Musée

La Piscine de Roubaix

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 30 octobre 2018 - 1196 mots

ROUBAIX

En 2016, la Ville de Roubaix engageait la rénovation de son musée, célèbre pour être installé dans une ancienne piscine Art déco. Après dix-huit mois de travaux d’agrandissement et d’embellissement, le Musée d’art et d’industrie André Diligent rouvre grand ses portes.

Le 20 octobre, La Piscine a rouvert ses portes, agrandie et embellie, dix-sept ans jour pour jour après son inauguration. Rares sont les musées à bénéficier aussi rapidement d’une extension si colossale. En effet, ce ne sont pas moins de 2 300 m2 supplémentaires qui sont consacrés aux collections, aux expositions et aux activités pédagogiques. Il faut dire que le site, victime de son succès, a vite été saturé en visiteurs comme en collections. « Nous avons eu une chance inouïe », reconnaît Bruno Gaudichon, qui dirige le musée depuis sa préfiguration. « À l’ouverture, nous espérions 60 000 visiteurs par an, ce qui est déjà beaucoup pour Roubaix, mais, d’emblée, nous avons dépassé les 200 000 visiteurs et nous ne sommes jamais repassés en dessous. »
 

Du musée d’industrie au Musée d’art et d’industrie

Au moment de l’ouverture, ils étaient pourtant peu nombreux à miser sur un tel projet ; il fallait, il est vrai, une sacrée dose d’imagination et d’espoir pour rêver pareille success story dans une région économiquement sinistrée. Cité jadis prospère et au riche patrimoine, d’ailleurs labellisée Ville d’art et d’histoire, Roubaix faisait alors pâle figure. Mais, petit à petit, l’ancienne capitale du textile a retrouvé un peu de son faste grâce à des opérations de rénovation urbaine et de restauration de ses monuments insignes. À commencer par sa superbe piscine Art déco, bâtie en 1927 par le Lillois Albert Baert, réhabilitée pour héberger un musée à l’histoire mouvementée.

Créé en 1835 pour conserver des échantillons de production textile, l’établissement s’élargit rapidement aux beaux-arts et passe sous la tutelle de l’État. La Belle Époque marque un tournant décisif grâce au directorat de Victor Champier. L’ancien directeur de La Revue des arts décoratifs, chantre de l’abolition des frontières entre les disciplines, enrichit considérablement le musée avec un tropisme pour les arts appliqués et la sculpture. Cet établissement dynamique suscite inévitablement l’intérêt des collectionneurs, à l’instar du négociant en textile Henri Selosse qui lui lègue quantité de peintures, dessins et objets d’art. Hélas, la Seconde Guerre mondiale porte un violent coup d’arrêt à la vitalité du lieu qui ferme pendant le conflit pour ne jamais rouvrir.

À la Libération, l’État déclasse ainsi le musée qu’il juge démodé et les collections sont abandonnées dans les locaux de l’École nationale des arts et industries textiles. Il faudra attendre un demi-siècle pour qu’elles sortent de l’oubli quand émerge l’idée de regrouper ces fonds avec ceux du musée monographique dédié au peintre Jean-Joseph Weerts, abrités dans l’hôtel de ville. Au début des années 1990, la décision est validée et d’importants dépôts sont consentis par l’État. La Ville opte judicieusement pour un projet singulier alliant un positionnement atypique, un lieu magique et la carte de la médiation.
 

Un lieu atypique pour des collections singulières

La première originalité est évidemment le site : un choix architectural autant que symbolique, car cette piscine, en activité jusqu’en 1985, est ancrée dans la mémoire des Roubaisiens, ce qui lui confère un caractère familier, idéal pour attirer le public éloigné des musées. Dès l’origine, la question des publics et des modalités de présentation a de fait été au cœur de la démarche de La Piscine. Pionnière dans les activités pédagogiques et la médiation, elle reçoit chaque année plus de 50 000 enfants dans ses ateliers. L’un des points forts du chantier a d’ailleurs été la création de nouveaux ateliers, qui ont pris leurs quartiers dans un bâtiment mitoyen, un collège de la IIIe République, tandis que les autres nouveaux espaces sont essentiellement situés dans l’aile neuve, réalisée par l’architecte Jean-Paul Philippon. C’est déjà lui qui avait œuvré à la transformation du site et à son aménagement poétique qui participe grandement au succès de ce lieu hors du commun. Les collections de peinture sont en effet accrochées dans l’aile des bains municipaux, tandis que la céramique et la mode se déploient dans les anciennes cabines de douche et de déshabillage. Enfin, l’iconique bassin est devenu un extraordinaire jardin de sculptures baigné de lumière naturelle où les stars de la modernité, Claudel en tête, côtoient des artistes traditionnellement rangés dans le camp des classiques, voire des académiques.

L’autre singularité de l’établissement est incontestablement la coloration de ses collections, puisque La Piscine est l’un des seuls musées français à refléter la polysémie de l’art moderne sans hiérarchie, tant dans la sculpture, sa signature, que dans la peinture avec un parti pris très affirmé pour les figuratifs du XXe siècle. Ce positionnement courageux a trouvé un écho formidable auprès du public, mais aussi des collectionneurs et des familles d’artistes qui ont procédé à d’importants dons, comme récemment les descendants de Paul Cornet. Ce parti pris a aussi encouragé des dépôts considérables d’établissements nationaux mais également de fondations (Giacometti, Coubertin) ainsi qu’une politique d’acquisition volontariste pour conforter les forces du musée, notamment en direction de la céramique contemporaine. Au total, ce sont près de 1 500 pièces nouvelles qui intègrent le parcours ; cela méritait bien une extension monumentale.

Un festival d’expositions 

Dotée d’espaces d’exposition supplémentaires grâce au chantier d’extension, La Piscine accentue son ambitieuse politique événementielle. Fidèle à son rythme de plusieurs expositions simultanées par saison, elle présente pour sa réouverture cinq manifestations de formats variés, axées sur la relecture de grandes figures de la modernité, mais aussi sur les arts appliqués. Outre Picasso et Giacometti, la programmation fait ainsi la part belle à la céramique contemporaine, à travers les créateurs belges du WCC-BF et les œuvres d’Hervé Di Rosa. Le héraut de la Figuration libre présente ici une sélection de pièces réalisées durant son tour du monde artistique commencé dans les années 1990. Ce périple au long cours, comptant dix-neuf étapes, l’a notamment conduit à La Havane, Sofia ou encore Miami. À chacune de ses escales, il travaille avec des artistes ou des artisans locaux, s’inspirant de leur savoir-faire ou de leur univers visuel. Le cœur de cet accrochage est consacré aux céramiques réalisées au Portugal avec Viúva Lamego, une manufacture d’azulejos fondée au XIXe siècle.

Isabelle Manca

Le Groupe de Roubaix 

 

L’atelier de Bouchard 

Didactique, l’approche de la sculpture se fait aussi immersive avec la reconstitution de l’atelier parisien d’Henri Bouchard (1875-1960). Seul atelier de cette génération et de cette ampleur conservé, il offre une expérience unique. Sa reconstitution permet de se familiariser avec les techniques de la statuaire publique mais aussi d’apporter une contextualisation historique et politique afin de comprendre la trajectoire de Bouchard, qui a participé à la collaboration culturelle durant l’Occupation.

Panorama de la sculpture 

 

Histoire de Roubaix 

La nouvelle salle consacrée à l’histoire de Roubaix est une invitation à découvrir le patrimoine méconnu de la cité, pourtant d’une grande richesse. Il présente des œuvres et des objets organisés autour du Panorama de l’inauguration de l’hôtel de ville de Roubaix réalisé par les ateliers Jambon-Bailly pour l’Exposition internationale du Nord de la France en 1911. Conservée en piètre état, cette pièce aux dimensions spectaculaires a bénéficié d’une restauration fondamentale pour sa présentation.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°717 du 1 novembre 2018, avec le titre suivant : La Piscine de Roubaix

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