Restauration

La restauration toujours en quête de reconnaissance

Au Louvre, un colloque sur les écoles de restauration en Europe a constaté la précarité du statut de cette discipline

Par Isabelle Limousin · Le Journal des Arts

Le 14 avril 2000 - 947 mots

Ambitieuse mais contrariée, la restauration est en quête de reconnaissance. Tel a été le constat du colloque sur les écoles de restauration en Europe qui s’est tenu à l’auditorium du Louvre, le 23 février.

PARIS - La restauration et sa formation sont partagées entre deux réalités difficiles à concilier. D’une part, la volonté de respecter les règles et principes édictés par quelques chartes internationales de référence (voir l’encadré), promus par l’Iccrom et suivis par tous les professionnels. D’autre part, les particularités nationales : chaque pays européen, selon son histoire et son intérêt pour le patrimoine, a reconnu plus ou moins rapidement l’importance d’une formation de qualité pour les restaurateurs. Si l’Italie de Mussolini, riche d’un patrimoine artistique exceptionnel qui devait rappeler à tous l’originalité et la puissance du génie italien, a été pionnière dans ce domaine grâce à la fondation d’un institut modèle, l’Istituto Centrale per il Restauro de Rome dès 1939, à l’initiative de Giulio Carlo Argan et de Cesare Brandi, la Suisse, en revanche, a particulièrement tardé en créant en 1981, à Berne, une formation de conservateur-restaurateur reconnue depuis seulement deux ans. La volonté politique de soutenir la restauration se mesure aisément à l’ampleur de l’engagement des différents États européens dans le financement des écoles. En témoigne la situation du Portugal : marqué par quarante années d’une dictature qui favorisait l’artisanat aux dépens de l’art, il reconnaît si peu la restauration que son Escola superior de conservaçao e restauro de Lisbonne, créée en 1989, ne dispose encore d’aucun bâtiment fixe. Extrêmement variable, ce financement détermine la nature des enseignements dispensés. À l’Institut de formation des restauration d’œuvres d’art, à Paris, conformément à la grande tradition élitiste française, des moyens considérables sont mis à la disposition d’une promotion de vingt-cinq étudiants très sévèrement sélectionnés au niveau DEUG : une bibliothèque conséquente, un laboratoire scientifique destiné à l’étude des œuvres et des objets en cours de traitement, des ateliers pour chaque spécialité... Leurs camarades néerlandais et britanniques, quant à eux, apprennent d’emblée leur métier sur des chantiers-écoles qui financent le fonctionnement de leurs établissements à hauteur de 60 % : “Nos étudiants assistent des restaurateurs professionnels et acquièrent ainsi rapidement un très large éventail d’expériences”, affirme Ian McClure, de l’Hamilton Kerr Institute, à Cambridge.

Trois formations en conservation préventive
La conservation préventive, petite sœur de la restauration qui s’intéresse non pas à la réparation des œuvres mais à la manière de prévenir dégradations et accidents par des mesures de conservation adéquates, semble être présente sur toutes les lèvres comme un concept en cours de théorisation, dont les conséquences quotidiennes et l’enseignement demeurent à concevoir et à mettre en œuvre. Il est en effet frappant de ne recenser en Europe que trois formations en conservation préventive, en France, au Danemark et au Portugal. Celles-ci sont des spécialisations qui s’adressent à des micro-promotions d’étudiants-restaurateurs en fin de formation (on dénombre douze étudiants au DESS de Paris-I). Alors que l’ambition affichée est d’intervenir le moins possible, voire pas du tout, sur les œuvres afin de respecter leur intégrité et de privilégier autant que possible la conservation préventive, les enseignements actuellement dispensés ne permettent pas de former les professionnels de demain. On patientera donc encore pour assister à l’émergence d’une véritable “conservation-restauration”, alliance de la conservation préventive et de la restauration ardemment défendue par Ségolène Bergeon, conservateur général du Patrimoine, et l’association ENCoRE (voir l’encadré).

Ces multiples difficultés soulignent la précarité du statut de la restauration en Europe. Discipline ambitieuse, elle n’est pourtant pas un domaine de recherche à part entière. Si l’on excepte la Kongelige Danske Kunstakademi de Copenhague, seule institution habilitée en Europe à proposer des doctorats à ses étudiants, les travaux de recherche sont actuellement enregistrés, faute de mieux, dans les départements d’Histoire de l’art ou de Sciences des universités et écoles. La création de départements autonomes de conservation-restauration dynamiserait la recherche dans ce domaine et la consacrerait définitivement comme une véritable discipline. Par ailleurs, la protection de la profession de restaurateur permettrait de faire reconnaître les compétences tant artistiques que scientifiques propres à ce métier. Or, malgré les recommandations de la charte de Copenhague, qui insiste sur la nécessité de former des professionnels de qualité, les écoles privées prolifèrent et proposent des enseignements de piètre qualité, dévalorisants pour l’ensemble de la profession. N’importe qui semble en effet pouvoir s’improviser restaurateur : “On peut se former en quatre semaines lors d’un stage d’été ou en cinq ans dans une école réputée”, déplore Volker Schaible, de la Hochschule für Gestaltung, Kunst und Konservierung, à Berne. Protéger le statut des restaurateurs formés dans les règles de l’art reviendrait non seulement à reconnaître une profession et des qualifications de haut niveau, mais surtout à mieux protéger les œuvres d’art d’interventions malheureuses. Cette carence institutionnelle révèle bien qu’à l’heure actuelle, entre art, artisanat, technique et science, la restauration n’a toujours pas conquis sa place.

- La charte d’Athènes (1931) : parmi ses recommandations les plus importantes figure celle du respect absolu du style d’un monument à restaurer ; chaque modification stylistique est nécessaire à la compréhension historique et artistique d’un édifice.
- La charte de Venise (1964) insiste quant à elle sur l’importance des études préalables à toute intervention.
- La charte de Copenhague (1984) souligne la nécessité de former des professionnels de la restauration de haut niveau.
- L’Iccrom (conseil international de la conservation-restauration) : cette institution intergouvernementale est chargée depuis 1956 d’assurer la promotion de la conservation-restauration.
- ENCoRE (European Network for Conservation-Restauration Education) : fondée en 1997, l’association milite pour le développement des échanges européens d’étudiants, d’enseignants et d’informations professionnelles, ainsi que pour la reconnaissance de la conservation-restauration comme discipline et du niveau de qualification que sa pratique exige.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : La restauration toujours en quête de reconnaissance

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