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L’actualité vue par Nicolas Sainte Fare Garnot

Par Jean-François Lasnier · Le Journal des Arts

Le 9 mai 1998 - 844 mots

Après douze ans passés au Musée de l’Assistance Publique, Nicolas Sainte Fare Garnot est devenu, en 1992, conservateur du Musée Jacquemart-André, dont il a dirigé la rénovation. Il a récemment collaboré au catalogue raisonné du peintre Charles Poerson. Il commente l’actualité.

Que vous inspire la commémoration de Mai 68 ?
Aujourd’hui, on est rentré dans un cycle infernal de commémorations. Je trouve cela un peu risible. Que peut-on retenir de cette époque pour ce qui nous concerne plus directement ? Mai 68 a-t-il été un bouleversement culturel majeur ? En définitive, non. On se souvient bien des happenings de l’Odéon. Mais ce moment a laissé assez peu de traces du point de vue culturel, alors que sur le moment, cela avait été ressenti comme quelque chose d’explosif. La remise en cause d’un certain nombre d’institutions s’est traduite, notamment à l’École des beaux-arts, par des modifications, mais pas sur le plan de la création.

En tant que spécialiste du XVIIe siècle, qu’avez-vous pensé de l’exposition “Jacques Blanchard”, à Rennes ?
Un constat s’impose : les expositions et les catalogues sur le XVIIe siècle se sont multipliés ces derniers temps, alors que ce n’est pas l’époque qui suscite le plus d’intérêt dans les pays occidentaux. Il y a du courage de la part des responsables des musées, et particulièrement des musées de province, qui continuent ce travail de recherche et de présentation d’artistes français du XVIIe. Cette exposition est réjouissante ; c’est un plaisir de découvrir cette peinture, exactement contraire à l’image rigoureuse, intellectuelle, moralisatrice souvent associée à la peinture française de ce siècle. Ici, vous avez une peinture du charme, de la sensualité, de la lumière et de la couleur. J’ai l’impression que le public réagit plutôt bien.

Vous réjouissez-vous de la réouverture du Musée de l’histoire de France de Versailles ?
C’est ce projet qui a sauvé Versailles : Louis-Philippe voulait restituer à son peuple un passé “pluriel”, pour employer une expression à la mode, dans une perspective d’unité nationale. Depuis le début du siècle, les grands appartements avaient fait l’objet de tous les soins. Jean-Pierre Babelon a considéré que l’avenir de Versailles était dans l’évocation de ce musée. Il y avait des dizaines et des dizaines d’œuvres que l’on n’avait pas vues depuis un siècle. Je ne sais pas si cette ouverture aura un grand retentissement dans le public, mais nous sommes entrés dans une autre phase de fréquentation des musées : un effort important est fait en direction du public scolaire, l’Éducation nationale s’y intéresse. On a là un merveilleux livre d’images pour raconter l’Histoire de France.

Une importante restauration de la fresque de Tiepolo, conservée au Musée Jacquemart-André, va être entreprise.
L’arrivée d’Henri III à Venise est le chef-d’œuvre du musée, pour plusieurs raisons : les fresques italiennes sont rares à Paris, c’est la seule fresque de Tiepolo dans un musée français, et il s’agit d’un sujet national traité par un Italien. Il fallait trouver une solution pour la bonne conservation de cette œuvre, en établissant des relations étroites avec les Italiens. Grâce ces liens, j’ai pu intéresser une grande entreprise à la restauration : la compagnie d’assurances italienne Generali. Une large équipe, en France et en Italie, a travaillé à l’élaboration d’un cahier des charges, et la restauration commencera dans quelques semaines.

Saisie à New York de tableaux spoliés pendant la guerre, “nationalisation” à Moscou des “trophées” de l’Armée rouge, ces problèmes toujours non résolus ne compromettent-ils pas la circulation des œuvres d’art ?
Dans ce domaine, il existe un droit international. Des pays sont en train de se mettre en conformité avec ce droit. Les discussions en cours allaient dans le même sens avec la Russie. La décision russe a peut-être été prise pour des raisons de politique intérieure. La chute du mur de Berlin et les transformations politiques qu’elle a engendrées dans les pays de l’Est ont amené à reconsidérer le statut des trésors artistiques déplacés. Il faut réagir ensemble et, au niveau des instances internationales, ce mouvement se dessine. En traitant au cas par cas, les résultats ne peuvent pas être satisfaisants.

Catherine Trautmann vient d’annoncer le déclenchement d’une procédure d’expropriation à l’encontre des propriétaires du château de Sully, à Rosny-sur-Seine (lire page 4). Cette décision n’intervient-elle pas un peu tard, alors que des associations avaient depuis longtemps donné l’alerte ?
Heureusement que des individus, des associations et des fonctionnaires réagissent toujours dans l’instant quand une situation leur semble anormale. Avertir est une chose, prendre une décision en est une autre, surtout quand elle est coercitive, voire policière. C’est une mesure exceptionnelle, pour un cas qui l’est aussi. Elle fera réfléchir tous ceux qui seraient tentés d’agir de même, et le contexte est suffisamment exemplaire pour qu’elle ne soit pas remise en cause. Mais ce n’est pas toujours le cas. Dans cette affaire, il y a eu toute une série d’écrans. Il y a une réorganisation en cours de la Direction du Patrimoine, qui participe du souci de rapprocher les fonctionnaires des zones et des œuvres placées sous leur surveillance. Ce mouvement va dans le bon sens.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°60 du 9 mai 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Nicolas Sainte Fare Garnot

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