA Paris dans la région.
La saison 2018-2019 verra plusieurs nouveaux projets prendre forme avec une programmation structurée en deux saisons annuelles. L’IMA-Tourcoing n’a pas de collections propres et doit donc proposer des expositions temporaires bien identifiées. La fréquentation de l’exposition inaugurale avait baissé sensiblement début 2018, passant de 17 000 visiteurs à 6 000. C’est à la fois l’essoufflement de l’engouement initial, le passage au payant et la durée de l’exposition qui expliquent cette baisse selon l’équipe de l’IMA. Les activités annexes en revanche ont le même succès qu’en 2017. Jusqu’en janvier 2019, c’est la Palestine qui est à l’honneur, avec une sélection d’œuvres issues des collections du futur musée de Palestine hébergées à l’IMA-Paris. Françoise Cohen tient à préciser qu’elle est seule commissaire de cette exposition et qu’elle a choisi « librement » les œuvres, ainsi que la scénographie : l’IMA-Paris n’est pas intervenu, même s’il dispose en théorie d’un droit de veto sur la programmation. En octobre, le lieu consacrait une semaine de concerts et de conférences au poète palestinien Mahmoud Darwich. Le week-end des 17 et 18 novembre a rassemblé plus de 300 personnes pour une série de débats sur le Moyen-Orient et une rencontre avec Leïla Shahid, ex-déléguée de Palestine en France. Pendant ces temps forts, la jauge de la salle de conférences est très souvent atteinte selon la directrice, et l’IMA doit parfois louer une salle dans un autre établissement : un signe encourageant.
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L’antenne de l’IMA à Tourcoing s’installe dans le paysage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°512 du 30 novembre 2018, avec le titre suivant : L’antenne de l’Institut du monde arabe à Tourcoing s’installe dans le paysage