TOURS
Installé dans un bâtiment flambant neuf de 4 500 m2 dessiné par l’agence d’architecture portugaise Aires Mateus, le centre d’art tourangeau, enrichi du fonds Olivier Debré, inaugure sa programmation avec une exposition consacrée aux voyages du peintre abstrait en Norvège. En parallèle, le centre présente une installation monumentale du plasticien Per Barclay et un focus sur la jeune et dynamique scène artistique norvégienne.
TOURS - Écrin flambant neuf et changement d’échelle. Le Centre de création contemporaine (CCC) de Tours, 35 ans d’activité au compteur, se mue en « CCC OD », chargé désormais de faire rayonner le fonds Olivier Debré, peintre abstrait des lumières ligériennes, disparu en 1999. La donation faite au centre d’art se compose des cinq plus grands tableaux conçus en 1991 pour les cimaises du CCC. S’y ajoutent quelque 150 œuvres graphiques et un prêt permanent de 140 tableaux.
L’agence portugaise Aires Mateus a conçu une architecture aux lignes épurées, dotée de vastes volumes, située en plein cœur du centre historique, en bordure de la Loire. En tout, l’édifice compte 4 500 mètres carrés, répartis en quatre espaces d’exposition. « C’est un centre d'art, pas un musée, plus proche de la société que de l’éternité, précise Alain Julien-Laferrière, son directeur. On entre ici sans ostentation. Un musée, c’est 35 millions d’euros. Ici, c’est 15 millions. Olivier [Debré] ne voulait pas d’un mausolée mais un lieu généreux qui reste en prise directe avec la réalité d’aujourd’hui et les jeunes artistes. Le bâtiment tient compte de trois grands enjeux artistiques : la question de la neutralité de l’espace [d’exposition] avec le “White cube”, 750 mètres carrés en tout ; la nécessité du noir à partir des années 1970, pour la vidéo, ce à quoi répond la “Black box” de 400 mètres carrés ; enfin, l’interpénétration de plus en plus présente entre l’art et la vie sociale, urbaine, avec la nef transparente. Il y a aussi bien sûr un café, une librairie. »
Promenades méditatives
La galerie blanche, dont l’espace impressionne de prime abord, laisse entrer une lumière zénithale à chaque angle. À l’occasion de l’ouverture, elle réserve aux visiteurs la découverte d’un accrochage d’une quarantaine de tableaux d’Olivier Debré réalisés lors de ses multiples voyages en Norvège. Au milieu, un format spectaculaire, son plus grand, de 9 mètres sur 4. L’un des six « Nymphéas » de Debré, objets d’une future exposition. De part et d’autre, des toiles éclatantes aux couleurs boréales ou d’une blancheur hivernale, subtiles variations nordiques au fil des saisons.
Les galeries périphériques offrent une promenade méditative pour mieux s’adonner à la contemplation d’autres toiles du peintre, jamais montrées en France. Leur cote a grimpé (d’un zéro) sur le marché norvégien depuis l’annonce de l’exposition au centre d’art tourangeau nouvelle mouture. Ces galeries sont aussi dévolues à la présentation d’œuvres graphiques, carnets de voyage, dessins. Entre autres, des paysages au trait minimaliste, des études colorées autour du Cri de Munch.
Chronologie des voyages de Debré en Norvège et carte permettent de situer les lieux où l’artiste a peint sur le motif, les photographies de ces grandioses ateliers improvisés en plein air venant en appui. À partir du début des années 1970, il se rend en Norvège pour peindre en immersion dans le paysage. Dans les années qui suivent, il séjourne à Lysne, dans la région de Laerdal, dans un châlet prêté par Hans Rasmus Astrup, collectionneur passionné à l’origine du musée d’art contemporain privé Astrup Fearnley, dessiné par Renzo Piano et inauguré en 2012 à Olso. On découvre enfin sa passion pour les églises en bois norvégiennes, les stavkirke, dans des toiles à l’esprit quasi figuratif. Issus de collections publiques et privées, ces tableaux dévoilent un aspect inédit de sa production. L’exploration nordique fera d’ailleurs l’objet d’un volet particulier consacré à l’Europe du Nord dans son catalogue raisonné, en cours de réalisation.
De Norvège, il est beaucoup question pour l’inauguration de ce bâtiment, nouvel équipement culturel phare de la communauté d’agglomération de Tours, dont l’ambition est d’accueillir chaque année 100 000 visiteurs (contre 15 000 pour le CCC). À cela, plusieurs raisons. D’une part, les liens entre Debré et le pays des fjords, où l’artiste compte de longue date nombre de collectionneurs – parmi lesquels la famille royale, qui a prêté des œuvres. La reine en personne a fait le déplacement en Touraine pour le vernissage. D’autre part, l’estime que le peintre suscite chez les créateurs norvégiens, y compris parmi les plus jeunes. Au point que Per Barclay, l’un des représentants les plus réputés de cette scène artistique, avoue devoir sa vocation à la vue d’une de ses toiles. Un paysage de petit format, accroché au mur de la salle qui occupe l’espace de l’ancien bâtiment historique de l’école des beaux-arts, conservé et rénové. En regard, l’une des plus grandes « chambres d’huile » du plasticien norvégien, vertigineuse installation. Le bassin monochrome noir dont les reflets abyssaux reçoivent la luminosité de la Loire, toute proche, trouve un écho dans les jeux de lumière scandinaves. La nef accueillera ainsi des installations visibles gratuitement de l’extérieur grâce à ses larges surfaces vitrées.
Une programmation contemporaine pointue
La galerie noire, quant à elle, a vocation à héberger une programmation contemporaine pointue. « Nous prévoyons dix expositions par an, réparties dans les différents espaces du centre d’art, souligne Alain Julien-Laferrière. Le public a envie qu’on lui raconte une histoire, qu’il soit possible de s’approprier une aventure. C’est le grand récit, à travers le fonds Debré. Une deuxième demande est de comprendre, par délégation, ce qu’est la création. Cette expérience, il sera possible de la vivre dans la nef. On entre dans une seule œuvre, on peut dialoguer avec elle. Troisième point, nous avons toujours eu le goût et la mission de plonger dans les générations montantes, de chercher de nouveaux artistes. Notre programme va se jouer autour de ce fil conducteur, avec des correspondances logiques. » Ici, du voyage de Debré en Norvège à Per Barclay, de la génération suivante, jusqu’à la sélection d’une dizaine d’artistes représentatifs de la riche jeune scène norvégienne. Sous le titre collectif « Innland » (L’intérieur d’un territoire), l’exposition joue une partition autour de ce thème topographique qui recoupe la question de l’intériorité, l’espace intime. À l’image de la création internationale, l’exercice reflète une grande diversité. Leur point commun ? « Cette jeune génération est marquée par la création d’“artist-run spaces”, comme Rekord, à Oslo, un lieu créé par les artistes pour les artistes, souligne Elodie Stroecken, co-commissaire de l’exposition avec Thora Dolven Balke, artiste et critique d’art. Depuis deux décennies, on relève un mouvement de fond dans la scène artistique norvégienne. Les artistes ont pris les rênes de leur carrière et monté leurs propres espaces. Inscrits dans la globalisation, ils ont des cultures d’origine, des influences variées. Saman Kamyab, originaire d’Iran, vit et a fait ses études à Oslo, comme Ahmad Ghossein, installé aujourd’hui à Beyrouth, son pays d’origine. Ignas Krunglevicius est né en Lituanie. »
Ces artistes ont éclos sur la scène artistique norvégienne dans les années 2000. À Oslo, Kristiansand, Stavanger ou Bergen, réputé pour son Kunsthall (centre d’art contemporain) et son école d’art, en particulier son atelier de photographie. Kamilla Langeland y est encore étudiante. Elle expose trois grands formats dans lesquels elle explore le travail en chambre noire, des compositions complexes conçues comme des tableaux. Revenir à des techniques anciennes, prendre son temps dans la production des images, paradoxe ou réaction à la surabondance et au flux continu dans lesquels cette génération a grandi ? Tiril Hasselknippe a étudié à Malmö, en Suède. Elle présente d’imposantes sculptures en béton créées pour un parc de sculptures à Kristiansand, tranquille ville côtière au sud d’Oslo, où vit une communauté d’artistes. Elle aussi confirme la liberté de création qui souffle sur la jeune génération, portée par un contexte favorable. « En Norvège, ces dernières années, les espaces gérés par des artistes ont joué un rôle important de transition entre la sortie de l’école et l’entrée dans une galerie établie. Cela a été très bénéfique. Des communautés, des échanges sont nés. Pouvoir se développer sans la pression de devoir monétiser immédiatement son travail est très créatif. » Autre argument avancé pour justifier de ce dynamisme : « Nous n’avons pas derrière nous des siècles de chefs-d’œuvre, comme en France, en Italie, en Angleterre… Notre approche de l’art est relativement neuve. Il y a du bon et du moins bon à ne pas avoir une longue histoire. Mais au final, quoi que vous fassiez, cela vous appartient, c’est vous. C’est peut-être ce qui fait notre différence et l’originalité de notre démarche. »
Plus engagée à l’international, cette génération montante, dont c’est la première exposition en France, témoigne d’une volonté d’accéder à la reconnaissance au-delà des frontières de la Norvège. À commencer par Tours ? Terre d’élection des arts, la région sut jadis accueillir le génie d’un certain Leonardo. Depuis 1519, sa dépouille repose à Amboise.
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La Norvège en majesté à Tours, au nouveau « CCC OD »
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Abonnez-vous dès 1 €jardin François-Ier, 37000 Tours, tél. 02 47 66 50 00, www.cccod.fr, du mercredi au samedi 14h30-18h30, entrée 6 €. « Olivier Debré, voyage en Norvège », jusqu’au 17 septembre ; « Per Barclay, Chambre d’huile », jusqu’au 3 mars ; « Innland », exposition collective, jusqu’au 11 juin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°475 du 17 mars 2017, avec le titre suivant : La Norvège en majesté à Tours, au nouveau « CCC OD »